Internet est un déversoir idéal pour la haine ordinaire. Quelques minutes de promenade à peine suffisent sur certains sites ou pages Facebook pour glaner plaisanteries douteuses racistes, homophobes ou sexistes. Si les auteurs de ces déclarations se retranchent généralement (mais pas toujours) derrière l’humour, la fréquence de ce type de mauvais mots est assez évocatrice de la persistance de nombreux préjugés. Ces élucubrations ne sont pas nées avec internet : elles trouvaient avant le 21ème siècle parfaitement leur place dans les bars et les alcôves. Mais le web leur a offert une visibilité accrue et a permis de constater que rares sont ceux qui échappent à la tentation de stigmatiser les "autres". Les médecins ne font pas exception.
"Fofolle"
Les blagues de potache sont la marque de fabrique des carabins et des médecins confirmés. Cette attitude leur est régulièrement reprochée quand la plaisanterie paraît glisser vers le sexisme. Mais les praticiens ne s’en tiennent pas aux plaisanteries graveleuses, ils peuvent également s’approprier de multiples clichés racistes ou homophobes. Et cela apparaît désormais au grand jour. Exemple parmi d’autres : la fameuse page Facebook : Les médecins ne sont pas des pigeons. Ayant connu son heure de gloire lors de sa création il y a à quatre ans, où il réunissait notamment des médecins opposés à l’application de la TVA sur les actes esthétiques, le groupe jouit toujours d’un petit succès avec quelque 30 000 suiveurs. Parmi eux, certains sont très actifs et publient régulièrement leur coup de gueule contre la Sécurité sociale, le tiers payant, Marisol Touraine et le monde comme il ne va pas. On parle aussi fréquemment des patients en égratignant au passage leurs lubies. Et parfois ça dérape.
Fin décembre, un praticien évoque un cas particulier : un diagnostic de syphilis, à côté duquel il a failli passer, en raison de l’absence d’affichage de son homosexualité par le patient. Plutôt que d’incriminer son manque de perspicacité dans son interrogatoire (quand la fissure anale chez un homme jeune doit assez rapidement faire envisager des rapports anaux), le médecin souligne le fait que le patient n’était pas « un homo de type "fofolle" avec des manières surjouées, plutôt un monsieur tout le monde ». Cette présentation qui véhicule une image stéréotypée des homosexuels, a fait tiquer certains de ses confrères, mais le praticien surenchérit en notant que : « Quand on fait un truc que la nature n’a pas prévu, il y a toujours des complications » et en s’attelant à une description de ce qu’il entend par "fofolle" : « Je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’un homme qui surjoue des comportements féminins : façon de parler avec intonation vers le haut, expressions faciales exagérées, main à 90° en marchant (posture de la théière que l’on décrit au théâtre)… ».
Les médecins peuvent-ils (comme tout le monde) se lâcher sur le net ?
De telles caricatures peuvent se lire sur bien des pages Facebook, mais peuvent-elles se lire sous la plume d’un médecin, sur un groupe accessible à tous ? Des internautes ont jugé que non et ont choisi de signaler ce message qui a bientôt été supprimé. L’Amicale des Jeunes du Refuge a par ailleurs déposé une plainte devant le Conseil de l’Ordre et le médecin responsable de ces messages a été entendu lundi par le conseil départemental de Dijon qui se prononcera sur le cas le 9 janvier prochain. L’instance ordinale pourrait considérer que de tels propos vont à l’encontre du devoir de ne pas nuire à l’image du corps médical. L’Ordre a en effet rappelé à plusieurs reprises que le code de déontologie «impose aux médecins de s’abstenir d’émettre des propos scandaleux ». Un récent document concernant la publicité à l’ère des nouvelles technologies suggère que l’instance ordinale estime que cette règle s’applique également à internet. Il avait en effet observé que les médecins se doivent de faire un « usage responsable des réseaux sociaux. Ils doivent notamment se montrer vigilants sur l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes, et donc indirectement de l’ensemble du corps médical, vis-à-vis des internautes ». Cependant, la traque des déclarations outrées sera difficile sur le web. Le seul groupe Les médecins ne sont pas des pigeons » en compte fréquemment. Contestation (comique) du droit des étrangers à être soignés, moquerie des accents de certains malades, blague douteuse sur la trisomie 21 : les dérapages sans être incessants ne sont pas rares et échappent parfois à la vigilance des modérateurs qui appellent par ailleurs à ne pas se focaliser sur certains propos qui éloignent de la raison première de la page, à savoir le malaise des blouses blanches.
Une mobilisation nécessaire pour changer le regard de certains médecins sur l’homosexualité
Outre l'affirmation selon laquelle un médecin ne peut sans doute pas être un internaute comme les autres, cette affaire invite également une nouvelle fois à une réflexion sur la prise en charge des homosexuels. Trop souvent l’orientation sexuelle des patients n’est pas évoquée par les praticiens et les idées reçues restent fréquentes au sein du corps médical (quand on n’assiste pas à des refus de soins). Une mobilisation pour faire évoluer cette situation s’observe tant dans la communauté médicale qu’au sein de la société civile, mouvement auquel n’échappent pas les pouvoirs publics. Dans son Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT publié la semaine dernière, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT a consacré un chapitre à la formation des professionnels de santé.
Aurélie Haroche
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