Au sein de l'unité de consultation pour les personnes sourdes à la Pitié-Salpêtrière, la coordination de tous les professionnels est essentielle pour que les consultations et la prise en charge se déroulent correctement. Une infirmière, Aïni Amrouche, assure ce rôle de pivot.
© Laurence Dentinger PSL-CFX / AP-HP
L'unité d'information et de soins pour les sourds l'UNISS de la Pitié-Salpetrière (APHP, Paris) accueille chaque année près de 700 patients dans sa file active. C’est la première à avoir vu le jour, en 1995, quand il est apparu que les personnes sourdes, inaccessibles aux messages de prévention classiques basés sur l'écrit, étaient touchées de plein fouet par l'épidémie de sida...
Les professionnels de santé ont « découvert » que ces personnes avaient toutes les difficultés du monde à se faire correctement soigner. Certaines avaient même pris le monde médical en aversion après avoir subi bien des soins sans avoir pu poser de question ou donner son avis, sans comprendre ou pouvoir dire la douleur...
Une quinzaine de consultations destinées à ces patients particuliers existent en France aujourd'hui mais tout le territoire n'est pas couvert, loin de là.
Aïni Amrouche, infirmière (entendante), occupe une place de pivot dans l'unité de la Pitié, dirigée par le Dr Alexis Karacostas. Certes, elle réalise quelques prises de sang, des vaccins, des électrocardiogrammes. Mais elle assure aussi l'accueil des patients en binôme avec un agent d'accueil sourd : il faut en effet pouvoir répondre, en langue des signes, aux sollicitations des personnes sourdes qui se présentent mais aussi oralement aux personnes entendantes qui viennent ou appellent au téléphone : familles, professionnels de santé libéraux, d'autres structures ou d'autres services de l'hôpital...
La langue des signes est la « langue vernaculaire » du service puisque c'est celle qui est parlée à la fois par les professionnels entendants (les médecins, l'infirmière, le dentiste, l'assistante sociale, les deux interprètes) et les professionnels sourds (une aide-soignante, un technicienne de laboratoire, un agent d'accueil et deux intermédiateurs, éducateurs spécialisés).
Aïni s'est initiée à la LSF à ses débuts dans l'unité mais pas autant qu'elle l'aurait voulu. « Je comprends assez bien, reconnaît-elle, mais j'ai parfois des difficultés à m'exprimer ou à avoir des conversations plus complexes». Les collègues sourds aident volontiers les entendants, leur enseignent certains mots techniques. La complexité monte d'un cran avec les patients sourds étrangers, qui ne sont pas rares à Paris...
La prise en charge passe par la compréhension
L’accueil est un moment portant durant lequel il faut comprendre le besoin des patients. « Certains arrivent avec un carton énorme, remplis de papiers en désordre... », raconte l'infirmière. Des années de soins en vrac. Elle effectue un premier tri que les médecins peaufinent. « Ils arrivent à un endroit où on les comprend », poursuit-elle.
Certains viennent d'ailleurs juste pour qu'on les aide à comprendre une prescription. Suivre un parcours de procréation médicalement assistée, par exemple, peut être extrêmement compliqué quand on est sourde...
« J'ai aussi un rôle de coordination entre tous les membres de l'équipe et entre les membres de l'équipe, les autres services et les autres structures. » Une fonction essentielle : la réussite de la prise en charge des patients réside en effet sur la capacité de l'unité et de l'infirmière coordinatrice à articuler les compétences médicales, linguistiques et culturelles.
Les consultations des médecins du service se font généralement avec des interprètes, ceux du service ou des prestataires extérieurs dont les vacations durent trois heures. Des médecins, spécialistes en gynécologie, ophtalmologie et diabétologie assurent des permanences régulières dans le service, toujours en présence d'interprètes expérimentés.
Mais cela ne suffit pas toujours et les intermédiateurs apportent une aide précieuse. Sourds eux-mêmes, ils vérifient que les patients ont bien compris –(la séronégativité est une bonne nouvelle, pas une mauvaise…), les aident à poser des questions (ils osent peu), reformulent les propos des médecins, les conseils de prévention...
Après une consultation, les intermédiateurs peuvent réexpliquer en détail un traitement ou, par exemple, l'indispensable mais complexe préparation à une coloscopie. Ils peuvent également être présents lors d'examens d'imagerie pour expliquer leur déroulement et rassurer les patients. Ils interviennent aussi aux côtés de l'assistante sociale...
Leur formation sociale leur permet d'aider les patients individuellement à dans leurs démarches. Les difficultés sociales de ces personnes sont souvent grandes et toutes ne connaissent pas leurs droits, loin s'en faut.
Une nécessaire coordination
Aïni coordonne les plannings de tous ces intervenants selon des configurations variables mais qui ne laissent pas de place à l'erreur : une consultation sans interprète ou intermédiateur nécessaire a peu de change d'atteindre ses objectifs. Un retard de l'un d'eux ou une annulation impacte de multiples personnes... Un vrai casse-tête qu'elle résout quotidiennement. Pour le service mais aussi pour les consultations dans les autres services de l'hôpital ou quand une hospitalisation est programmée.
« Avant l'arrivée du patient, explique l'infirmière, un intermédiateur et un interprète se rendent dans le service pour expliquer aux soignants et aux médecins comment aborder les patients sourds » : pour signaler son arrivée dans la chambre, allumer la lumière est plus utile que frapper et il faut veiller à s'adresser de face au patient et à ne pas le surprendre, par exemple...
Deux fois par mois ? an ?, des sessions de sensibilisation à la prise en charge des personnes sourdes rassemblent des personnels des autres services de l'hôpital. « Elle leur permet de comprendre les problématiques des personnes sourdes, de se débarrasser de leurs préjugés et d'éviter les erreurs », souligne l'infirmière, qui l'a suivie à ses débuts dans l'unité.
Certes, le rôle « infirmier » d'Aïni Amrouche n'a rien à voir à celui qu'elle avait dans le service d'urgence cérébro-vasculaire où elle a travaillé pendant une quinzaine d'année. « Il est décalé, analyse-t-elle. Je viens en aide aux patients en faisant en sorte qu'ils puissent être autonomes dans le suivi de leur pathologie ou qu'ils se sentent bien accompagnés. »
Ses connaissances en santé l'aident beaucoup dans l'orientation des patients et l'évaluation du degré d'urgence de leurs demandes afin que leur prise en charge ne perde pas de temps. Leur parcours de soin a souvent déjà connu déjà beaucoup d'occasions de prendre du retard, au détriment de leur santé.
Consciencieusement, l'infirmière vérifie chaque soir pour chaque patient du jour que l'éventuel rendez-vous suivant ou les examens prescrits sont bien programmés, afin d'éviter les retards de prise en charge dus à un problème de communication. Et que les rouages des soins tournent bien pour chacun.
Olivia Dujardin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire