La période suivant immédiatement une hospitalisation en milieu psychiatrique est à très haut risque suicidaire. On admet qu’environ un tiers de l’ensemble des suicides chez les malades mentaux se produisent dans les 3 mois après la sortie d’un établissement psychiatrique et que 0 ,3 à 3 % des patients meurent par suicide dans les années suivantes. Le risque suicidaire est particulièrement élevé en cas de trouble dépressif majeur mais est aussi conséquent en cas de schizophrénie, atteinte bipolaire ou de toxicomanie. On manque toutefois de données précises sur le risque relatif en fonction des différentes pathologies et co morbidités psychiatriques.
Une étude a donc été entreprise, dont le but a été de quantifier le risque de suicide dans les 90 jours suivant la sortie d’un hôpital psychiatrique, chez des patients souffrant de troubles mentaux et de le comparer à celui de patients hospitalisés pour une pathologie non psychiatrique ou à celui de la population générale US. Il s’agit de l’analyse rétrospective d’une vaste cohorte longitudinale nationale de près de 1,9 millions d’adultes hospitalisés entre le 1er janvier 2001 et le 31 Décembre 2007 dans le cadre de Medicaid.
Seuls sont concernés les individus âgés de 18 à 64 ans, hospitalisés pour la première fois en psychiatrie pour une durée de 1 à 30 jours et non transférés, à leur sortie, en institution. Les pathologies retenues sont les troubles dépressifs et bipolaires, la schizophrénie, les toxicomanies, également des troubles mentaux divers et les cas d’automutilation volontaire. L’ensemble des données recueillies ont été dépouillées entre le 5 mai 2015 et le 6 Juin 2016 et comparées à celles issues de la population générale hospitalisés durant la même période pour des pathologies non psychiatriques.
Globalement, la cohorte est composée de 1 861 194 adultes, 27 % d’hommes. L’âge moyen (DS) est de 35,4 ans (13,1 ans) ; 770 643 étaient atteints de troubles mentaux. Il y a eu 370 décès par suicide entre 2001 et 2007. Le taux de suicide à court terme, en cas de maladie mentale, s’éleve à 178,3/ 100 000 personnes-années (PA). A titre de comparaison, il se situe à 12,5/100 000 PA dans la population générale.
Le taux le plus important est observé dans les syndromes dépressifs, culminant à 235,1/100 000 PA, dépassant celui constaté dans les troubles bipolaires (216,0/100 000 PA) et dans la schizophrénie (160,4/100 000 PA). Le plus faible, quoique considérable, est retrouvé pour les toxicomanes (160,4/100 000 PA). Comparativement, durant la même période, les taux de suicide dans la population non psychiatrique ont varié, selon les groupes, entre 10,7 et 13,8/ 100 000 PA.
Taux de suicide près de 15 fois plus élevé que dans la population générale
Ainsi donc, le taux de suicide dans les 90 jours suivant une hospitalisation en psychiatrie apparaît approximativement 14,5 fois plus élevé que dans la population générale. Quand sont incluses dans le décompte les morts d’origine indéterminée, ce taux s’élève encore, de 178,3 à 229,5/ 100 000 PA. Le risque de suicide est aussi environ deux fois plus important chez les hommes que chez les femmes, respectivement à 228,3 vs 130,2/100 000 PA. Au sein de la cohorte psychiatrique, le Hazard Ratio ajusté (AHR), par rapport au sous-groupe des toxicomanes, a été calculé à 2,0 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 1,4- 2,8) en cas de pathologie dépressive, à 1,6 (IC : 1,1- 2,2) en cas de schizophrénie, à 1,6 (IC : 1,2- 2,1) également en cas de troubles bipolaires. Il est de 1,7 (IC : 1,2- 2,5) pour les patients qui n’avaient bénéficié d’aucun soin de santé dans les 6 mois ayant précédé leur hospitalisation en milieu psychiatrique. En modèle de régression proportionnelle non ajustée, on a pu noter que différents facteurs tels qu’un âge plus élevé, le fait d’être un homme, d’être blanc, de souffrir de troubles dépressifs, bipolaires ou de s’être « blessé » volontairement dans les antécédents étaient associés à une augmentation significative du risque suicidaire. Le risque était aussi majoré dans le sous-groupe de malades qui avaient eu plus de 31 visites médicales dans les 180 jours ayant précédé leur hospitalisation en milieu psychiatrique.
Ainsi, parmi les patients avec maladie mentale, le risque de suicide est notable dans les semaines suivant la sortie de l’hôpital, essentiellement en cas de pathologie dépressive ou de troubles bipolaires. Il concerne plus particulièrement les individus âgés de 45 à 64 ans, blancs et ceux qui n’avaient pas bénéficié de soins de santé dans le semestre précédent. Les résultats de ce travail sont proches de ceux d’une publication danoise qui, à 1 mois, retrouvait aussi un risque de suicide important en cas de troubles de l’humeur, mais, à long terme, un risque surtout présent en cas de schizophrénie et de pathologie bipolaire.
Cette étude met aussi l’accent sur le rôle aggravant des co morbidités psychiatriques qui majorent ou ont un effet additif sur la détresse psychologique et le risque de passage à l’acte. Elle met en exergue également l’importance des hospitalisations antérieures pour blessures volontaires. L’exposé de ces résultats se doit, cependant, d’être accompagné de quelques réserves. Les données brutes, issues de Medicaid, n’ont pas été validées. Les patients bénéficiant d’une assurance privée n’ont pas été inclus dans l’étude. Des facteurs potentiellement importants, tels une histoire familiale ou des accidents de vie majeurs n’ont pas été pris en compte. Surtout, les données ont été recueillies entre 2001 et 2007, avec survenue probable, depuis cette date, de changements éventuels, notamment une moindre incidence des pathologies dépressives dans certaines populations.
En conclusion, chez les patients psychiatriques ayant été récemment hospitalisés pour troubles mentaux, le risque de suicide est considérablement élevé dans les premiers mois suivant la sortie de l’hôpital, notamment en cas de syndrome dépressif mais aussi en cas de troubles bipolaires ou de schizophrénie. Le risque est aussi accru chez les malades qui n’avaient pas été en contact préalablement avec le système de soins. Toutefois, les conclusions de ce travail, comme d’autres de la littérature médicale, sont limitées par le faible nombre de suicides notifiés. Dans l’avenir, il sera important de tenter identifier au mieux les caractéristiques cliniques prédictives du passage à l’acte chez les patients suivis en milieu psychiatrique.
Dr Pierre Margent
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire