Par Eric Favereau — 26 septembre 2016
La Haute Autorité de santé vient de retirer son accréditation à l'établissement parisien, qui avait connu des tensions il y a quelques mois.
La maternité historique des Bluets «non accréditée». La sanction est tombée ce lundi après-midi sur le site de la Haute Autorité de santé, qui a mis en ligne le résultat de la mission d’accréditation qui avait visité l’établissement parisien au printemps. Un bilan sévère qui ne préjuge en rien de la suite, car seule l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France peut prendre éventuellement une décision de fermeture, mais il résonne comme une alerte après les mouvements sociaux qui ont eu lieu en mai.
Les Bluets, c’est d’abord un lieu historique. Avant, ne l’appelait-on pas la «clinique des métallos» ? Ouverte en 1947, elle se situait dans le XIe arrondissement de Paris, non loin du 94 de la rue Jean-Pierre-Timbaud, local de la fédération CGT des métallurgistes, intégrée dans l’association Ambroise-Croizat, qui gérait aussi des centres de rééducation professionnelle. Ambroise Croizat, c’était une figure, un des ministres communistes de l’après-guerre à l’origine de l’assurance maladie. Bref, une naissance marquée du sceau de l’histoire du mouvement syndical.
Les années ont passé, les Bluets devenant un lieu apprécié. Récemment, pourtant, à l’heure des restructurations des maternités, les Bluets sont passés à deux doigts de la liquidation judiciaire. Mais l’établissement a passé le cap, déménageant pour s’installer à côté de l’hôpital pédiatrique Trousseau (XIIe arrondissement). Et depuis, cela marchait bien. Une maternité de 52 lits de bonne réputation, près de 4 000 accouchements par an mais aussi 1 200 IVG, les Bluets ayant toujours eu une forte vocation sociale, et un centre important et reconnu de procréation médicale assistée, avec plus de 1 200 essais annuels.
Démissions en série
Mais voilà, pour des raisons peu claires, la direction de l’association a licencié le directeur, pourtant très apprécié par le personnel. Thomas Lauret venait tout juste d’arriver, en septembre, et il remettait tout en ordre. «C’est un vrai directeur, avec une formation, et non pas quelqu’un issu du milieu syndical, comme cela avait toujours été le cas. Il y avait un vrai climat de travail. L’ambiance était bonne, cela marchait, avec une direction efficace et bosseuse, on avait le sentiment que les difficultés de ces dernières années étaient passées», nous racontait un obstétricien.
Et soudain on le met à la porte. Un licenciement qui se passe mal, et provoque des démissions en série, en particulier de la directrice de soins. Au point que la question de la qualité des soins est ouvertement posée. La ministre de la Santé s’en inquiète, et demande une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Et la Haute Autorité de santé (HAS) lance l’habituel processus d’accréditation qui a lieu tous les cinq ans. Verdict : établissement au fonctionnement problématique.
Prenons quelques exemples des critiques en pagaille faites par la HAS. Ainsi sur la gestion des risques des urgences médicales et chirurgicales, l’analyse de la HAS est inquiétante : «La stratégie ne repose pas sur une analyse structurée de l’ensemble des risques et sur un mode concerté. Les professionnels concernés n’ont pas été associés à la définition et à la hiérarchisation des risques de leur secteur d’activité, ni à la formalisation du plan d’actions qui en est issu. Ces risques et les plans d’actions afférents ont été découverts par les membres de l’équipe, dont le médecin chef, pilote du processus, lors de l’audit de processus.»
Prise en charge médicamenteuse «pas sécurisée»
De plus, «l’établissement n’a pas organisé de dispositif d’évaluation et de suivi des temps d’attente et de passage selon le degré d’urgence. L’évaluation et l’analyse des délais ne sont pas structurées dans le secteur des urgences gynéco-obstétricales qui ne dispose pas d’outil (papier ou informatique) retraçant les étapes de prise en charge. Le degré d’urgence n’est pas objectivé par une cotation, sauf pour ce qui concerne les codes couleurs des césariennes».
Autre exemple troublant, la gestion des médicaments. L’opinion des experts de la HAS est sévère : «Les ressources actuelles ne permettent pas de sécuriser la prise en charge médicamenteuse du patient. Un pharmacien est présent vingt heures par semaine ; avant de s’absenter, il s’assure de son remplacement. Toutefois, il signale que ce temps ne lui permet pas de prodiguer, ni de suivre des formations.»
Ou encore : «Les médicaments à risque ne sont pas tous identifiés. L’insuline et le lovenox sont définis comme médicaments à risque mais ils ne sont pas repérés. Les médicaments utilisés par le secteur nouveau-né, tous injectables, ne sont pas identifiés comme médicaments à risque. Les morphiniques et l’ocytocine ne sont pas identifiés comme médicaments à risque. Les armoires à pharmacie de l’établissement ne sont pas organisées pour le repérage des médicaments à risque.»
«Pilotage pas clairement identifié»
Enfin, sur le parcours du patient, cela n’est pas bien clair. «Le pilotage n’est pas clairement identifié au sein de l’établissement. Les rôles et les missions ne sont pas formalisés. Le pilote découvre en cours de visite qu’il est pilote de la thématique. Le médecin chef le confirmera lors du bilan journalier suivant. L’absence de la direction des soins infirmiers impacte la coordination du parcours.»
De même, le dossier patient est mal tenu : «Le processus "dossier patient" ne dispose pas de pilote institutionnel. L’ancien responsable était la directrice des soins, gestionnaire des risques associés aux soins, qui a quitté l’établissement en mai 2016. Il n’y a pas eu de désignation d’un autre pilote à son départ. L’organisation de la tenue et de l’archivage du dossier n’est que partiellement structurée. Les règles de tenue du dossier ne sont pas formalisées».
Dès lors que va-t-il se passer ? Selon toutes vraisemblances, l’ARS comme le ministère vont attendre le résultat de la mission de l’Igas pour prendre une décision. Et des mesures drastiques devraient être prises. «Quel gâchis, nous disait une gynécologue. On avait tout pour faire du bon travail, et voilà que l’on arrive à se retrouver de nouveau dans une situation à hauts risques.»
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