Pierre Bienvault, le 27/09/2016
La mort d’un professeur d’un grand hôpital parisien a suscité une large mobilisation politique et médiatique. Alors que les suicides de cinq infirmiers en deux mois ont longtemps été ignorés.
Pierre Bienvault, le 27/09/2016
La mort d’un professeur d’un grand hôpital parisien a suscité une large mobilisation politique et médiatique. Alors que les suicides de cinq infirmiers en deux mois ont longtemps été ignorés.
C’est l’histoire de six suicides qui ont profondément bouleversé le monde de l’hôpital. Trois hommes, trois femmes. Six drames individuels mais aussi collectifs. Six morts tragiques qui n’ont pas tous eu le même écho institutionnel, politique et médiatique.
6 suicides en 9 mois
Tout commence le 17 décembre 2015 à l’hôpital Pompidou à Paris. Le professeur Jean-Louis Mégnien, cardiologue, se donne la mort par défenestration. Deux jours plus tard, la ministre Marisol Touraine affirme que « toute la transparence » sera faite sur ce drame. Moins d’une semaine plus tard se tient une réunion « exceptionnelle » du directoire de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP) qui annonce un plan d’action. Et le sujet passionne la presse quotidienne (1) et hebdomadaire nationale, qui, en deux mois, y consacre une quarantaine d’articles.
Le 13 juin 2016, un infirmier de 55 ans se suicide au CHU Rangueil à Toulouse. « Il est arrivé lundi matin dans son bureau où il s’est donné la mort (…) Cet infirmier ne supportait plus les conditions dans lesquelles il travaillait », raconte un syndicaliste à La Dépêche du Midi. Le 24 juin, une infirmière de 44 ans en poste à l’hôpital du Havre met fin à ses jours. Début juillet, c’est le tour d’un cadre de santé à Saint-Calais dans la Sarthe. Puis, au cœur de l’été, de deux infirmières à Reims.
« Combien de morts pour briser le silence ? »
À chaque fois, la presse régionale rend compte de ces drames, largement ignorés dans les médias nationaux. « Combien de morts faut-il pour briser le silence ? », s’offusque le 31 août la Coordination nationale infirmière (CNI) choquée par le mutisme estival de Marisol Touraine.« Je tirerai tous les enseignements possibles de ces événements dramatiques », finit par dire la ministre le 1er septembre dans L’Infirmière magazine.
« J’estime que le respect des proches comme la recherche de la vérité imposent de la réserve et de la retenue, incompatibles avec une communication de l’instant », ajoute-t‑elle. Et il faudra attendre une grève des infirmières le 14 septembre pour que ces suicides deviennent un sujet médiatique national.
Toutes les catégories professionnelles touchées
« À l’évidence, le suicide d’un professeur de médecine ne pèse pas le même poids que ceux du petit personnel », s’agace Thierry Amouroux, secrétaire du Syndicat national des personnels infirmiers. « Les suicides à l’hôpital touchent toutes les catégories professionnelles, y compris les administratifs et les ouvriers. C’est ce qu’on dit depuis des années à l’APHP, sans être beaucoup entendus », ajoute Olivier Cammas de l’Usap-CGT.
Et les médecins parisiens, très engagés dans le combat autour de Jean-Louis Mégnien, ont un discours à l’unisson. « L’indifférence qui a entouré ces suicides infirmiers est scandaleuse », estime Philippe Halimi, professeur de radiologie.
Le poids social des individus
Certes, il est toujours extrêmement difficile d’interpréter les raisons profondes d’un suicide, savoir ce qui est dû à l’environnement de travail, et aux situations personnelles. Reste pourtant un sentiment de malaise. L’impression qu’au sein de ce monde de codes et de pouvoirs qu’est l’hôpital, un problème n’est souvent perçu comme tel qu’à partir du moment où il finit par toucher les médecins.
« On voit bien que l’impact d’un suicide dans la sphère publique est lié au poids social des individus. Le suicide d’un grand patron fera toujours plus de bruit que ceux, désormais banalisés, de salariés ordinaires, sauf s’ils s’inscrivent dans une série au sein d’une même entreprise », estime Frédéric Pierru, sociologue de la santé. « Mais si on a autant parlé de ce professeur, c’est aussi parce que la souffrance à l’hôpital est devenue telle qu’elle peut même faire craquer des gens qui ont du pouvoir. Et a priori, davantage de moyens de résister ou de se défendre contre l’institution », ajoute-t-il.
Pierre Bienvault
(1) Dans sa version papier ou sur son site, La Croix a consacré quatre articles au suicide du cardiologue et un à ceux des infirmiers.
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