Par Marie Piquemal — 27 septembre 2016
Une enquête du Cnesco sur trente ans de politiques publique souligne le creusement des inégalités et les limites de l'enseignement prioritaire.
Pourquoi notre système éducatif est-il si inégalitaire? Comment se fait-il que les politiques, de tout bord, affichent leur volonté de construire une école «républicaine»… Et que dans le même temps, les enquêtes internationales Pisa révèlent des inégalités sociales toujours en forte hausse? Lors de la dernière enquête de 2013, la France était en queue de peloton.
Alors que le prochain classement Pisa sera connu en décembre, le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco), a plongé la tête dans les trente dernières années de politiques publiques menées en France. Le Cnesco, instance indépendante créée en 2013 pour évaluer les politiques publiques en matière d’éducation, a mobilisé pour l’occasion 22 équipes de chercheurs en France et à l’étranger. «Des économistes, des didacticiens, des sociologues, des psychologues… Avec cette volonté de comprendre sans tabou comment nous en sommes arrivés là», commence Nathalie Mons, la présidente du Cnesco. «Les résultats cumulés de ces recherches sont étonnants mais les responsabilités ne sont pas toujours où l’on pense…» Cinq découvertes dans ce rapport, très dense.
1- Les inégalités progressent en France, alors qu’elles diminuent ailleurs
Sans s’avancer sur les résultats de la prochaine enquête Pisa, les derniers classements (publiés tous les trois ans) flanquent à chaque fois le bourdon à l’ensemble des acteurs éducatifs: notre école est la plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE comparables à la France. Pourquoi? D’abord, parce que chez nos voisins, la situation s’améliore: les politiques menées depuis quinze ans commencent à porter leurs fruits. En France, à l’inverse, nous n’avons pas réduit les inégalités d’un pouce. Pire, elles augmentent. Dans un premier temps, les inégalités avaient progressé parce que les élèves les plus défavorisés socialement voyaient leur niveau baisser. Mais «très récemment, les inégalités se développeraient encore plus parce que les résultats de l’élite scolaire sont, eux, à la hausse», avance Nathalie Mons. Cette thèse reste à confirmer, avec les prochains résultats Pisa.
2- Un même diplôme n’a pas «le même rendement» selon l’origine sociale
Les inégalités à l’école sont en réalité un cumul de plusieurs inégalités, diverses, et qui souvent s’emboîtent les unes dans les autres. Les inégalités d’orientation par exemple, viennent souvent s’ajouter aux inégalités de résultat. L’autocensure et le manque d’information des familles pèsent sur les choix des élèves.
Les inégalités scolaires se poursuivent jusqu’à l’insertion sur le marché du travail. Un même diplôme n’a pas le même rendement: il ne donne les mêmes chances d’obtenir un emploi selon l’origine sociale du jeune. C’est particulièrement vrai pour la voie professionnelle. Deux élèves titulaires du même bac pro n’auront pas la même probabilité de trouver un emploi. Sans surprise, l’enfant de cadre aura plus de chance de travailler que son camarade fils d’ouvrier. A trois ans de vie active, la différence des taux de chômage entre l’un et l’autre est de six points (17% contre 23%).
3- Les familles immigrées sont plus mobilisées que les autres autour de la réussite de leurs enfants
Les chercheurs se sont intéressés aux inégalités migratoires. En l’espèce, les résultats des études qualitatives balayent des idées reçues, la situation a évolué. Les aspirations des familles issues de l’immigration ont fortement progressé au cours des quinze dernières années. «A niveau d’éducation, milieu socio-économique et résultats de l’enfant donné, les familles issues de l’immigration maghrébine envisagent ainsi trois fois plus une orientation vers un bac général que les familles natives en France», expose Nathalie Mons. Ces familles investissent d’ailleurs beaucoup dans la réussite de leurs enfants. Ainsi, les enfants d’immigrés prennent davantage de cours privés que les autres. A catégories socio-professionnelles égales, ils sont deux fois plus nombreux à leur payer des cours de soutien scolaire.
Problème : malgré la mobilisation des parents, les résultats scolaires ne suivent pas. En dix ans, selon Pisa, l'écart de performance scolaire entre les élèves issus de l'immigration et les natifs s'est accru. «Il y a un gouffre entre l’investissement des familles et la réalité de la réussite», résume la présidente du Cnesco. Pourquoi? Le sociologue Georges Felouzis, membre du collectif de chercheurs, a tourné la question dans tous les sens. «Ce n’est pas seulement lié au niveau de diplôme des parents, qui lui a progressé. Il y a autre chose», dit-il. Dans son jargon, il pose l’hypothèse d’un «soupçon de discrimination systémique», expliquant que notre système éducatif aboutit par un processus complexe, à donner moins à ceux qui ont moins.
4- L’école française donne moins à ceux qui ont moins…
La politique d’éducation prioritaire, menée en France depuis 1981, repose pourtant sur le fondement inverse: donner plus à ceux qui ont le moins. 1,3 milliard d’euros supplémentaires sont ainsi dépensés chaque année pour les 20% d’élèves scolarisés en éducation prioritaire.«Nous avons tous les signes d’une discrimination positive mais qu’en est-il en réalité? Les établissements en éducation prioritaire ont-ils réellement plus?», interroge Nathalie Mons. La démonstration est implacable. La taille des classes d’abord. En moyenne, on compte deux enfants de moins par classe en éducation prioritaire, «ce qui n’a pas d’impact significatif dans les enseignements», résume la chercheuse. Le temps d’apprentissage, ensuite. En éducation prioritaire, le temps pour apprendre est moindre que dans les établissements classiques à cause des problèmes de discipline notamment. Les professeurs y sont aussi plus jeunes, donc moins expérimentés et plus souvent contractuels (comprendre: sans formation initiale).
Autre donnée peu connue: la pédagogie utilisée n’est souvent pas la même. Les enseignants vont avoir tendance à utiliser avec des élèves défavorisés des méthodes d’apprentissage moins élaborées (et pas celles qui permettent «d’apprendre à apprendre»). Ils seront alors désavantagés dans la poursuite d’études. Enfin, et là c’est un point bien connu, déjà démontré par le Cnesco dans de précédents travaux: les élèves en éducation prioritaire se retrouvent dans des établissements souvent ségrégués. En l’occurrence, les chercheurs s’accordent sur«une stabilité de la ségrégation scolaire et sociale au cours des dix dernières années.»
5- A qui la faute? L’enseignement privé et le soutien scolaire n’y sont pour rien
Comment expliquer ces inégalités? L’équipe de chercheurs a posé plusieurs hypothèses sur la table: l’impact du contexte économique d’abord. Non, ce n’est pas un élément d’explication de la dégradation des résultats des plus défavorisés. L’enseignement privé, peut-être? Non plus. Les effectifs sont stables et les établissements privés accueillent des publics assez variés: certains accueillent des élèves très favorisés, mais d’autres beaucoup moins.
Le soutien scolaire est aussi balayé par les chercheurs: par rapport aux autres pays de l’OCDE, les élèves français ne sont pas les plus gros consommateurs de cours extrascolaires (20% quand même des élèves de troisième prennent des cours privés… ) Et puis, selon le Cnesco, les effets du soutien scolaire sont assez limités en termes d’apprentissage et donc de réussite scolaire.
La principale explication de l’état des inégalités à l’école tient aux politiques publiques. Et en particulier, à cette politique d’éducation prioritaire menée pourtant de manière constante depuis 35 ans. «Loin de faire de la discrimination positive, elle produit en réalité de la discrimination négative, à cause des effets pervers», avance Georges Felouzis. Il va plus loin:«Mener une politique d’Education prioritaire, c’est aussi accepter la ségrégation sociale et scolaire. C’est la rendre moralement acceptable, en disant: on vous donne plus, tout en ne faisant rien pour lutter contre». Le Cnesco ne préconise pas malgré tout l’arrêt immédiat de la politique d’éducation prioritaire: «commençons d’abord par déségréguer les 100 collèges les plus ghéttoïsés», propose Nathalie Mons.
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