| 25.11.2015
Née Gebelin, la première Française à obtenir le diplôme de docteur en médecine a vu le jour à Bouillargues, dans le Gard. Sa vocation pour la médecine lui est venue très tôt comme elle le raconta dans « La Gazette médicale » du 1er avril 1865 : « J'avais à peine huit ans quand mon père, qui était charron de son état - il n'y a pas de sot métier -, me conduisit chez les sœurs où il exécutait des travaux… ». A l'Hôpital de Nîmes prise en affection par l'une des religieuses, elle suivait, revêtue d'un grand tablier blanc, le service du médecin et donnait aux malades la tisane et le bouillon, et parfois, même elle avait le droit de confectionner un cataplasme. Pas d’études sans le consentement du mari...
Après que la famille Gebelin se soit installée à Paris, Madeleine est mariée, alors qu’elle n’a que 15 ans et un mois à un conducteur d'omnibus et prend le nom de Brès. Son ambition de devenir médecin est toujours aussi forte mais, à l’époque, toutes les obtentions de diplôme devaient avoir le consentement du mari, les femmes mariées étant jugées irresponsables par le droit français de l'époque.
En 1866, Madeleine Brès se présente donc devant le doyen de la faculté de médecine de Paris, Charles Adolphe Wurtz, et lui demande son autorisation pour s'inscrire en médecine et entre le doyen et la jeune femme s’instaure le dialogue suivant :
- Je désire me consacrer à soigner les femmes et les enfants ; je viens M. le Doyen, vous prier de vouloir bien m'autoriser une inscription pour obtenir le diplôme de docteur en médecine.
Mouvement d'étonnement de l'illustre professeur.
- Vous voulez, Madame, faire vos études médicales ? Mais avez-vous vos grades universitaires, vos baccalauréats ?
- Non, M. le doyen, mais qu'à cela ne tienne… Je les aurai.
- De quel pays êtes-vous ?
- Du Midi.
- Je m'en doutais. Eh bien, jeune femme, votre audacieuse entreprise m'intéresse ; travaillez avec courage, et lorsque vous serez bachelier, revenez me voir, je serais heureux de vous donner votre première inscription.
Après avoir obtenu son baccalauréat, Madeleine Brès se représente trois ans plus tard devant le doyen de la faculté de médecine de, lui faisant remarquer que plus rien ne s'oppose à son inscription, d'autant que trois étrangères - l'Américaine Mary Putman, la Russe Catherine Gontcharoff et l'Anglaise Élisabeth Garrett - détentrices des diplômes nationaux reconnus équivalents, ont obtenu le droit de suivre les cours de médecine à la faculté. Pour une Française, c'est plus délicat...
L’intervention de l’impératrice Eugénie
Après que l’accord de son mari ait été accordé le 24 octobre 1868 à la mairie du Ve arrondissement de Paris, Madeleine ne doit qu’à l’intervention de l’impératrice Eugénie qui s’était référée à la loi du 19 ventôse an XI proclamant la liberté du travail, et au soutien du ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, de pouvoir commencer ses études de médecine.
Les opposants à l’arrivée des femmes dans les facs de médecine sont en effet nombreux, à commencer par le docteur Henri Montanier qui, usant des arguments les plus spécieux, écrit en 1868 dans la « Gazette des hôpitaux » : « pour faire une femme médecin, il faut lui faire perdre la sensibilité, la timidité, la pudeur, l'endurcir par la vue des choses les plus horribles et les plus effrayantes. Lorsque la femme en serait arrivée là, je me le demande, que resterait-il de la femme ? Un être qui ne serait plus ni une jeune fille, ni une femme, ni une épouse, ni une mère ». Madeleine, contre vents et marées, mère de trois enfants et âgée de 26 ans, peut enfin devenir élève stagiaire en 1869 dans le service du professeur Broca à l'hôpital de la Pitié.
Le Pr Broca tout éloge pour Madeleine Brès
Avec la guerre franco-allemande et le départ pour le front de nombreux médecins des hôpitaux, elle est nommée « interne provisoire » jusqu'en juillet 1871 sur proposition du professeur Broca, Ce dernier, ne tarit pas d”éloges sur la jeune femme : « Madame Brès est entrée dans mon service en qualité d'élève stagiaire en 1869. Au mois de septembre 1870, l'absence de plusieurs internes appelés dans les hôpitaux militaires, nécessitait la nomination d'internes provisoires. Madame Brès sur ma proposition fut désignée comme interne provisoire. En cette qualité, pendant les deux sièges de Paris et jusqu'au mois de juillet 1871, elle a fait son service avec une exactitude que n'a pas interrompu le bombardement de l'hôpital. Son service a toujours été très bien fait et sa tenue irréprochable. Madame Brès s'est toujours fait remarquer par son zèle, son dévouement et son excellente tenue. Elle nous a particulièrement secondés pendant la dernière insurrection. »
Jules Gavarret, Constant Sappey, Paul Lorain, et Charles Adolphe Wurtz font également son éloge dans un rapport commun : « Par son ardeur au travail, par son zèle dans le service hospitalier, nous nous plaisons à reconnaître que Mme Brès a, par sa tenue parfaite, justifié l'ouverture de nos cours aux élèves du sexe féminin et obtenu le respect de tous les étudiants avec lesquels elle s'est trouvée forcément en rapport. »
Niet au concours de l’externat
Forte de cette expérience comme interne provisoire, Madeleine Brès, qui entre-temps est devenue veuve, entend poursuivre sa carrière hospitalière et présenter le concours de l'externat, puis de l'internat. Malgré l'appui du professeur Broca, le directeur des hôpitaux de l'Assistance publique lui refuse cette possibilité le 21 décembre 1871.
Madeleine Brès n'insiste pas. Elle décide donc de devenir pédiatre et de s'installer en ville. Elle prépare sa thèse dans le laboratoire du professeur Würtz et, le 3 juin 1875, la soutient sur le sujet « De la mamelle et de l'allaitement ». Elle obtient la mention « extrêmement bien » et devient la première Française docteur en médecine. Elle n'est pas la première femme à obtenir le diplôme de médecin en France, l'Anglaise Elizabeth Garrett Anderson l'a devancée cinq ans auparavant après avoir présenté une thèse sur la migraine.
Spécialisée dans la relation mère-bébé Madeleine Brès se spécialise alors dans la relation mère-bébé et l'hygiène des jeunes enfants. Durant sa carrière, elle officie comme professeur d'hygiène et enseigne notamment aux directrices des écoles maternelles de la ville de Paris. Elle dirige le journal Hygiène de la femme et de l'enfant et est l'auteure de plusieurs livres de puériculture. Docteur en médecine avec quatre enfants elle va se dévouer, en tant que précurseur, à la médecine de la femme et de l’enfant pendant 50 ans. En 1880, grâce au généreux concours de quelques femmes reconnaissantes, elle fonde aux Batignolles une crèche modèle après être partie en Suisse, missionnée par le ministre de l'Intérieur, pour étudier l'organisation et le fonctionnement des crèches.
Madeleine Brès connaîtra une fin de vie moins glorieuse, morte à 79 ans, aveugle, pauvre et oubliée.
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