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lundi 23 novembre 2015

Attentats : réduire les séquelles psychiques

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Pascale Santi et Sandrine Cabut
CAROLINE GAMON
Comment prendre en charge les blessures psychiques des milliers de personnes endeuillées, blessées, ou témoins des attentats du vendredi 13 novembre, à Saint-Denis et à Paris  ? Les mairies, associations de victimes d’attentats, services de santé mentale… se sont mis en ordre de marche pour assurer un soutien psychologique en urgence. Des numéros de crise ont été ouverts, notamment le 0 800 40 60 05.
L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) a ainsi déployé un triple dispositif d’une ampleur inédite pour assurer une aide psychologique à son personnel, tandis que des entreprises et leurs mutuelles proposaient aussi une assistance. Objectif de cette mobilisation générale  : apaiser le choc et si possible prévenir les séquelles psychiques, dont l’état de stress post-traumatique (ESPT) est le plus emblématique.

Comment se manifeste l’état de stress post-traumatique ?
Les symptômes, nombreux, peuvent être divisés en trois catégories. Il s’agit de reviviscences répétées de l’événement traumatisant, avec flash-backs et cauchemars. S’y associent des symptômes d’évitement  : maintien à distance des situations et des lieux pouvant rappeler le traumatisme, « anesthésie  » psychique avec perte d’intérêt pour les activités auparavant appréciées.
Le troisième type de signes cliniques correspond à une hypertonie neurovégétative avec état de tension permanent, anxiété, insomnie… « Formellement, le diagnostic d’ESPT ne peut être porté que lorsque les symptômes durent depuis un mois, mais si une personne a des troubles intenses dans les premières semaines, il ne faut pas attendre que le syndrome soit constitué pour la prendre en charge, avec une psychothérapie adaptée et éventuellement des médicaments  », souligne le professeur Philippe Birmes, du laboratoire du stress traumatique de Toulouse.
En pratique, les symptômes peuvent se déclarer des mois, voire des années après le traumatisme, réactivés alors par un autre événement traumatisant. L’ESPT est souvent associé à d’autres troubles neuropsychologiques, en particulier la dépression (présente chez un patient sur deux) et des addictions. « De même, le risque de comportement suicidaire peut être majoré. Le pessimisme ambiant peut peser sur les personnes fragiles  », constate le professeur Louis Jehel (Centre hospitalier universitaire de Martinique), qui a créé en 2001 le premier service de psychotraumatologie à l’hôpital Tenon (APHP).
« Une attention particulière doit être portée aux personnes les plus à risque, comme celles qui ont vécu un traumatisme (violences sexuelles, maltraitance infantile, deuil, accident…) »,ajoute le docteur Gérard Lopez, président de l’Institut de victimologie, fondé en 1994. Mais pas seulement. « L’événement traumatique peut entrer en résonance avec un conflit psychique (relation difficile dans la petite enfance), explique le docteur Sarah Bydlowski, directrice adjointe du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Association de santé mentale (ASM) du 13arrondissement de Paris. Tout appel, toute demande doit être considérée comme plus urgente que d’ordinaire. »

Quelle est sa fréquence  ?

Au cours de leur vie, de 30  % à 40 % des individus sont exposés à au moins une situation traumatisante  : accident de la route, agression, catastrophe naturelle, guerre, attentat… Mais seule une minorité développera un ESPT. Le risque est fonction du type d’événement et du contexte. Au total, une quinzaine de paramètres ont été identifiés  : fragilité psychologique, sentiment de non-contrôle, atteinte physique… Des catastrophes d’origine humaine – comme les attentats, mais aussi les agressions – sont associées à un risque beaucoup plus élevé d’ESPT que celles qui sont naturelles, relèvent les docteurs François Ducrocq et Guillaume Vaiva (psychiatres au Centre hospitalier régional universitaire de Lille), qui ont recensé la littérature internationale. Parmi les rescapés des attentats de 1995 à Paris, près d’un sur trois (31 %) avait développé des symptômes d’ESPT dans les deux à trois ans qui suivaient. La proportion était de 18  % six mois après l’accident dans une étude américaine effectuée chez des victimes d’accident sur la voie publique. La qualité du lien social joue également sur le risque. « C’est un facteur fort de résilience, tout comme la bienveillance  », ajoute le docteur Lopez.
Dans le cas des attentats du 13 novembre, l’incidence des troubles post-traumatiques pourrait être importante, craint le docteur François Ducrocq, qui a assuré une prise en charge psychologique des victimes le lendemain, à la mairie du 11e arrondissement. « En vingt ans d’exercice, j’ai rarement vu des états de dissociation, de sidération et de dépersonnalisation de cette intensité-là, raconte-t-il. Je ne sais pas très bien l’interpréter. Sur le plan quantitatif, c’est sans doute le nombre élevé de morts, et sur le plan qualitatif, de la durée d’exposition au traumatisme. Au Bataclan, certains sont restés plus de deux heures dans des conditions terribles. »

A quoi sont dus ces troubles  ?

A la phase aiguë de l’événement, le stress induit une forte libération de corticostérone, l’hormone de stress. Puis, pour la majorité des individus, tout rentre dans l’ordre en quelques semaines. Que se passe-il dans le cerveau de ceux qui développent un ESPT  ? Des études chez l’homme et l’animal éclaircissent peu à peu les mécanismes neurobiologiques en cause. Des anomalies des circuits cérébraux impliqués dans la mémoire ont ainsi été détectées.
« Les patients présentent à la fois une activité accrue de l’amygdale (structure impliquée dans la mémoire émotionnelle) et un dysfonctionnement de l’hippocampe (intervenant dans la mémoire déclarative) par rapport à des personnes ayant vécu un épisode traumatique mais n’ayant pas développé de trouble  », précise Aline Desmedt (Institut national de la santé et de la recherche médicale – Inserm, université de Bordeaux) dans une tribune publiée le 17 novembre sur le site The Conversation.
Selon cette neurobiologiste, ces observations pourraient expliquer le paradoxe propre à ce syndrome  : une hypermnésie de certains éléments du trauma, impliquant des flash-backs, et une amnésie à l’égard du contexte traumatique. L’équipe bordelaise a développé un modèle de cette altération paradoxale de la mémoire chez la souris, afin de déterminer des marqueurs biologiques de l’ESPT, et de tester des traitements. Elle s’intéresse également aux mécanismes épigénétiques pouvant prévenir ou, au contraire, favoriser le développement de ces troubles. « De nombreuses voies de recherche visent à supprimer la mémoire de l’événement traumatique. Notre approche vise plutôt à la transformer, afin que se développent des souvenirs certes pénibles mais non pathologiques  », indique Aline Desmedt.

Une prévention est-elle possible  ?

C’est tout l’objectif des prises en charge précoces par les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), qui visent à désamorcer les angoisses des personnes traumatisées, notamment en libérant leur parole. Dans la vague d’attentats du 13 novembre, le système a bien fonctionné, grâce à une mobilisation quasi nationale. « Des professionnels ont été rappelés, d’autres se sont présentés spontanément, et des consultations spécialisées ont été rapidement mises en place. On a pu parer au plus pressé, hiérarchiser les priorités. Le soutien médico-psychologique s’est organisé comme un plan blanc hospitalier  », explique François Ducrocq.
CAROLINE GAMON
A cette écoute et à cette verbalisation immédiates peuvent s’ajouter des médicaments. Pendant la phase aiguë, juste après le traumatisme, les tranquillisants de type benzodiazépines ne sont pas recommandés, car ils peuvent avoir des effets paradoxaux. Les médecins des cellules d’urgence peuvent, en revanche, prescrire de l’Atarax, un antihistaminique sédatif. Actuellement, aucun médicament n’a d’autorisation de mise sur le marché pour prévenir l’ESPT, mais beaucoup de molécules font ou ont fait l’objet de tests chez l’animal ou chez l’homme.
Le propanolol, un bétabloquant très utilisé en cardiologie, a obtenu des succès en prévention, lorsqu’il est donné dans les heures qui suivent le traumatisme. Mais sa prescription dans ce cadre reste assez rare, du fait de contraintes d’utilisation. Le propanolol n’efface pas, à proprement parler, les souvenirs du traumatisme, mais il réduirait l’émotion qui lui est associée.
Reconnue comme thérapie des ESPT, l’EMDR (« Eyes movement desensitization and reprocessing  »), un modèle de psychothérapie qui fait appel à des stimulations sensorielles, notamment visuelles, aurait aussi un rôle à jouer en prévention, selon les thérapeutes agréés.« Durant la phase aiguë d’un traumatisme, le cerveau est submergé d’informations violentes qu’il ne peut traiter. L’EMDR peut aider à leur digestion”. Dès la première séance, les personnes peuvent être apaisées, ce qui les aide à dormir sans médicament. Cette approche est par exemple régulièrement utilisée en Italie, dans des contextes de tremblement de terre  »,explique Isabelle Meignant, psychologue à Toulouse. Formatrice en EMDR, elle est à l’origine d’un récent collectif européen pour l’utilisation de cette méthode en situation d’urgence. Ce réseau s’est mobilisé pour proposer gratuitement des séances aux victimes du 13 novembre.

Comment traiter l’ESPT ?

Depuis 2000, cinq sociétés savantes ont émis des recommandations pour sa prise en charge. Le traitement de première intention repose sur la psychothérapie, avec deux techniques qui sortent du lot  : les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) centrées sur le traumatisme et l’EMDR. Dans des centres spécialisés comme Lille ou Toulouse, les praticiens ont en particulier recours à des TCC dites « par exposition prolongée  ». « Le principe de base est de se confronter à la situation qui fait peur pour s’y habituer et devenir moins réactif, décrit le professeur Philippe Birmes. L’exposition, réalisée dans le cadre d’un protocole très précis, est très progressive, d’abord en imagination puis éventuellement in situ. »
Il insiste sur l’éducation thérapeutique de l’entourage. « Juste après un traumatisme, les personnes sont souvent soutenues par leurs proches mais, dans les mois et les années qui suivent, un décalage peut s’installer. Pour l’entourage, l’événement est loin derrière, mais le patient, lui, est toujours au jour J et à l’heure H du traumatisme. Pour l’aider à trouver l’aide dont il a besoin, nous sommes amenés à recevoir les conjoints, les amis… »
L’EMDR est également reconnue dans la prise en charge des ESPT constitués. « Dans le cas de traumatismes simples, cette approche peut être efficace en seulement quelques séances, souligne Stéphanie Khalfa (Institut de neurosciences de la Timone, Marseille), qui mène des travaux, notamment en imagerie par résonance magnétique (IRM), pour comprendre par quels mécanismes agit l’EMDR. Quand j’ai commencé mes recherches, il y a six ans, le milieu médical était encore frileux, mais les mentalités s’ouvrent. Nous travaillons avec la CUMP de Marseille, et nous allons démarrer un protocole avec des militaires qui reviennent de zones de guerre. »
Seuls certains antidépresseurs ont une indication dans le traitement de l’ESPT. Le professeur Birmes dirige actuellement une étude randomisée contre placebo avec le propanolol. En 2001, cette molécule avait montré de nets bénéfices chez des personnes avec un ESPT après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse. Traitées une fois par semaine pendant six semaines juste avant une séance où elles devaient réactiver leurs souvenirs, six sur huit avaient guéri de leurs symptômes.
Reste la délicate question de l’organisation des soins. « La psychothérapie est le traitement de référence de l’ESPT mais, à part dans les établissements publics, les consultations des psychologues ne sont pas remboursées, et de nombreux patients ne peuvent accéder à ce type de prise en charge en soins libéraux  », regrette Philippe Birmes.
Un réseau thématique, ABC des psychotraumas, soutenu par la Fondation FondaMental, a été créé en 2007 pour développer des interactions entre recherche clinique et recherche fondamentale. « L’un de nos grands projets est d’organiser un réseau de centres experts des traumas psychiques sur le territoire, comme cela existe par exemple pour les schizophrénies ou les troubles bipolaires. Lille, Paris, Tours, Toulouse, Montpellier et Marseille pourraient être prêtes rapidement pour ouvrir de tels lieux mais, jusqu’ici, nous n’avons pas pu obtenir de financement  », regrette le professeur René Garcia (université de Nice-Sophia Antipolis), président du réseau ABC des psychotraumas. Plus globalement, des spécialistes appellent à une réflexion sur l’ensemble de la prise en charge, avec une meilleure coordination des soins, dès qu’une tragédie survient.

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