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dimanche 19 janvier 2014

« Le Mur, la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme » à nouveau libre de diffusion

Le Monde.fr | 
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Le droit à la liberté d'expression a gagné. Jeudi 16 janvier, la cour d'appel de Douai a infirmé le jugement rendu le 26 janvier 2012 par le tribunal de grande instance de Lille, qui avait abouti au retrait sur Internet d'un documentaire intitulé Le Mur, la psychanalyse à l'épreuve de l'autisme.
Trois psychanalystes apparaissant dans ce film avaient intenté un procès à sa réalisatrice, Sophie Robert, estimant que leurs propos et pensées avaient été dénaturés lors du montage. Le tribunal de Lille leur avait donné raison et avait interdit la diffusion du film en l'état. La cour d'appel de Douai en a jugé autrement.
Tout en reconnaissant que les propos des psychanalystes tels qu'ils apparaissent après montage sont incomplets et parfois dépourvus des nuances d'origine, elle estime toutefois que la réalisatrice n'a pas dénaturé leur pensée au point de constituer une faute. Le délibéré à peine prononcé, le documentaire, dont le but affiché est de contester l'approche psychanalytique de l'autisme au profit des méthodes cognitivo-comportementalistes,était à nouveau en ligne.

DÉFAITES DE LA PSYCHANALYSE SUR LE TERRAIN DE L'AUTISME
Ce jugement en appel aurait-il abouti aux mêmes conclusions si la psychanalyse n'avait, sur le douloureux terrain de l'autisme, subi depuis deux ans de sévères défaites ? Si le plan autisme 2013-2017, présenté en mai dernier, n'avait entériné avec force les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) ?
Publiées en mars 2012, celles-ci préconisent prioritairement, pour lutter contre ces troubles envahissants du développement (TED), « une approche éducative, comportementale et développementale » fondée notamment sur des apprentissages répétés. Une petite révolution, dans un pays où la guerre fait rage, plus que partout ailleurs, entre tenants des approches psychanalytiques, qui, pour la HAS, « n'ont pas fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur absence d'efficacité », et comportementalistes.
« Les juges ont statué sur le fond : c'est une réhabilitation totale de mon travail de réalisatrice », a déclaré Sophie Robert sitôt le jugement rendu. Elle n'en a pour sa part jamais démordu : au départ de son projet, elle n'avait « pas prévu de faire un film à charge sur la psychanalyse ». Et pourtant ! Partiellement financé par l'association Autistes sans frontières, son documentaire de 52 minutes met en scène une dizaine de psychanalystes, qu'elle a longuement interrogés.
L'une évoque une « mère-crocodile », un autre parle de « désir incestueux » et de « folie transitoire » de la mère. Ce jargon psychanalytique est présenté en opposition avec deux familles filmées dans leur environnement quotidien, dont les enfants autistes, affirment les parents, ont bénéficié d'une prise en charge éducative et comportementale. Le message est limpide. Sans pour autant être convaincant, tant le sujet est complexe et la parole des uns et des autres simplifiée ou caricaturée à l'extrême.
« PIÉGÉS »
Esthela Solano-Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens, les trois psychanalystes qui ont assigné Sophie Robert en justice, sont membres de l'Ecole de la cause freudienne. Contactés par la réalisatrice en septembre 2010 – dans le but, leur avait-elle dit alors, de réaliser un documentaire en trois volets sur la psychanalyse – ils ont découvert le film en ligne un an plus tard, et estiment avoir été « piégés » dans « une entreprise polémique destinée à ridiculiser la psychanalyse ».
La cour d'appel de Douai le reconnaît elle-même dans les attendus de son jugement : le visionnage du film Le Mur « met en évidence l'intention finale de sa réalisatrice de contester les méthodes utilisées par les psychanalystes dans le traitement de l'autisme », et « il n'est pas contestable que ce résultat final et le sens de la démonstration ainsi réalisée par Mme Sophie Robert étaient ignorées, à l'origine, des psychanalystes qui ont été interviewés ». Piégés, donc. Mais pas ridiculisés, ont estimé les juges, qui considèrent également qu'« aucune dénaturation fautive » de leurs propos ne peut être retenue contre la réalisatrice.
« Je suis évidemment déçu de ce jugement », commente Alexandre Stevens, « mais cela ne change à rien à ce que je pense, à savoir que mes propos ont été déformés. Le tribunal ne tient pas compte du fait que j'ai affirmé clairement que les parents n'étaient pour rien dans la causalité de l'autisme ».
Il s'agit là d'un point on ne peut plus délicat, sur lequel Sophie Robert interroge les thérapeutes à plusieurs reprises. Dans les années 1950, la psychiatrie, en effet, considérait avec Bruno Bettelheim que cette pathologie résultait d'un trouble de la relation mère-enfant. A l'heure où l'on cherche à mieux comprendre la part (complexe, mais indéniable) de la génétique dans cette affection neurobiologique, combien de psychanalystes continuent-ils à estimer la mère « coupable » de la maladie de leur enfant ?
Le film ne le dit pas, et c'est dommage. Seule certitude : les rushs versés au débat durant ces deux procès successifs montrent que les propos de « psys » recueillis par la réalisatrice, bien que parfois fort abscons, sont beaucoup plus nuancés que son énoncé introductif, en voix off, qui s'achève par cette affirmation : « Pour les psychanalystes, l'autisme est une psychose, autrement dit un trouble psychique majeur résultant d'une mauvaise relation maternelle. »

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