Ernesto
est l’enfant fou et génial de la Pluie d’été, publié par Duras en 1990. Ernesto
est en retard sur certaines choses, en avance sur d’autres. Il est «dans sa
bulle». Il refuse d’aller à l’école, «parce qu’on y apprend des choses qu’on ne
sait pas». Ernesto aurait pu bénéficier de consultations au centre
médico-psychologique (CMP) de son quartier. Les CMP font partie des secteurs de
pédopsychiatrie mis en place dans les années 70 : structures
extra-hospitalières, lieux d’accueil à taille humaine, loin de l’asile, ils
sont inscrits dans la ville. Les enfants et leurs parents y viennent plus
facilement qu’à l’hôpital, à la recherche d’une adresse pour parler des
angoisses, des traumatismes, des difficultés scolaires et autres cauchemars qui
peuvent compliquer la vie jusqu’à la rendre impossible. Le travail des équipes
de secteur se fait en partenariat avec les écoles spécialisées, les hôpitaux de
jour, les jardins d’enfants, dans un maillage local qui permet d’appréhender la
complexité d’un symptôme dans son contexte. La proximité avec le lieu
d’habitation de l’enfant et de sa famille permet ce travail d’orfèvre, sans
lequel bien des instituteurs ne tiendraient pas longtemps, sans lequel la
violence des adolescents serait encore plus vive.
Mais
aujourd’hui, les agences régionales de santé (ARS) poussent les hôpitaux à
faire des économies sur ce réseau extra-hospitalier qui a un coût. Pour tenter
d’équilibrer son budget étranglé par l’ARS, l’hôpital Sainte-Anne s’apprête à
démantibuler l’historique et symbolique intersecteur infanto-juvénile du XIVe
arrondissement de Paris, créé et tissé pendant plus de trente ans, par Michel
Soulé, Yann du Pasquier, Jean Bergès et beaucoup d’autres. Le CMP des 6-12 ans
est ainsi en passe d’être fermé, et son personnel affecté à un bloc hospitalier
excentré. Cela aura pour effet de démanteler les pratiques de proximité et de
rompre les parcours de soin, que l’ARS est pourtant censée garantir. Ces
économies à court terme auront, à long terme, un coût énorme pour la santé
publique.
Nous
avons affaire à une politique hospitalière qui tente de faire passer une pure
opération gestionnaire pour un projet d’expertise : un soi-disant «pôle
référence enfance» avec mutualisation des moyens. «Mutualisation des moyens» :
une expression de la novlangue administrative pour ne pas dire fermeture de
postes, appauvrissement du travail, isolement des équipes. Une régression qui
va avec un alignement sur les méthodes comportementalistes : la psychanalyse
est attaquée en même temps que le secteur, la parole des patients et des
équipes se referment. Ce qui se profile à l’horizon de ces
fusions-mutualisations, c’est une régression au temps où l’on saucissonnait les
enfants pour traiter leurs «troubles» hors de leur contexte, selon une
conception mécaniste et localiste du symptôme, qui réduit les intervenants à
des techniciens spécialisés et cloisonnés.
Les
professionnels de la santé, qui se réfèrent à la psychanalyse, doivent tenir
sur la conception qu’ils se font du symptôme comme d’une vérité à entendre.
Nous devons tenir sur nos pratiques pour que les symptômes des enfants, comme
des adultes, puissent encore leur servir à dire non, et pour que nos
interventions (et nos institutions) ne servent pas à les museler. Lorsqu’ils
refusent la place qui leur a été assignée, les enfants comme Ernesto nous
apprennent à dire non. Monsieur Evin, directeur de l’ARS de l’Ile-de-France,
peut encore dire non : ne pas laisser faire le démantèlement d’un maillage
nécessaire à la parole de ces enfants qui déjà ne la prennent pas facilement.
Vous pouvez empêcher la fermeture de ces espaces de parole et de soin
nécessaires au lien social.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire