C’est un de ces secrets honteux que l’on garde pudiquement par-devers soi : il n’y a pas assez de place, en France, pour les handicapés mentaux nécessitant une prise en charge permanente en dehors du foyer familial. La Belgique offre, depuis cinq décennies, une solution de secours aux familles françaises en détresse, avec des institutions spécialisées prêtes à accueillir ces personnes, soutenues par un financement public français.
Comme le montre l’enquête que nous publions aujourd’hui, cette délocalisation du handicap est en expansion. Le gouvernement français évalue à 6 500 environ le nombre de handicapés mentaux actuellement accueillis dans des établissements belges. Une partie de ces expatriations est le fait de familles de jeunes autistes, qui préfèrent le mode de traitement pionnier proposé en Belgique à celui pratiqué en France. Mais la majorité des personnes placées en Belgique le sont parce qu’elles n’ont pas pu trouver d’accueil en France.
Cette situation choquante pose deux problèmes. L’éloignement géographique, d’abord ; pour les familles qui ne vivent pas à proximité de la Belgique, il ajoute des difficultés sociales aux difficultés du handicap lui-même. La question, ensuite, de la supervision de la qualité des établissements concernés, dont seulement une minorité relèvent du secteur public conventionné belge.
Sur les 6 500 personnes accueillies en Belgique, 5 000 sont placées dans des institutions gérées par des associations à but lucratif, dont certaines sont devenues des « boîtes à Français » et qui ne respectent pas tous les critères de confort et de sécurité imposés par la réglementation française.
Les autorités françaises sont conscientes du problème. Nicolas Sarkozy avait lancé un plan prévoyant, sur la période 2008-2016, la prise en charge de 40 000 handicapés mentaux ; la mise en œuvre de ce plan se poursuit, mais on sait déjà qu’il sera insuffisant. Paris a négocié avec Bruxelles, qui était demandeur, un accord-cadre permettant aux autorités françaises de contrôler les établissements privés belges dans lesquels sont placés les handicapés français. Ces contrôles, espère-t-on, vont amener progressivement les institutions privées belges à adopter les normes françaises.
Par ailleurs, les familles sortent du silence et commencent à se tourner vers la justice administrative pour contraindre l’Etat à trouver une prise en charge en France pour leur enfant. Deux d’entre elles ont récemment obtenu gain de cause.
Tout cela va dans le bon sens, mais ne résout pas le problème de fond : celui du manque de moyens pour le soutien aux handicapés mentaux en France. Les gouvernements successifs n’ont pas anticipé l’impact de l’allongement de l’espérance de vie des personnes handicapées. L’exigence d’une qualité d’accueil optimale a, paradoxalement, renchéri et ralenti le processus de création d’établissements.
Mais, surtout, hormis sous la présidence de Jacques Chirac, le traitement du handicap n’a jamais été considéré comme une priorité budgétaire. L’absence même de chiffres officiels sur le nombre de handicapés mentaux en France est révélatrice. Il est temps de considérer ces personnes comme des citoyens à part entière, de protéger pleinement leur dignité, d’exiger pour elles le droit de vivre près de leur famille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire