Par Maxime Vaudano
A travers le monde, un peu moins de trois cents morts attendent de revenir à la vie dans des caissons réfrigérés. Des pionniers des années 1960 aux milliardaires immortalistes, en passant par de modestes citoyens refusant la mort, tous partagent un espoir : que la science permette un jour – dans cinquante ou mille ans – d’annuler les effets de la mort, considérée comme une « maladie » réversible.
Les « cryonics », comme on les appelle, ont payé de 12 000 à 200 000 dollars pour avoir « une chance d’éviter la mort », en faisant appel à l’une des trois institutions spécialisées existant dans le monde. Quelque 1 500 personnes supplémentaires ont déjà réservé leur ticket pour les rejoindre après leur décès.
Dans ce petit monde, le vocabulaire traduit l’optimisme : quand l’un d’eux meurt, il est « dé-animé » ; quand on le plonge dans l’azote liquide à - 196 °C, il est « préservé » ; et lorsque, tant pour des questions d’économies que de commodité, on ne congèle que sa tête en attendant la « réanimation », il s’agit d’un « dé-corps » (discorps).
Le rêve du retour, partagé par un nombre croissant d’Américains, mais aussi par quelques Russes et Européens, trouve sa source dans l’ouvrage de Robert Ettinger La perspective de l’immortalité, la « bible » de la cryonie, publiée en 1962. A l’époque, la nouvelle science de la cryobiologie fait ses premiers pas en congelant sans dégâts un cœur de grenouille. Ses chercheurs – qui parviendront plus tard à congeler des spermatozoïdes et même des reins de lapin – ne tardent pas à scruter d’un mauvais œil leurs « frères ennemis » de la cryonie qui mettent la charrue avant les bœufs en proposant de congeler les hommes sans la moindre idée de la façon de les ramener. Aujourd’hui encore, les membres de la Société internationale de cryobiologie risquent l’exclusion en cas d’accointances avec les « cryonics ».
« UNE CHANCE DE VOIR L’AN 3 000 POUR 1 000 DOLLARS PAR AN »
La première pierre de la cryonie est posée en 1967 avec la « préservation » de James Bedford, un professeur de psychologie volontaire pour essuyer les plâtres. Après quatre changements d’adresse, il repose désormais dans les locaux de la société Alcor, en Arizona. Depuis, environ 270 personnes ont fait la même démarche, auxquelles il faut ajouter une grosse centaine d’animaux de compagnie accompagnant leurs maîtres dans leur voyage dans le temps. Mais aucune réanimation n’a encore été tentée.
L’évolution historique du nombre de « cryonics » accomplis montre une réelle poussée à partir des années 1990, qui peut s’expliquer par deux facteurs. D’une part, la mise au point de la technique de « vitrification », une percée scientifique permettant de refroidir les corps sans recourir à la glace – limitant ainsi les dommages. D’autre part, le développement, depuis la fin de la décennie dernière, de polices d’assurance-vie spécifiquement dédiées à la cryonie, qui permettent de « s’offrir une chance de voir l’an 3000 pour 1 000 dollars par an », comme l’explique l’assureur Rudi Hoffman, pionnier et leader incontesté de la discipline aux Etats-Unis, avec un millier de clients revendiqués.
FAIRE OUBLIER LES SCANDALES
Cette possibilité nouvelle, moins hasardeuse que de compter sur le dévouement post-mortem des proches, a contribué à démocratiser la cryopréservation, mais également à sécuriser le financement des trois grandes institutions mondiales. Les forfaits demandés par Alcor, Kriorus et le Cryonics Institute doivent en effet théoriquement permettre de conserver les patients pendant plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, bien que le coût de la « réanimation » reste impossible à prévoir.
Une perspective rassurante pour la communauté, méfiante sur la question financière depuis la multiplication des scandales dans les premières années de la cryonie. Patients rendus à leur famille après la fermeture de l’entreprise, corps négligemment dégelés par manque d’argent… Une période noire que les « cryonics » veulent faire oublier, en insistant sur leur professionnalisme et le statut généralement non lucratif de leurs institutions.
« Il y a un changement dans la perception de la cryonie par le public : le ton pour en parler est plus sérieux », remarque Max More, célèbre futuriste américain et président depuis 2011 d’Alcor, numéro un mondial des services cryoniques. Un phénomène qui se traduit dans le succès de ses offres : pas moins de 968 personnes ont souscrit à la préservation de leur cerveau (80 000 dollars) ou de leur corps entier (200 000 dollars). Parmi eux, quelques prises de choix, comme le célèbre joueur de baseball Ted Williams, ou deux des trois sérieux professeurs d’Oxford qui ont fait leur « coming-out » cryonique en juin dernier.
La lente légitimation de la cryonie s’est également appuyée sur les progrès de la cryobiologie, qui ont permis en 2004 de greffer à un lapin l’un de ses reins qui avait prélablement été congelé à - 130 °C. Un exploit porteur d’espoir pour le genre humain ? Si aucune réanimation n’a encore été tentée, l’ancien cryobiologiste du CNRS, Pierre Boutron, estime que « nous n’en sommes pas si loin, à condition d’y consacrer des moyens et des équipes suffisantes. » « La cryonie est au même stade que la transplantation cardiaque il y a 25 ans ! », s’enthousiasme l’assureur Rudi Hoffman, également membre d’Alcor.
MORT OU RIEN
Grâce à leur montée en puissance, les « cryonics » espèrent un jour faire bouger les lignes qui entravent encore leurs ambitions. Les législations sur l’euthanasie et le suicide assisté interdisent en effet de cryopréserver un vivant en bonne santé. Or, une congélation pré-mortem faciliterait selon eux les éventuelles procédures de réanimation, en évitant une trop grande dégradation de l’organisme par la maladie et la vieillesse.
Kim Suozzi, une jeune étudiante américaine devenue une icône du Web en faisant sponsoriser sa préservation par les internautes, a ainsi dû attendre que son cancer du cerveau la tue pour entrer dans les frigos d’Alcor. En l’état actuel des choses, le président de l’institution Max More confie que la seule solution pour les patients est de se laisser mourir en arrêtant de s’alimenter – ce que certains font quand ils se savent condamnés.« C’est triste d’en arriver là. »
D’autres, au contraire, considèrent la cryonie trop hasardeuse pour risquer plusieurs années de vie en bonne santé.
UN RÊVE EN VOIE DE MONDIALISATION
Un temps cantonnée aux Etats-Unis, la technique fait désormais des émules aux quatres coins du monde. A la suite des Américains Alcor (1972), Trans Time (1972, aujourd’hui en sommeil) et Cryonics Institute (1976), la Russie est devenue en 2003 le deuxième pays à se doter d’une installation de cryopréservation, avec l’entreprise commerciale Kriorus, qui compte désormais 25 patients. Elle devrait bientôt être rejointe par l’Australie, qui doit débuter en 2014 la construction de la première installation de l’hémisphère Sud.
La maigreur de l’offre mondiale n’empêche pourtant pas les régions les moins desservies de rêver à une seconde vie. Si« l’Europe est encore loin derrière les Etats-Unis », comme le constate le vice-président de l’organisation allemande de cryonie, Torsten Nahm, de nombreux Européens souscrivent tout de même à une cryopréservation aux Etats-Unis ou en Russie. Pour les aider à réaliser leur dessein, des structures comme Cryonics UK, en Grande-Bretagne, leur proposent d’intervenir au moment de leur mort. Pour quelques dizaines de livres sterling par mois, elles prennent en charge les premiers soins de refroidissement et le transport du corps vers les installations de stockage outre-Atlantique.
INTERDIT EN FRANCE
Roland Missonnier, l’un des fondateurs de la « Société cryonics de France », envisage toutefois de relancer ses activités l’an prochain avec une demi-douzaine d’autres Français inscrits comme lui au Cryonics Institute. Pour l’heure, leur seule option est de s’expatrier aux Etats-Unis ou en Russie au crépuscule de leur vie pour contourner les obstacles légaux.
Voir le reportage de l’époque sur Antenne 2 : La dame au frigo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire