Ida se fait appeler Dora. Dora la Dingue ? Mi-Dora l’exploratrice du dessin animé, mi-Dora l’hystérique analysée jadis par Freud ; juste une fille en «Doc Martens rouge pompier», égarée dans ses 17 ans : «On se fait des piercings sur le visage, on se fait tatouer… n’importe quoi pour sentir quelque chose d’autre que la torpeur dedans. On invente des vêtements que les autres prennent pour des loques. On se défonce. On touche à la sexualité. On s’enfonce dans les oreilles une musique si forte qu’elle en est inaudible. […] On envoie des textos à s’en fouler les pouces, on tourne des films à l’arrache. On vit par le son et la lumière - par la technologie. Avec, à portée de main, l’arsenal de dope de nos zombies de parents.»
Et Dora traîne avec une bande d’ados flous comme elle : «On dansait fort chaque soir, à se baptiser les uns les autres de bleus.» Il y a Little Teena, ourson gay de plus de 100 kilos, qui «est AUX TAQUETS où qu’il aille et quoi qu’il fasse». Ave Maria, «archi-défoncée la plupart du temps, alors j’ai aucune idée de qui elle est, mais au moins elle est inoubliable». Et Obsidienne : «Obsidienne est tellement Obsidienne qu’on a l’impression qu’elle tuerait quiconque osant, même une seconde, ne pas faire attention à elle.»Dora ressent un truc fort pour elle : «Ses cheveux noirs… battent le mot "nuit" à plate couture. Pas un mec sur Terre ne mouillerait plus pour cette fille que moi.»
Pourtant, Dora est encore vierge, elle vibre puis s’évanouit dès qu’on la touche de trop près. Flash blanc. D’ailleurs, elle suit une thérapie. Parce qu’à 17 ans on est «piégé à l’intérieur d’une voiture appelée "famille" avec des parents grave givrés qui vous tombent dessus à bras raccourcis au moindre virage». Et que ses parents l’y ont forcée. Peut-être après qu’elle s’est rasé-scarifié le crâne, sans raison apparente. Mais son thérapeute, un vieux cocaïnomane qu’elle surnomme «Sig», en fait de l’aider, va la conduire à d’autres extrémités. Dora en régurgitera son enfance, entre dégoût («Je me suis endormie pour me réveiller au pays du fric ? Ça se résume donc à ça, être adulte ?») et résistance («Je serai ton miroir. […] Il faut qu’on continue à se réfléchir les uns les autres, sinon on tombera sous le regard de la culture pop de la mort et du fric.»)
Lidia Yuknavitch, qui n’a plus 17 ans depuis quelques décennies, vit à Portland, Oregon, où elle enseigne la littérature, le cinéma et le féminisme. Elle abat ici son premier roman : un «mélo ado» déjanté mais tenu, un conte initiatique punk, féministe, prodingos ; ultracontemporain dans sa critique du capitalisme voyeur et, dans une moindre mesure, de la techno-utopie. Avec une postface éclairante par Chuck Palahniuk (auteur, entre autres, de Fight Club).
Dora la dingue
Lidia Yuknavitch (Auteur) - Roman (broché). Paru en 10/2013
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