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lundi 19 décembre 2011

UN JARDIN THÉRAPEUTIQUE CHEZ LES FOUS. C’EST FOU, NON ?




Quand la charité architecturale ne se moque pas de la thérapie hospitalière.

L’architecte paysagiste Régis Guignard avec son agence Méristème met au vert la question du jardin et de son effet thérapeutique dans les lieux dits “d’isolement”.

« Personne ne choisit de venir à l’hôpital et, dans ce contexte, ce que le patient peut percevoir de la fenêtre de sa chambre, mais aussi l’ensemble des usagers, prend une dimension toute particulière. La nature a tout inventé, l’homme ne fait au mieux que la découvrir : alors que 70% de la pharmacopée mondiale reste d’origine végétale, le jardin peut agir comme un principe actif à l’image des plantes qui le composent et devenir hospitalier dans tous les sens du terme. Le jardin et le jardinage stimulent les sens, les émotions, la mémoire. Le jardin permet de calmer les douleurs et les angoisses. Ces jardins sont utiles à la santé et au bien être de ceux qui les fréquentent »


Projet de recréation des 14 hectares des espaces paysagers de l’Hôpital Sainte-Anne à Paris

Le centre hospitalier Sainte-Anne avec ses 14 hectares d’emprise est un véritable quartier dans la ville. Le plan d’origine conçu par Charles-Auguste Questel sous l’égide du baron Haussmann en 1867, et encore très présent avec quelques grands bâtiments, des pavillons à galerie et plus de 1000 arbres conservés. Il est à ce titre inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
Cet ensemble architectural a connu de nombreuses transformations au coup par coup liées aux évolutions de la psychiatrie, à l’émergence puis au développement des neurosciences. Son état actuel assez hétérogène ne répond plus aux nouveaux enjeux de l’établissement.

Le projet consiste à requalifier l’ensemble du site par une restructuration globale, où architecture et paysage retrouvent une cohérence d’ensemble. Le Schéma Directeur Immobilier et Architectural est prévu sur une période de 15-20 ans et repose sur la concordance de trois volets : hospitalier, urbain et architectural.

Le volet paysager est totalement imbriqué à l’architecture de Sainte-Anne qui constitue depuis le plan de Questel une authentique petite cité inscrite progressivement dans le tissu urbain environnant. Le parti pris de l’équipe de maîtrise d’œuvre, Architecture Studio et Régis Guignard, repose sur trois objectifs principaux :
- L’ouverture de Sainte-Anne sur la ville avec la question du mur d’enceinte
- La mise en valeur du patrimoine architectural tout en réalisant le projet d’établissement (nouveaux bâtiments) et paysager
- La recréation d’un plateau piétonnier au profit du quartier


Un jardin thérapeutique

Le plan d’origine de l’asile de Questel mérite de s’y arrêter un moment : construit hors la ville (les aliénés à l’époque sont mis au banc de la société, ici la ville de Paris au XIXe) comme la prison voisine, dite de la Santé d’ailleurs… il est construit suivant un schéma emprunté aux communautés religieuses (monastère, abbaye, prieuré, etc.). De figure orthogonale, on y trouve toujours les fonctions principales au centre, l’hébergement en ceinture et souvent… un potager et un verger qui viennent compléter le dispositif, la communauté vivant en autarcie devait satisfaire à ses besoins.
Sainte-Anne ne déroge pas à la règle avec ses parcelles horticoles, impeccablement peignées de sillons comme le montre la gravure d’époque. Les "patients" y sont plutôt exploités comme main d’œuvré gratuite, attachée à la production de nourriture au personnel et aux pensionnaires ; “un effet thérapeutique était second et il faudra attendre longtemps pour que le travail à la ferme soit perçu comme bénéfique à l’institution mais aussi pour les patients. (*)”


La modernité a dilué ces équipements d’origine rurale dans la notion vaguement fonctionnelle d’espace vert, tandis que les faubourgs de Paris rattrapaient progressivement jusqu’à l’engloutir le site de Sainte-Anne.

Dès les années 20 avec F.C. Menninger, le corps médical avait intégré les vertus bienfaisantes de la nature, les sorties sur le terrain et le jardinage dans ses programmes avec les fameux ateliers de thérapie dite “occupationnelle”. D’où l’idée dans notre projet à Sainte-Anne de revisiter ses anciens potagers pour proposer des ateliers d’hortithérapie et de jardins partagés plus en adéquation avec son projet médical (la durée des séjours étant en moyenne aujourd’hui de 15 à 18 jours).

Il va de soi qu’un jardin potager ne se dessine pas. Une fois son implantation arrêtée, Il prend la forme que les jardiniers eux-mêmes vont progressivement lui donner et changera d’aspect au fil des saisons et des soins qu’on lui prodiguera. Plus qu’un projet, un jardin thérapeutique est un processus qui implique l’investissement d’une équipe dédiée (personnel et patients) pour le faire vivre.


L’ouverture impose les conditions de prévoir et d’aménager une ‘’épaisseur signifiante’’ entre le cœur de Sainte-Anne et le quartier qui l’enchâsse :

- signifiante pour les riverains et le public en général qui ne doit pas interpréter l’ouverture comme une brèche disponible, un espace vert de plus sans consistance réelle. Sainte Anne est un hôpital psychiatrique et la réputation de l’École Française de Psychiatrie a fait de cet hôpital une véritable institution que l’on doit se sentir autoriser à pénétrer.
- signifiante pour les patients eux-mêmes qui sous une grande diversité de pathologies, sont majoritairement dépressifs et doivent se sentir ‘’protégés’’ de la société ; ce fameux ‘’setting’’ /settlement ou cadre qui préfigure la régression salvatrice.
Dans notre étude, les franges encadrant le carré historique de l’hôpital vont permettre de régler cette épaisseur de transition.


Le parti pris architectural et fonctionnel du Schéma Directeur se veut surtout rationalisant 

Depuis le plan d’origine de Questel, modèle de rationalité classique, la modernité et en particulier les ‘’trente glorieuses’’ sont venues diluer le caractère de Sainte Anne. Rattrapé par la ville puis phagocyté par elle à coup de nouveaux programmes, services, spécialités, l’hôpital s’est développé sur lui-même suivant une logique d’opportunité foncière sans grande cohérence. Dépositaires d’un bilan, nous entendons redonner de la lisibilité aux usages de l’institution : démolir, regrouper, construire, l’architecture contemporaine entend réconcilier classicisme et modernité qui se côtoient en s’ignorant depuis maintenant un demi siècle.
Le paysage urbain (les sols, la végétation, le mobilier) est désigné comme médiateur du Schéma Directeur sur les quatorze hectares
maintenant urbanisés du site :


Le carré central et l’avenue.

Véritable patrimoine de Sainte-Anne ce secteur est réhabilité avec un grand respect de l’histoire.
Au même titre que les bâtiments, les cours, allées, jardins et esplanades retrouvent leur ‘’jus’’ : les matériaux de sols sont repris, les alignements d’arbres reconstitués et les parterres redessinés en cherchant à mettre en scène toutes les plantes médicinales non toxiques et acclimatées chez nous. Les espaces tenus comme les patios des pavillons sont aménagés en fonction des nouvelles affectations des pavillons eux-mêmes (espaces dédiés).


L’équerre architecturale (franges Broussais-Alésia).

Très construite, cette équerre ménage des percées, des cadrages vers le centre qui sont traités dans la profondeur. Ainsi, rue d’Alésia, le futur accès entre R.Garcin et le plateau technique donne à voir le carré central depuis la rue.

L’équerre paysagère (frange Cabanis-Santé).

Rue Cabanis, l’alignement du bâti s’ouvre progressivement depuis l’angle Broussais et ce recul est aménagé en jardins de “devant” pour permettre à la rue, très dense, de respirer un peu. Seuls, la silhouette de la future FHF et les deux pavillons d’entrée au droit de la rue Ferrus émergeront des frondaisons arbustives.


Rue de la Santé, la différence de niveau permet d’araser le mur d’enceinte pour dégager une promenade en balcon sur la rue. Un parc, en somme, où il fait bon se poser un moment à l’écart de l’institution. Vers le bâtiment de l'INSERM, de terrains de tennis sont reconvertis en jardins potagers. Ateliers d’hortithérapie, à monter en concertation avec le projet médical, ils devraient permettre de renouer ponctuellement avec le plan d’origine.


Le plateau piétonnier

Jusque dans le carré central, les parterres ont cédé au bitume pour aménager des voies de circulation et des places de stationnement. A l’occasion des futures opérations immobilières, la totalité des emplacements repérés en surface seront résorbés par la création de parkings souterrains répartis à la périphérie du site et directement accessible depuis les rues. Un solde créditeur d’une cinquantaine de places permettra de prévenir de futurs besoins mais d’ores et déjà, un véritable plateau piétonnier peut se dégager, autorisé aux ambulances et véhicules de services. Bien que déjà inscrit dans le plan d’EVIP, ce plateau retrouvera sa vocation première et cette disposition constituera l’acquis le plus spectaculaire dans la qualification du paysage urbain de la petite cité.
(*) Professeur D. Sauvage (Horticulture et Programmes thérapeutiques)

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