La psychanalyse dans la série télé américaine
D'abord mis à l'écart, le psychiatre s'affirme de plus en plus aujourd'hui. Retour (non exhaustif) sur quand la série télé américaine passe en analyse.
Par Julien MUNOZ - publié le 15 mars 2011
Flic, avocat, médecin, politicien, journaliste… autant de professions qui ont trouvé maintes et vastes représentations à travers la petite lucarne. Si celles-ci ont toujours bénéficié d’une large couverture dans le cadre de la fiction, celle du psychothérapeute et de la psychanalyse en général est en revanche une figure encore jeune dans le paysage audiovisuel ayant attendue son heure pour s’imposer et qui tend aujourd’hui à devenir un incontournable dans le monde de la série télé. Ne serions-nous pas tous en train de suivre une thérapie sans le savoir ?
Première approche
Difficile de préciser dans quel programme ou de quand date exactement la première apparition d’un « médecin de la tête » dans un feuilleton. Probablement depuis les débuts de la télévision mais on peut être sûr qu’il ne s’agissait pas d’un rôle d’importance, ni moteur de l’intrigue. Avant les années 70, rares sont les possibilités pour le psy de voir son métier mis sur le devant de la scène autrement que dans une fonction occasionnelle ou secondaire dans le meilleur des cas. L’arrivée sur CBS de The Bob Newhart Show (1972-1978) sera l’une des exceptions qui confirment la règle puisque la sitcom se focalise justement sur le quotidien d’un psychologue (Robert Hartley incarné par l’acteur Bob Newhart) devant jongler entre sa vie de famille et ses obligations professionnelles.
Presque vingt plus tard, Billy Cristal crée Sessions qui, le temps de six épisodes, suit les entretiens entre un avocat quadragénaire et le docteur Bookman (Elliot Gould), elle aussi mettant sur la table les problèmes de la middle classe américaine sous le prisme de la comédie avec un soupçon de gravité en plus. Un mélange dont s’inspireront plusieurs confrères par la suite parmi lesquels la populaire Ally McBeal (1997-2002). Au-delà de son amusant dispositif consistant à matérialiser à l’écran les pensées retorses d’une avocate allumée (Calista Flockhart), David E. Kelley aura fortement contribué à décoincer l’image du psychanalyste, notamment grâce au docteur Tracey Clark (Tracey Ullman) et à ses pratiques peu conventionnelles. Mis progressivement en confiance par le biais de l’humour et de l’autodérision, le téléspectateur s’avère enfin prêt à passer un nouveau cap. La représentation du psychothérapeute aussi.
Promotion canapé
La série qui a tout changé, à laquelle il est impossible de ne pas se référer, c’est bien évidemment Les Soprano(1999-2007) et le Dr. Jennifer Melfi (Lorraine Bracco) chargée de consoler la conscience torturée d’un parrain du New Jersey. Hormis l’engouement critique et public pour la brillante plongée du drama de David Chase dans le monde de la mafia, celui-ci aura suscité l’admiration pour le réalisme et l’indéfectible sérieux avec lequel il traite les séances de thérapie (noyau spirituel du show), et sa description de la relation intime qui peut se nouer entre le malade et son praticien. L’identification avec des personnages aux comportements complexes et aux blessures profondes sera tel qu’en 2001, Lorraine Brasco sera l’invitée d’honneur d’un congrès américain de psychanalystes afin de discourir sur le transfert affectif et identificatoire ayant lieu des deux côtés de la barrière fictionnelle. Comme tout véritable phénomène culturel, Les Soprano suscitera bien des vocations parmi la concurrence qui recycle à toutes les sauces le protagoniste du psy : The Trouble with Normal, Tell Me You Love Me, State of Mind, Head Case, Huff, Mental… et Web Therapy et ses séances accélérées par internet. En une décennie, on ne compte déjà plus les tentatives du petit écran de nous faire allonger sur le divan, or aucune ne s’y est prise comme En Analyse.
Adapté d’un programme israélien d’Hagai Levi (BeTipul), In Treatment en VO constitue sans doute l’expérience qui se rapproche le plus d’une psychanalyse suivie : la série ne se contente pas de narrer le métier du Dr. Paul Weston (Gabriel Byrne) mais bel et bien de procéder à ce fameux « transfert » via une mise en place narrative au plus près de la réalité du traitement thérapeutique et repoussant les limites de la fidélisation du public. Diffusé tous les jours de la semaine, En Analyse octroie une journée donnée à chacun des quatre patients réguliers de Weston qui se confiera lui-même le dernier jour à un autre collègue pour mieux faire le point sur son travail et ses propres failles en tant qu’individu. Ainsi pour l’auditeur fidèle prêt à s’immerger dans des récits basé sur une inaction scénique et des échanges verbaux abordant un riche canevas de problèmes sociaux (qui pourront être les siens), l’ouvrage est un bon moyen de mettre en perspective son vécu sans se ruiner. Les consultations télévisées ne manqueront pas à l’avenir, car malgré une audience faiblarde, En analyse perdure et se décline déjà dans plusieurs autres pays du globe. Une version française est même en gestation.
C’est grave docteur ?
Comment expliquer une telle prolifération ? Il y a déjà la démocratisation croissante de la psychiatrie durant les années 90. Difficile également de ne pas faire un parallèle avec l’âge d’or de la série télé qui au tournant du siècle nouveau a permis au psychiatre de devenir une espèce d’emblème de cette nouvelle production chargée de héros ne sachant plus trop où donner de la tête : violents (Jack Bauer de 24 heures chrono) névrotiques (la famille Fisher de Six Feet Under), psychopathes (Dexter), schizophrènes (United States of Tara), toxicomanes (Nurse Jackie), troubles de l’identité sexuelle (Max dans The L Word)… le diagnostic est long dans cet éventail de fenêtres ouvertes sur une société moderne se questionnant sur ses propres démons. Analyser et comprendre est justement le premier pas vers la guérison… ou d’une possible prévention.
On ne s’étonnera donc pas de voir les professionnels du comportement humain devenir des alliés précieux des forces de police (de New York Unité Spéciale à Lie to Me, en passant par Esprits Criminels). Inévitables, les psychologues de la télé se sont même infiltrés dans d’autres domaines tout aussi spirituels (Sœur Peter Marie deOz). Cet amalgame entre médecine et religion on le retrouve dans quelques scènes de Nurse Jackie lorsque son anti héroïne vient s’allonger sur les bancs d’une chapelle moins pour se confesser ses fautes à un ami dans le secret que pour se confier à une oreille silencieuse. Le schéma est identique pour le proxénète Al Swearengen (Deadwood) qui prenait fréquemment l’habitude de l’autoréflexion en compagnie d’une de ses filles en plein travail. Les voies de la psychanalyse sont décidément impénétrables.
En analyse : Interview du créateur Hagai Levi
In Treatment (En analyse) est l'adaptation d'une série née en Israël et intitulée Be Tipul. On la doit au créateur et scénariste Hagai Levi. Interview.
Hagai Levi est le créateur et scénariste de Be Tipul, une série israëlienne qui a fait beaucoup parler d'elle entre 2005 et 2008. Tant et si bien que HBO s'est emparé du concept (un psychothérapeute reçoit chaque jour un patient avant de se faire analyser lui-même en fin de semaine) pour accoucher de In Treatment (En analyse). Si les audiences de la série aux Etats-Unis ne sont guère flamboyantes, son succès d'estime et les critiques dythirambiques en ont fait un évènement télévisuel majeur. La saison 3 débute sur Orange Ciné Max.
Il semble que Be Tipul soit né de votre propre expérience de la thérapie. A quel point la série parle t'elle de vous ?
Hagai Levi) Il est toujours difficlie de dire d'où vient une idée. Il n'y a pas de personnages qui me représentent. Je suis un juif orthodoxe très religieux donc j'ai essayé de créer un personnage qui était comme moi. Je n'y suis pas arrivé. Je crois que tous les protagonistes ont quelque chose de moi. Il m'est difficile de dire ce qu'ils ont de moi à chaque épisode. la série est écrite par des scénaristes différents qui mettent chacun quelque chose de personnel dans les personnages pour qui ils écrivent.
Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire sur cinq jours ?
HL) Premièrement, j'ai pensé que cela imitait la vie. Chaque jour, c'est un nouveau patient, un nouveau jour. Je sentais que cette narration était proches de la réalité. J'aime aussi cette idée d'une série quotidienne, le fait que vous ayez la même horaire chaque jour. C'est très addictif. Cela fait partie de votre vie, de votre planning. C'est le but de la télévision.
Il a fallu convaincre les chaînes qu'une telle série puisse exister...
HL) J'ai réalisé deux pilotes avec un petit budget. C'était la seule manière de leur montrer que cela pouvait être sophistiqué et pas ennuyeux. Ils en ont voulu plus. je n'aurai jamais pu vendre une série comme Be Tipul juste avec un scénario. Cela m'a pris presque deux ans pour vendre le concept.
Quel fut le plus gros challenge lors de la réalisation de ces pilotes ?
HL) Je crois qu'il fallait rester modeste. C'est très facile de faire bouger sa caméra, de multiplier les plans... Il fallait faire entièrement confiance aux acteurs et que la caméra ne soit pas trop présente. Le texte est le plus important. Il n'y avait pas d'improvisation. Chaque mot a son importance. Chaque phrase du thérapiste peut changer la donne. C'est pour cela que le casting doit être parfait. Il faut les bons acteurs...
Comment la profession a-t-elle réagit à la série ?
HL) D'une très belle manière et ce, partout dans le monde. Nous avons présenté le métier de la manière la plus approprié. J'ai été à beaucoup de conventions et les réactions des professionnels m'ont fait chaud au coeur. En plus, cela a rendu la thérapie plus populaire, donc les gens se sont déplacés chez eux...
Comment s'est déroulé le casting de l'adaptation américaine par HBO ?
HL) Nous avons immédiatemment pensé à Gabriel Byrne dans le rôle principal même si nous avions aussi une autre option dont je tairai le nom. Il a vu un épisode Be Tipul mais ne voulait pas être plus influencé. Une fois qu'il a fait partie du projet, il a été évidemment plus simple d'avoir d'autres bons acteurs. Je pense à Mia Wasikowska qui n'avait que 17 ans à l'époque. Je me suis dit qu'une star était née. Il y a eu Dianne Wiest. Nous avons été chanceux qu'elle accepte. Dans la version Israêlienne, son personnage était très froid alors que l'actrice est quelqu'un de très chaleureux. Laura a été le dernier personnage a être casté. Nous avons eu des difficultés à la trouver.
Il y avait de très belles séquences de thérapie dans Les Soprano...
HL) Je me rappelle que je voulais en voir plus ! Ce fut une de mes inspirations. Ce sont les scènes les plus intéressantes de la série pour moi. C'était un signe pour moi que le monde était prêt pour ce genre de show.
Etre interviewé par un inconnu comme moi, est-ce une forme de thérapie pour vous ?
HL) (Rires) Oui. Pour moi, la thérapie est un dialogue. Je ne grandis que par le dialoguie et je suis addictif au dialogue. J'essaye d'avoir des angles différents et en vous parlant je me connais plus moi-même. Chaque conversation telle que celle là est donc très importante pour moi.
Propos recueillis et traduits par Nicolas SCHIAVI au Festival Séries Mania 2010.
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