Du côté de la Suisse
Sortir des préjugés
JULIEN WICKY
20 janvier 2011
PSYCHIATRIE
A l'hôpital de Malévoz à Monthey, c'est la relation de confiance avec les patients qui est privilégiée. A mille lieues de l'imaginaire collectif.
«Malévoz c'est pour les fous.» Qui n'a jamais entendu ou même prononcé cette phrase? Les représentations populaires sur l'hôpital psychiatrique de Monthey ne manquent pas: asile, camisoles de force, cellules capitonnées. On est pourtant bien loin de tous ces préjugés appartenant au passé et au cinéma. La psychiatrie fait partie intégrante des soins médicaux et participe au bien-être d'un patient. Le docteur Eric Bonvin, directeur du Centre hospitalier du Chablais (CHC) et médecin directeur des Institutions psychiatriques du Valais romand, nous donne un éclairage sur le rôle d'un hôpital comme celui de Malévoz. La psychiatrie: mode d'emploi.
En premier lieu, quelle définition pourriez-vous donner d'un établissement psychiatrique ?
Comme tout autre hôpital, c'est avant tout un établissement de soins pour des personnes qui souffrent. Certes, la souffrance est différente d'une douleur physique mais elle n'en est pas moins importante. On parle dans ce cas d'une souffrance psychique ou morale.
A la différence des autres soins, il nous est impossible de déterminer une cause biologique; un scanner ou un IRM ne nous donnera aucune réponse sur la raison de l'état psychique d'un patient. De plus, dans notre cas le mal est subjectif et singulier, c'est-à-dire qu'un même événement peut avoir un impact d'une intensité variable sur chaque individu. Cela suppose l'intervention de sentiments plus ou moins importants: angoisse, tristesse, colère, etc. Ce sont sur ces aspects, propres à chacun, que nous devons agir.
Quelles sont, concrètement, les affections auxquelles vous êtes fréquemment confrontés ?
Très clairement ce sont des états dépressifs, parfois extrêmement forts. Ils se traduisent par un épuisement moral et un phénomène qui prend de plus en plus d'importance; la dépréciation de soi. Je pense qu'on peut le qualifier d'un véritable mal de société. Certains n'hésitent pas à utiliser le mot «épidémie». Sans qu'il y ait nécessairement une hospita- lisation, on estime la proportion de la population atteinte par ces souffrances de manière récurrente à près de 20%.
L'hospitalisation est donc plutôt un dernier rempart ?
Pour ce genre de maux, absolument. Il existe une quantité d'«étapes» à franchir avant d'avoir recours à une hospitalisation en psychiatrie. Tout le monde est confronté, à un moment de sa vie, à une intense souffrance psychique. Le plus souvent, les proches permettent d'écarter cette douleur. Dans des cas plus graves, c'est une consultation ambulatoire avec un médecin généraliste ou un psychiatre. L'hôpital ne traite qu'un infime pourcentage des personnes atteintes. Souvent, elles sont en véritable rupture avec elles-mêmes et la société. Ces cas peuvent se traduire par des psychoses ou des crises très fortes d'angoisse, de tristesse, etc.
Des patients viennent-ils spontanément se présenter à Malévoz ?
Bien sûr et c'est même le plus grand nombre de nos patients. Près de 85% sont des gens qui se rendent compte qu'ils ont besoin d'aide. Ils le font parfois eux-mêmes, parfois avec l'aide de leurs proches, du milieu dans lequel ils vivent ou sur le conseil d'un autre médecin. La première condition pour soigner un patient est qu'il accepte et reconnaisse ce besoin. Il est impossible de forcer quelqu'un à se soigner. Les 15% restants sont composés essentiellement par des gens ayant tenté de mettre fin à leur vie ou en crises intenses et urgentes. Enfin, nous accueillons des personnes représentant un danger pour elles-mêmes ou pour les autres.
Comment procédez-vous pour traiter ces différents cas ?
Le premier élément indispensable et s'appliquant à tous les types de patients est l'instauration d'une relation de confiance. Cet aspect est absolument capital en particulier pour ceux qui ne sont pas venus de leur propre initiative.
Pour certains patients, à peine sortis des soins intensifs après une tentative de suicide, il faut les rassurer sur la raison de leur présence ici. Lorsque la relation de confiance est établie, la solution passe surtout par de l'apaisement et du repos. Les médicaments font partie de ce processus mais aucun n'est administré contre la volonté du patient. Si bien que toutes les hospitalisations, à quelques exceptions près, deviennent entièrement volontaires. Il faut savoir que la plupart des patients ne font qu'un seul séjour ici et le retour à la vie de tous les jours se passe majoritairement très bien.
On est donc très loin de l'image de l'asile fermé et des préjugés par rapport à celui-ci ?
Évidemment et il est important de le souligner. Pour trop de monde, l'image de l'hôpital psychiatrique est encore associée à l'enfermement, aux cellules capitonnées, etc. Cela fait plus de quarante ans que Malévoz est un hôpital ouvert où chacun est libre d'entrer et de sortir.
Il en est de même en ce qui concerne la «folie». C'est une fausse idée selon laquelle les gens voudraient qu'on puisse cataloguer chacun comme étant normal ou non ou lui coller une étiquette ou l'autre en lien avec la folie. La norme n'existe pas en psychiatrie, seule est prise en compte par elle la souffrance et son possible soulagement. Chaque individu a sa propre singularité.
Vous parliez de personnes représentant un danger pour elles-mêmes et les autres, quelles sont les mesures prises ?
La chambre pupillaire, instance de justice civile, peut prononcer des peines de privation de liberté à des fins d'assistance. L'établissement a donc recours à des mesures de protection qui se traduisent, si la personne y consent, par des soins. Nous n'avons pas de moyen de les empêcher de partir ou des les forcer à se soigner. Dans de rares cas, des patients placés contre leur gré peuvent donc avoir des réactions violentes face au personnel soignant ou aux autres qui sont perçus comme hostiles. Toutefois, cette violence n'est jamais gratuite; elle est la conséquence d'une souffrance précise.
Pour ces cas plus importants, comment se passe le retour à la société ?
Autrefois, médecins et patients restaient parfois toute leur vie dans un asile. Aujourd'hui, il faut favoriser le retour à l'extérieur. Grâce à des structures socioculturelles, on essaie de dire à la société: «Venez les accueillir.» La ville de Monthey jouent très bien le jeu. Il existe une importante solidarité; un lien se crée avec les personnes souffrantes.
Sortir des préjugés
JULIEN WICKY
20 janvier 2011
PSYCHIATRIE
A l'hôpital de Malévoz à Monthey, c'est la relation de confiance avec les patients qui est privilégiée. A mille lieues de l'imaginaire collectif.
«Malévoz c'est pour les fous.» Qui n'a jamais entendu ou même prononcé cette phrase? Les représentations populaires sur l'hôpital psychiatrique de Monthey ne manquent pas: asile, camisoles de force, cellules capitonnées. On est pourtant bien loin de tous ces préjugés appartenant au passé et au cinéma. La psychiatrie fait partie intégrante des soins médicaux et participe au bien-être d'un patient. Le docteur Eric Bonvin, directeur du Centre hospitalier du Chablais (CHC) et médecin directeur des Institutions psychiatriques du Valais romand, nous donne un éclairage sur le rôle d'un hôpital comme celui de Malévoz. La psychiatrie: mode d'emploi.
En premier lieu, quelle définition pourriez-vous donner d'un établissement psychiatrique ?
Comme tout autre hôpital, c'est avant tout un établissement de soins pour des personnes qui souffrent. Certes, la souffrance est différente d'une douleur physique mais elle n'en est pas moins importante. On parle dans ce cas d'une souffrance psychique ou morale.
A la différence des autres soins, il nous est impossible de déterminer une cause biologique; un scanner ou un IRM ne nous donnera aucune réponse sur la raison de l'état psychique d'un patient. De plus, dans notre cas le mal est subjectif et singulier, c'est-à-dire qu'un même événement peut avoir un impact d'une intensité variable sur chaque individu. Cela suppose l'intervention de sentiments plus ou moins importants: angoisse, tristesse, colère, etc. Ce sont sur ces aspects, propres à chacun, que nous devons agir.
Quelles sont, concrètement, les affections auxquelles vous êtes fréquemment confrontés ?
Très clairement ce sont des états dépressifs, parfois extrêmement forts. Ils se traduisent par un épuisement moral et un phénomène qui prend de plus en plus d'importance; la dépréciation de soi. Je pense qu'on peut le qualifier d'un véritable mal de société. Certains n'hésitent pas à utiliser le mot «épidémie». Sans qu'il y ait nécessairement une hospita- lisation, on estime la proportion de la population atteinte par ces souffrances de manière récurrente à près de 20%.
L'hospitalisation est donc plutôt un dernier rempart ?
Pour ce genre de maux, absolument. Il existe une quantité d'«étapes» à franchir avant d'avoir recours à une hospitalisation en psychiatrie. Tout le monde est confronté, à un moment de sa vie, à une intense souffrance psychique. Le plus souvent, les proches permettent d'écarter cette douleur. Dans des cas plus graves, c'est une consultation ambulatoire avec un médecin généraliste ou un psychiatre. L'hôpital ne traite qu'un infime pourcentage des personnes atteintes. Souvent, elles sont en véritable rupture avec elles-mêmes et la société. Ces cas peuvent se traduire par des psychoses ou des crises très fortes d'angoisse, de tristesse, etc.
Des patients viennent-ils spontanément se présenter à Malévoz ?
Bien sûr et c'est même le plus grand nombre de nos patients. Près de 85% sont des gens qui se rendent compte qu'ils ont besoin d'aide. Ils le font parfois eux-mêmes, parfois avec l'aide de leurs proches, du milieu dans lequel ils vivent ou sur le conseil d'un autre médecin. La première condition pour soigner un patient est qu'il accepte et reconnaisse ce besoin. Il est impossible de forcer quelqu'un à se soigner. Les 15% restants sont composés essentiellement par des gens ayant tenté de mettre fin à leur vie ou en crises intenses et urgentes. Enfin, nous accueillons des personnes représentant un danger pour elles-mêmes ou pour les autres.
Comment procédez-vous pour traiter ces différents cas ?
Le premier élément indispensable et s'appliquant à tous les types de patients est l'instauration d'une relation de confiance. Cet aspect est absolument capital en particulier pour ceux qui ne sont pas venus de leur propre initiative.
Pour certains patients, à peine sortis des soins intensifs après une tentative de suicide, il faut les rassurer sur la raison de leur présence ici. Lorsque la relation de confiance est établie, la solution passe surtout par de l'apaisement et du repos. Les médicaments font partie de ce processus mais aucun n'est administré contre la volonté du patient. Si bien que toutes les hospitalisations, à quelques exceptions près, deviennent entièrement volontaires. Il faut savoir que la plupart des patients ne font qu'un seul séjour ici et le retour à la vie de tous les jours se passe majoritairement très bien.
On est donc très loin de l'image de l'asile fermé et des préjugés par rapport à celui-ci ?
Évidemment et il est important de le souligner. Pour trop de monde, l'image de l'hôpital psychiatrique est encore associée à l'enfermement, aux cellules capitonnées, etc. Cela fait plus de quarante ans que Malévoz est un hôpital ouvert où chacun est libre d'entrer et de sortir.
Il en est de même en ce qui concerne la «folie». C'est une fausse idée selon laquelle les gens voudraient qu'on puisse cataloguer chacun comme étant normal ou non ou lui coller une étiquette ou l'autre en lien avec la folie. La norme n'existe pas en psychiatrie, seule est prise en compte par elle la souffrance et son possible soulagement. Chaque individu a sa propre singularité.
Vous parliez de personnes représentant un danger pour elles-mêmes et les autres, quelles sont les mesures prises ?
La chambre pupillaire, instance de justice civile, peut prononcer des peines de privation de liberté à des fins d'assistance. L'établissement a donc recours à des mesures de protection qui se traduisent, si la personne y consent, par des soins. Nous n'avons pas de moyen de les empêcher de partir ou des les forcer à se soigner. Dans de rares cas, des patients placés contre leur gré peuvent donc avoir des réactions violentes face au personnel soignant ou aux autres qui sont perçus comme hostiles. Toutefois, cette violence n'est jamais gratuite; elle est la conséquence d'une souffrance précise.
Pour ces cas plus importants, comment se passe le retour à la société ?
Autrefois, médecins et patients restaient parfois toute leur vie dans un asile. Aujourd'hui, il faut favoriser le retour à l'extérieur. Grâce à des structures socioculturelles, on essaie de dire à la société: «Venez les accueillir.» La ville de Monthey jouent très bien le jeu. Il existe une importante solidarité; un lien se crée avec les personnes souffrantes.
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