Berlin, le samedi 29 juillet 2023
Le site Retractation Watch tient à jour un classement des scientifiques ayant eu le plus de publications retirées pour fraude. La tête du classement vient de connaitre un changement important.
Peut-être en rapport avec la Covid, les activités de publication des médecins et scientifiques du monde entier ont explosé ces dernières années, avec plus de 6 millions d’articles publiés chaque année sur la planète. Une véritable course à la publication et au chiffre qui pousse parfois certains scientifiques peu scrupuleux à falsifier leurs résultats voire à inventer de toute pièce des études. En parallèle de l’inflation de la publication scientifique s’est donc développé une autre activité, celle de traquer les fraudes dans les articles. Le site internet Retractaction Watch, créé en 2010, participe de cet élan, en tentant de recenser tous les articles scientifiques rétractés dans le monde.
Le site tient notamment un classement des scientifiques qui ont vu le plus de leurs articles retirés par des revues scientifiques. Un classement qui connait depuis le 12 juillet dernier un nouveau leader. Il s’agit du Professeur Joachim Boldt (ou plutôt ex-professeur), un anesthésiste allemand exerçant dans le sud de l’Allemagne. Ce fraudeur en série a vu 185 de ses publications scientifiques retirées par diverses revues scientifiques, notamment dans le journal Intensive Care Medicine, journal officiel de la société européenne de médecine intensive.
Des premiers soupçons à partir de 2010
Auteur de publication scientifiques depuis la fin des années 1980, Joachim Boldt a longtemps été considéré comme l’un des plus éminents spécialistes de l’utilisation de substances dites colloïdes en médecine. Ces (faux) travaux démontraient notamment les bienfaits de l’utilisation en chirurgie d’hydroxyéthylamidon sous forme colloïde pour augmenter la pression artérielle des patients.
Les premiers soupçons sur les « activités » de recherche de Joachim Boldt ont débuté en 2010, lorsqu’il a été découvert que certains de ses articles contenaient des informations fausses ou que d’autres études impliquant des patients n’avaient pas été validés par des comités d’éthique. Neuf premiers articles signés par Boldt ont ainsi été retirés en 2011, puis trois autres en 2020, qui s’appuyaient sur des études décrites dans des articles également retirés.
Le journal Intensive Care Medicine et son éditeur Springer Nature n’ont cependant pendant longtemps pris aucune autre mesure contre Boldt, signe selon Retractation Watch de la difficulté d’un grand nombre de journaux scientifiques à s’auto-censurer. Il a finalement fallu attendre un communiqué de l’université de Giessen dans laquelle Boldt exerçait recommandant de retirer tous les articles qu’il a signé, même lorsque la fraude n’était pas établie, pour que la chasse aux articles de Boldt commence à partir de 2020. Des rétractations d’articles qui ont récemment atteint le record de 185 publications retirées, faisant de Boldt le nouveau leader du classement de Retractation Watch.
Les médecins japonais fâchés avec la vérité
Entre temps, Boldt s’est vu suspendre de l’hôpital où il exerçait, exclu de l’université où il enseignait et est sous le coup d’une enquête pénale pour fraude. Par ailleurs, une méta-analyse excluant les articles signés par Boldt a pu prouver que l’utilisation d’hydroxyéthylamidon en chirurgie, loin de faire remonter la pression artérielle comme le prétendait l’anesthésiste allemand, pouvait provoquer de graves atteintes rénales potentiellement mortelles. Les supercheries de Boldt pourraient donc indirectement avoir causé de nombreux morts sur la planète.
En prenant la tête du « prestigieux » classement de Retractation Watch, Joachim Boldt devance Yoshitaka Fujii, un anesthésiste japonais (de là à conclure que tous les anesthésistes sont malhonnêtes il y a un pas que nous ne franchirons pas). Les médecins japonais semblent d’ailleurs quelque peu fâchés avec l’éthique scientifique, puisqu’on en trouve cinq dans le top 10 des scientifiques avec le plus de rétractations d’articles.
A l’inverse, aucune femme ne figure dans les trente premiers du classement de Retractation Watch. Une étude américaine menée en 2013 avait en effet prouvé que 68 % des scientifiques reconnus coupables de fraude étaient des hommes. On pourrait attribuer cette différence entre les sexes à une répartition inégale des postes à responsabilité entre médecins hommes et femmes (et donc entre les signataires de publications) ou à une agressivité et un esprit de compétition plus marqué chez les hommes (qui ont également tendance à adopter des comportements plus risqués). Mais une autre explication ne peut pas être exclue : celle que les femmes scientifiques fraudent tout autant, mais plus intelligemment et se font donc moins souvent rattraper par la patrouille.
Quentin Haroche
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