par Elise Viniacourt publié le 13 juillet 2023
par Elise Viniacourt
Une puce injectée dans le cerveau permettant de courir et calculer plus vite, une conscience téléchargeable sur ordinateur… L’évocation du terme «neurotechnologies» suffit pour faire émerger moult références pétries de transhumanisme et de science-fiction. Le sujet paraît futuriste, hypothétique. Pourtant, dès ce jeudi 13 juillet, l’Unesco se penche dessus. Et en grande pompe. Des ministres, des universitaires, des médias se réunissent depuis 9 heures pour aborder ensemble les défis éthiques soulevés par ce domaine. Un événement déjà nécessaire, selon la directrice adjointe pour les sciences humaines de l’institution des Nations unies, Gabriela Ramos, qui souligne auprès de Libération la place qu’occupent déjà dans nos vies les neurotechnologies. Mais pas sous la forme que nous imaginons.
Les neurotechnologies font l’objet de nombreux fantasmes. Mais qu’englobent-elles concrètement ?
C’est vrai qu’elles nous renvoient à notre imaginaire, à des films de science-fiction… Mais ce qu’on entend par «neurotechnologie», c’est plus globalement tout dispositif qui est utilisé pour accéder à la structure et au fonctionnement du cerveau. Ça peut être pour le contrôler, le comprendre ou encore l’émuler.
Aussi, il y a des neurotechnologies dites «invasives», comme les implants. Ou les non-invasives comme les casques VR ou d’électroencéphalographie qui recueillent beaucoup d’informations sur nos réactions, nos émotions, ce qui nous intéresse… Ce sont des données que l’on qualifie de «neuronales»[ou «cérébrales», ndlr], qui sont très sensibles et qu’il convient de protéger.
Sur YouTube, TikTok ou encore Instagram, la durée que passe un internaute sur une publication, la façon dont il réagit à un certain type de contenu, sont parfois enregistrées pour personnaliser l’algorithme…
Ce sont tout à fait des données neuronales. Les réseaux sociaux récoltent énormément de ce type d’information à des fins marketing. Le neuromarketing, qui utilise nos biais cognitifs grâce à ces données, est déjà une réalité. Et, avec l’essor de l’intelligence artificielle générative, le secteur privé des neurotechnologies connaît une impulsion énorme. De 2014 à 2021, les investissements en la matière ont augmenté de 700 % dans les entreprises de neurotech. Ils s’élèvent désormais à 33,2 milliards de dollars contre 6 milliards du côté des Etats.
Mais cet essor est très inégal puisqu’il se déroule essentiellement aux Etats-Unis, qui recensent à eux seuls 50 % des boîtes du milieu, et en Europe qui en compte 35 %.
Les neurotechnologies ont-elles tout de même permis des avancées sur le plan de la médecine ?
Absolument, il y a des recherches qui grâce à elles comprennent mieux le cerveau pour nous aider à lutter contre les troubles de la mémoire. D’autres se concentrent sur les problèmes de motricité comme la paralysie. Les neurotechnologies sont aussi prometteuses sur des problèmes liés à la santé mentale, comme l’anorexie ou la dépression. Ce sont des causes nobles.
Mais imaginons qu’elles soient utilisées pour d’autres objectifs ? Les données neuronales peuvent tout à fait être employées pour nous manipuler, jouer sur ce qui nous fait réagir. Elles peuvent aussi bien être intéressantes pour l’économie d’une plateforme que pour le processus électoral d’un Etat. Car elles permettent de faire du profiling : identifier les personnes de droite, de gauche, ce qu’elles aiment et détestent… Et l’IA peut pousser les choses encore plus loin. Il faut les réguler.
Mais n’existe-t-il pas déjà un cadre juridique permettant d’assurer la protection de nos données ?
Le RGPD assure la protection de nos données générales [nom, prénom, adresse, âge, lieu de résidence…]. Concernant les données neuronales, la notion d’intégrité mentale [à savoir la maîtrise par un individu de ses états mentaux et de ses données cérébrales]pourrait bien être intégrée à la future Constitution du Chili. L’Espagne aussi pourrait l’ajouter à sa Charte des droits numériques.
De son côté, la France a lancé sa Charte de développement responsable des neurotechnologies. Pour l’Unesco, il reste toutefois encore beaucoup à faire. Il est impératif de sensibiliser la population et qu’elle sache que ça se passe aujourd’hui, que nos données cérébrales sont récoltées jour après jour.
Quand on pense «neurotechnologie», on pense notamment à Neuralink, la société du milliardaire Elon Musk qui développe des implants cérébraux pour – un jour peut-être – nous permettre de contrôler des ordinateurs à distance. L’Unesco est-elle en contact avec elle ?
Nous ne sommes pas en contact direct mais nous allons le faire. D’autant plus qu’Elon Musk a récemment reçu l’autorisation de la FDA (Food and drug administration) pour tester ses dispositifs sur l’homme. Ils ont vraiment avancé donc il faut s’engager. L’Unesco travaille avec les entreprises de neurotechnologies, quatre d’entre elles sont d’ailleurs présentes à notre conférence ce jeudi.
Toutefois, c’est important de faire de cet événement une réunion interdisciplinaire. Ce n’est pas une conversation de la tech, c’est une conversation sociétale. Ce n’est pas que pour les geeks, mais aussi pour les historiens, philosophes, sociologues… Le sujet concerne tout le monde.
Et après cette conférence : quelles sont les prochaines étapes ?
Ce jeudi, nous allons poser les questions importantes : est-ce que le développement des neurotechnologies va nous aider à résoudre les problèmes de notre temps ? Leur utilisation sera-t-elle assez transparente ? Comment assurer, face à elles, notre intégrité mentale et notre dignité ? Quel sera leur impact sur des populations vulnérables ? Cela va nous aider à obtenir l’approbation des pays membres pour que l’Unesco développe une liste de recommandations sur les neurotechnologies. Comme elle l’a fait pour l’IA d’ailleurs.
Nous travaillerons pendant deux ans sur le sujet pour avoir des résultats en 2025. En parallèle, nous continuerons à faire du bruit : il faut que les gens comprennent l’importance de ce sujet et restent en contrôle lors de leurs interactions avec ces technologies.
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