par Marlène Thomas
La transition est envisagée avec méfiance. L’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, il y a deux ans pile, avait fait souffler un vent d’espoir dans nombre de foyers, rapidement tempéré par des délais à rallonge pour commencer un parcours. Si tout se met progressivement en place, il reste une inconnue, celle de la bascule définitive vers l’accès aux origines, l’une des mesures phares de la révision de la loi bioéthique.
Depuis le 1er septembre 2022 en effet, les donneurs de gamètes(spermatozoïdes et ovocytes) doivent consentir à ce que les enfants puissent à leur majorité demander l’accès à leur identité ainsi qu’à des données non identifiantes les concernant (âge, situation professionnelle, motivations du don…) par le biais d’une commission dédiée. Les enfants nés avant cette date pourront, eux aussi, saisir cette commission, qui se chargera de contacter le donneur pour voir s’il consent ou non à fournir ces informations.
Actuellement, deux stocks de gamètes cohabitent donc. Le premier – constitué sous l’ancien régime, lorsque le consentement à la levée de l’anonymat n’était pas obligatoire – contenait 110 000 paillettes (le conditionnement des échantillons de sperme) au 31 décembre, selon les dernières données de l’Agence de la biomédecine. Le nouveau, qui contient 17 000 paillettes, a été constitué entre le 1er septembre et la fin 2022.
«Le 31 mars 2025 sera la date limite d’utilisation de cet ancien stock et donc le moment de ce qu’on appelle le changement de cuve, annonce à Libération la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo, ancienne présidente de la commission spéciale chargée d’examiner la loi bioéthique. La volonté est d’utiliser au maximum les gamètes existants de l’ancien stock. On se donne toutes les chances.» Selon la ministre, «depuis l’entrée en vigueur de cette avancée sociétale majeure, près de 2 000 tentatives de PMA ont été dénombrées pour les couples de femmes ou femmes seules». Depuis la promulgation de la loi, le 2 août 2022, il y a eu 21 naissances et 444 grossesses.
L’accès aux origines demeure pour l’heure inégal et incertain puisqu’il est impossible pour les femmes et couples concernés, qui n’ont accès pour l’heure qu’à la première cuve, de savoir à l’avance si le donneur a donné son accord ou non pour lever l’anonymat. «Il faudra attendre la nouvelle cuve [de gamètes] ou alors compter sur l’épuisement de l’ancien stock avant cette date. Dans ce cas-là, nous utiliserons le nouveau», précise Agnès Firmin-Le Bodo. L’an dernier, 764 candidats au don de spermatozoïdes ont été recensés, contre 600 en 2021 pour 399 recueils effectifs. Si un baromètre du comité de suivi de la loi a montré en juin que la divulgation de l’identité reste le principal frein au don pour 35% des hommes, la dynamique ne connaît pas d’infléchissement, assurent le ministère et l’Agence de la biomédecine.
«Actuellement, c’est la roulette russe»
Opposé à la levée de son anonymat, Alan, donneur de gamètes de 51 ans (il avait témoigné dans Libé en 2021), envisage avec un certain fatalisme la destruction éventuelle de son don. «Je le vois comme du gâchis mais je peux comprendre que la législation évolue et qu’il y ait un certain nombre de choses qu’on soit obligé de jeter», reconnaît cet architecte.
Les centres d’aide médicale à la procréation (AMP) tentent depuis plusieurs mois de recueillir un maximum de consentements de ces anciens donneurs pour lever leur anonymat. Un travail «à la mano»chronophage, comme le reconnaît le cabinet de la ministre, malgré le soutien de la commission ad hoc.
Arnaud, dont le don de spermatozoïdes remonte à avant la révision de la loi, fait partie des hommes contactés. «Maintenant que la loi a été changée, je comprends bien que cela fait deux poids deux mesures pour les receveurs, analyse le quadra, chargé d’études médias habitant à Poissy. Actuellement, c’est la roulette russe. Ils doivent se demander s’ils auront un donneur acceptant la levée de l’anonymat ou non.» Malgré tout, Arnaud n’a pas eu d’hésitation à l’ouverture du courrier du centre AMP : «J’y suis toujours opposé car je ne veux pas être associé à l’enfant issu de mon don. Je ne suis pas son père, seulement à moitié son géniteur biologique. J’ai donné des cellules comme je donnerais mon sang.»
Cette échéance du 31 mars 2025 relève d’un exercice d’équilibriste. Trois enjeux se percutent : l’importance de ne pas encore repousser l’accès aux origines, la nécessité pour les centres de continuer à travailler avec des paillettes en nombre suffisant pour répondre à l’afflux de demandes et la volonté de détruire un minimum de gamètes.
«Nous souhaitons répartir les gamètes de l’ancienne cuve sur tout le territoire, voir les endroits où il n’y en aurait plus et utiliser celles qui seront en surstock ailleurs. L’idée est de faire une vraie gestion de stock pour donner le maximum de chances aux receveurs d’utiliser ces gamètes», insiste la ministre. «Toute paillette détruite dans le cadre du don de sperme, c’est inacceptable», confirme Mikaël Agopiantz, coordinateur du centre AMP du CHRU de Nancy, pour qui la date finalement retenue «semble bien choisie, il n’aurait pas fallu le faire ni plus tôt ni plus tard».
«Trouver le bon équilibre»
Dans les prochains mois, sur le modèle de ce qui existe pour les vaccins, une «task force» armée de «mallettes qui garantissent les conditions de cryoconservation lors du transport des paillettes à -80°C permettra ces transferts», précise Agnès Firmin-Le Bodo. Qui étaient déjà possibles, mais dans «des circonstances très particulières», pointe l’Agence de la biomédecine, comme les cas d’appariement médical, une pratique visant à faire correspondre les gamètes des donneurs et receveurs, ou l’absence de stock de gamètes dans un centre.
Reste à recenser ces stocks et à déterminer sur quels critères certains centres pourront être prélevés. «Les stocks étant très hétérogènes d’un centre à un autre, il faut trouver le bon équilibre pour concilier les objectifs de destruction limitée de paillettes possible et de préservation de l’autosuffisance des centres excédentaires, pour ne pas dégrader les délais d’accès à l’AMP avec tiers donneur», met en garde l’agence.
En rebattant les cartes des stocks et en lissant des disparités entre les différentes régions, cette mesure laisse espérer des délais enfin raccourcis. En septembre 2021, le ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran, avait fixé l’objectif à six mois maximum. Malgré les 13,5 millions d’euros débloqués pour mieux équiper les centres en moyens humains et matériels, le délai moyen de prise en charge avec don de spermatozoïdes dépassait toujours les 12 mois (14,4 mois en décembre 2022).
Preuve que les attentes avaient été très largement sous-estimées : en 2022, on a recensé 15 100 demandes de première consultation par des couples lesbiens ou des femmes célibataires, selon le comité national de suivi de la loi, alors que l’étude d’impact du gouvernement ne tablait que sur 2 000 à 3 000 nouvelles demandes pour la première année.
Des demandes multipliées par 7,5
L’Agence de la biomédecine confirme que la demande a bien été multipliée par 7,5 par rapport aux estimations initiales. Mais, comme la ministre, elle estime qu’une grande partie des disparités entre les centres d’AMP est due aux problèmes d’accueil, d’organisation RH, de locaux ou de matériel. «Les tentatives d’AMP avec tiers donneurs étant maintenant en constante progression, certains centres ont vu leur stock en paillettes de spermatozoïdes se réduire et très prochainement s’épuiser, avec une constitution en stocks de nouveaux donneurs qu’il faut renforcer», reconnaît cependant l’agence. Mikaël Agopiantz tempère les effets de ces transferts inter-centres : «Ils devraient permettre à nombre de centres n’ayant quasiment plus de stocks de continuer leur activité sans augmenter les délais.»
Le ministère de la Santé compte sur un tout autre levier pour réduire cette attente : permettre d’ici le début de l’an prochain à plus de centres de pratiquer l’autoconservation des ovocytes, qui n’était autorisée que pour raisons médicales avant la révision de la loi bioéthique. Le délai moyen pour pratiquer une autoconservation était fin 2022 de sept mois au niveau national contre vingt-quatre en Ile-de-France.
«Environ 40 sites le font pour l’instant. L’idée est d’augmenter leur nombre d’au moins 25%. Une vingtaine se sont dit intéressés», projette Agnès Firmin-Le Bodo. Les centres privés à but lucratif pouvant réaliser des autoconservations à visée médicale restent exclus de la préservation d’ovocytes dite «sociétale». Pourtant, «la technique est exactement la même dans les deux cas», rappelle le coordinateur du centre AMP de Nancy. «C’est une posture législative d’exclure ces centres qui font déjà 50% de la PMA en France. Il n’y a aucune raison puisque l’activité avec dépassement d’honoraires n’est pas réglementaire dans ces cas-là.»
Les vingt prochains mois seront déterminants. «La période intermédiaire actuelle doit permettre de constituer de nouveaux stocks suffisants pour répondre à la demande après la destruction des anciens stocks de gamètes», rassure l’Agence de la biomédecine. Agnès Firmin-Le Bodo abonde prudemment : «Le risque zéro [d’allonger les délais, ndlr] n’existe pas. Mais justement, c’était l’intérêt de se donner ce temps.» Mikaël Agopiantz en est persuadé, ces délais ne sont pas une fatalité : «Si on avait un meilleur maillage territorial avec le concours de tous les centres et un dédommagement des donneurs [comme en Espagne ou au Danemark, ndlr], on n’aurait plus aucun problème de délai.» En France, le gouvernement y reste opposé. Pour la ministre déléguée, «ce qui fait notre particularité, c’est justement ce don altruiste». Un verrou idéologique encore tenace.
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