par Laure d'Allest publié le 30 juillet 2023
Les enfants, on en veut un peu, beaucoup, et parfois pas du tout. Aux combats des un·es pour construire leur famille hors du modèle patriarcal répond, chez d’autres, le refus de devenir parent pour des raisons familiales, politiques ou écologiques. Seule certitude : ces choix de parentalité ou non changent nos partis pris et nos convictions, pour le meilleur et pour le pire. Libé se plonge dans ces histoires de familles pour mieux questionner les contradictions de cette injonction parfois ironique à avoir des bébés.
Les photos de famille ne se ressemblent-elles pas toujours un peu ? Des enfants décoiffés, aux vêtements tachés mais toujours colorés, souriant béatement dans les bras de parents aux mines fières et apaisées. En parcourant le compte Instagram de l’autrice Marie-Clémence Bordet-Nicaise (1), ces joyeuses photos succèdent à des vidéos courtes et pédagogiques dans lesquelles elle raconte sa vie de famille à ses presque cinquante mille abonnés : une manière pour elle de militer tout en entretenant un espace de partage. En couple depuis 2008 avec Aurore, elle se marie en 2015. Deux ans plus tard, les deux femmes se lancent dans un processus de PMAqui, au bout de quatre ans et de sept essais d’insémination, les comble avec la naissance de leur première fille, Charlie, 4 ans aujourd’hui. Deux ans plus tard, naîtra Billie.
Avez-vous toujours voulu un enfant ? Ce désir était-il partagé ?
Ça fait maintenant quinze ans que je suis en couple avec Aurore que j’ai épousée en 2015. Avant de la rencontrer, je sortais avec des hommes, et la parentalité se présentait comme un prolongement, une suite logique de cette vie à deux. Je n’ai jamais remis en question ce désir de maternité. Pour ma femme, les choses étaient moins claires : ses parents étaient séparés, elle a vu beaucoup de couples divorcer, et l’impact de ces séparations sur les enfants. Elle ressentait aussi une lesbophobie intériorisée. Pour elles, les lesbiennes n’avaient pas d’enfant, alors, il lui était difficile de s’imaginer mère. C’est seulement au bout de longues conversations que nous avons décidé ensemble d’avoir un enfant que je porterai.
Une fois votre fille née, Aurore a-t-elle été reconnue comme parent ?
Notre fille étant née en 2018, nous avons dû avoir recours à une procédure d’adoption plénière qui a duré un an. Aurore, qui n’a pas porté nos filles, n’a donc eu aucun droit parental durant cette période. Ça n’a pas impacté sa relation avec Charlie, de qui elle est très proche. En revanche, cette situation m’a pesé. J’avais peur de mourir avant l’adoption et qu’Aurore n’aie pas le droit d’élever sa fille, peur d’un divorce qui aurait tout rendu plus compliqué. Je connais des couples lesbiens où la mère porteuse est partie du jour au lendemain avec les enfants, laissant la mère non-porteuse dépourvue de moyens d’obtenir leur garde. Heureusement, rien de tout ça n’est arrivé.
Avez-vous vécu des difficultés dans vos rapports à l’administration et aux institutions ?
Dans un circuit administratif hétéronormé, les cases «père» et «mère» sont omniprésentes. Lorsque j’ai rempli le Cerfa pour faire une carte d’identité à ma fille Billie, l’employée de la mairie m’a demandé de mettre le nom d’Aurore à la place du père. J’ai refusé en insistant sur le fait qu’elle avait deux mères, et l’employée a fait le nécessaire mais elle aurait très bien pu refuser. La loi a beau être de notre côté, on est toujours dépendantes du bon vouloir et de la tolérance de la personne en face de nous.
La fête des mères et des pères reste une question épineuse. J’ai voulu proposer à la maîtresse de faire une fête des gens qu’on aime, ce qui aurait inclus à la fois les familles homoparentales mais aussi d’autres modèles comme la coparentalité, la monoparentalité, les familles recomposées… Le modèle familial traditionnel avec un père et une mère est toujours d’actualité. Seulement, il y en a d’autres et nous devons les reconnaître. La maîtresse a refusé ma proposition et alors que j’ai reçu un cadeau pour la fête des mères, Aurore en a reçu un pour la fête des pères. Il y a d’ailleurs une tendance à renvoyer la mère n’ayant pas porté l’enfant à une figure paternelle.
Parce que je suis la mère porteuse, je suis toujours appelée en premier par la crèche ou l’école lorsque mes enfants sont malades. Comme s’il fallait à tout prix déterminer un parent «prioritaire» qui serait chargé de quitter son travail, de se dépêcher de trouver une solution dès que son enfant aura un problème. Alors on se dit que c’est à la mère porteuse d’endosser ce rôle, car la mère non-porteuse serait forcément plus détachée, moins investie.
Comment vos filles abordent-elles le sujet des parents lesbiennes à l’école ?
Charlie doit faire le coming out de ses mères tous les jours. Certains enfants ne creusent pas, ils acceptent que Charlie a deux mamans et passent à autre chose, car on leur a sûrement déjà parlé d’homoparentalité. D’autres sont plus surpris et peuvent même refuser l’information. L’autre jour, au parc, une petite fille lui a dit : «T’as changé de maman ?» ce à quoi Charlie a répondu que non, elle en avait tout simplement deux. La petite fille a alors tourné les talons en disant que ce n’était pas possible, que c’était «trop bizarre». Après une conversation avec ma fille, j’ai appris que ce type de situations était courant.
Trouvez-vous que vos filles soient moins soumises aux injonctions genrées que leurs camarades ?
A la crèche, les filles étaient habillées de manière non genrée. Je leur mettais du bleu, du rouge, du vert… bref, pas seulement du rose. Avec leurs cheveux courts, tout le monde les prenait pour des garçons. Mais quand Charlie est rentrée à l’école, elle a demandé à mettre des robes, du rose de préférence orné de licornes… Pour tous les enfants, l’école est le premier lieu d’interaction sociale et tous ont envie de ressembler aux autres, ce qui passe notamment par la reproduction de normes genrées.
En revanche, j’ai l’impression que Charlie a déconstruit les rôles hétéronormés. En voyant une famille de canards dans un parc, elle s’est naturellement dit que ce pouvait être deux mamans, un papa et une maman ou bien deux papas. Parfois, lors de moments de tension, elle nous dit même qu’elle aimerait nous échanger pour deux papas, et non un papa et une maman ! Dans le cadre de mon activité militante dans le collectif Famille.s, j’ai organisé en mai dernier un Family Festival Pride qui réunit des familles LBTQIA +. Charlie a adoré rencontrer des enfants qui, comme elle, n’avaient pas simplement un papa et une maman. Elle nous demande souvent quand le festival va reprendre.
Les parents peuvent se mettre une forte pression, chercher la perfection dans l’éducation de leurs enfants. Pensez-vous que cette pression est plus lourde lorsqu’on est une mère lesbienne ?
Sur cet aspect-là, Aurore et moi sommes très différentes. Aurore n’a jamais vraiment connu sa mère et ne s’était jamais projetée dans un rôle maternel avant que l’on essaie d’avoir des enfants, elle ne se met donc pas autant de pression. De mon côté, j’ai grandi dans un milieu catholique très traditionnel dans lequel était promue l’idée que les femmes devaient avant tout être des mères parfaites. Ma mère était femme au foyer et a consacré son temps à élever, voire être au service de ses quatre enfants.
Je cumule cette éducation à mon statut de mère lesbienne qui me pousse à me surinvestir dans mon rôle de parent : parent déléguée et accompagnatrice lors des sorties scolaires, j’ai même emmené ma fille Charlie chez un pédopsychiatre pour qu’il s’assure qu’elle soit équilibrée et heureuse, ce qu’il m’a confirmé au bout de six séances. En réalité, j’ai peur du regard que les autres peuvent porter sur ma famille, peur qu’on me dise que si la petite fait une crise d’énervement, ce n’est pas parce qu’elle a 4 ans, mais parce qu’elle a deux mamans.
Ressentez-vous une appréhension par rapport à l’adolescence de vos filles, aux questions qu’elles pourraient vous poser ?
Je pense qu’aucune famille – homoparentale ou pas – n’est à l’abri de relations compliquées durant l’adolescence de leurs enfants. J’ai moi-même été très malheureuse durant cette période marquée par de forts conflits avec mes parents. Dans notre cas, nos filles pourraient demander des informations sur le donneur. Or, nous n’en avons pas, ce qui les décevra peut-être mais elles devront l’accepter. Nous avons pris la décision d’avoir recours à un donneur anonyme, dans un certain contexte, dans le cadre de certaines lois. Il est possible de refaire l’histoire mille fois mais ça ne changera rien à la manière dont nos filles sont nées.
Dix ans après la loi autorisant le mariage pour tous, constatez-vous une amélioration dans l’acceptation de l’homoparentalité ?
Alors que j’observe une diminution des comportements homophobes violents, dans la rue par exemple, l’homophobie latente est toujours omniprésente. Et pour y faire face, les lois, bien qu’elles nous protègent, ne suffisent pas. Nous devons nous déconstruire et accepter de remettre en question des structures familiales auparavant considérées comme immuables.
Ma manière de militer, c’est de raconter mon histoire, d’inviter les gens à être curieux, à sortir de la théorie et à regarder les familles homoparentales autour d’elles. Venez voir ma famille ! Y voyez-vous un problème ? N’y a-t-il pas des rires, des larmes, des caresses, des colères comme dans toutes les autres ? Je ne peux pas accepter que des personnes jugent le modèle familial que j’ai adopté sans le connaître.
(1) Autrice du livre : On ne choisit pas qui on aime, Flammarion (2019).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire