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dimanche 9 avril 2023

Féminisme : au commencement, il y eut les sorcières

par Cécile Daumas  publié le 7 avril 2023

Dans un livre précurseur, la théoricienne Françoise d’Eaubonne, qui inventa le terme d’écoféminisme, parle de «guerre contre les femmes» à propos de la chasse aux sorcières qui sévit à la Renaissance. Un essai republié à propos aujourd’hui.

Ce fut un véritable massacre, ciblant un sexe en particulier. Des dizaines de milliers de personnes, accusées de sorcellerie, furent exécutées du XVe au XVIIe siècle. Dans une très grande majorité, les victimes furent des femmes. Une tuerie qui se produit largement, non pas aux heures les plus sombres du Moyen Age mais à l’orée d’un renouveau moral et intellectuel majeur en Europe, l’humanisme, précise Françoise d’Eaubonne dans le Sexocide des sorcières (Au diable vauvert). Il faut toujours se méfier du retour du bâton, semble nous prévenir l’inclassable théoricienne féministe des années 70. Il n’intervient pas quand on y pense. Il intervient même en période de prospérité artistique et morale. Foncièrement indépendante et libertaire, Françoise d’Eaubonne a déjà forgé le concept précurseur d’écoféminisme, quand en 1999, à l’âge de 79 ans, elle écrit ce petit livre où elle pose cette hypothèse inédite : la chasse aux sorcières qui ensanglante l’Europe en pleine Renaissance est une «guerre contre les femmes».

Inlassable militante des droits sexuels

Une guerre contre ce qu’elles représentent : leurs savoirs immémoriaux, leurs capacités à soigner, guérir, prendre soin. Leurs corps aussi, leur capacité à procréer. Opportunément, les éditions Au diable vauvert republient le Sexocide des sorcières à l’occasion du lancement d’une nouvelle collection «écoféministe, queer, rebelle et radicale», Nouvelles Lunes, dirigée par Elise Thiébaut. Cette spécialiste de l’œuvre de d’Eaubonne a choisi ce livre inaugural qui entre en résonance avec le best-seller de Mona Chollet, publié vingt ans plus tard. Paru en 2018, Sorcières, la puissance invaincue des femmes (La Découverte 2018) est le livre emblématique du renouveau féministe #Metoo«La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable», écrit Mona Chollet. Des milliers de jeunes femmes s’identifient à la figure mythique, vieille ou jolie, caricaturée sur son balai à gros poils.

Comme le montre Françoise d’Eaubonne, il est facile de se voir accusée de sorcellerie. Le vivier semble infini : des femmes qui en savent trop, qui se tiennent à l’écart ou mènent une vie solitaire, des femmes trop laides ou bien trop jolies. Hors des cadres institutionnels, Françoise d’Eaubonne a consacré sa vie à l’écriture et à la politique. Prodige littéraire avec un premier livre publié à 13 ans, elle fut remarquée par Colette. Inlassable militante des droits sexuels, elle participe au MLF et cofonde le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar). A propos du massacre des sorcières, celle qui fait des mots une matière à infléchir l’ordre patriarcal du monde invente le terme de sexocide : une tuerie de masse selon le sexe, «un appel au meurtre d’une catégorie humaine particulière».

Montée des intégrismes religieux

Cette haine tenace du féminin remonte aux civilisations antiques, elle sera colportée aux premières heures du christianisme jusqu’au XVe siècle. «Une vieille histoire», ironise Françoise d’Eaubonne. Une tyrannie par la mort pour maintenir le pouvoir des hommes, estime-t-elle. Une volonté absurde d’anéantir le désir charnel insatiable des femmes alimenté par la sorcellerie, croyaient savoir à l’époque les dominicains Jakob Sprenger et Heinrich Kramer dans le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), traité idéologique et religieux qui justifia l’injustifiable. C’est bien la montée des intégrismes religieux qui inquiétait, déjà en 1999, Françoise d’Eaubonne, analyse Elise Thiébaut. Cette chasse aux sorcières en rappellent bien d’autres contemporaines. C’est toute la modernité de cette histoire qui, à tout moment, peut se reproduire, prévient François d’Eaubonne. C’est «l’allergie à l’autre, sous cette forme sexuelle ou raciste qui fit le malheur d’un monde civilisé», juge-t-elle. «Il n’est pas inutile d’en dénoncer la persistance insalubre, ne serait-ce que par l’évocation d’aussi anciens massacres dont les germes sommeillent plutôt que d’avoir disparu.» Françoise d’Eaubonne meurt en 2005.

Le sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne, ed. Au diable vauvert, collection Nouvelles Lunes.

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