par Julie Lassale publié le 7 avril 2023
La stupéfaction. Voilà le sentiment qui saisit à l’écoute du podcastTu ne te tairas point, produit par Paradiso Média et Slug News. Dans cette enquête ciselée de six épisodes, les journalistes Lila Berdugo et Salomé Parent-Rachdi lèvent le voile sur les violences sexuelles commises par trois rabbins sur des femmes au sein de la communauté juive orthodoxe française. Pendant des mois, elles ont donné la parole aux victimes, aux responsables des plus hautes instances Elie Korchia et Haïm Korsia, respectivement président du Consistoire et Grand rabbin de France, ainsi qu’à un des rabbins mis en cause. En résulte un travail inédit qui met en lumière la figure d’autorité du rabbin – «maître» en araméen – et dénonce l’opacité des tribunaux religieux. «A titre d’exemple, l’un des rabbins sur lequel nous avons enquêté a été simplement déplacé d’Aix-en-Provence à Grenoble avec une sommation de consulter un psychologue, constatent les journalistes, déterminées à briser une omerta carabinée. Dans la communauté, ils qualifiaient ça d’affaires de mœurs. Mais il faut arrêter de croire que ce sont des cas isolés.»
Fin 2021, le journal israélien Haaretz révélait les multiples agressions sexuelles commises par le rabbin ultraorthodoxe et auteur à succès Chaim Walder sur des femmes et des enfants en Israël. Aux Etats-Unis, l’organisation Jewish Community Watch a créé un mur numérique sur lequel les prédateurs sexuels sont placardés. Pourquoi ce «MeToo judaïsme» a-t-il tant peiné à éclater dans l’Hexagone, troisième foyer mondial juif après ces deux pays ? La faute à «une société française en retard sur la question des violences sexuelles», entraînant la communauté juive française dans sa chute, résume au micro Tali Trèves-Fitoussi, cofondatrice de Kol-elles, un collectif juif féministe orthodoxe qui propose aux femmes l’étude talmudique, initialement réservée aux hommes.«Le féminisme est mal vu au sein du judaïsme car il vient surplomber sa loi morale», développe-t-elle. Ainsi, la réticence des victimes à parler s’explique par des mécanismes de silenciation propre au judaïsme. Dans la Torah, le «lachon hara» consiste à ne pas parler mal d’autres membres de la communauté ; le «mosser», lui, interdit de livrer un juif à la justice non juive. «On n’imaginait pas que ces concepts puissent être encore importants et constituent une telle chape de plomb», relève Salomé Parent-Rachdi.
Parmi les autres peurs de témoigner, celle d’alimenter la haine contre les juifs. «L’antisémitisme n’a pas besoin de nous pour exister», rétorque habilement Janine Elkouby, co-fondatrice de Nous pour elles. A l’été 2022, ce collectif féministe a publié une lettre ouverte dénonçant le silence du Consistoire. Dans la foulée, Elie Korchia a réuni – une fois – les membres d’une commission spéciale sur ces violences et évoqué un «avant et un après» au micro de Tu ne te tairas point. «Notre enquête n’a été possible que parce que les mentalités s’ouvrent sur le sujet», notent les journalistes, qui louent le courage des victimes et des militantes dans un processus de libération de la parole encore à ses balbutiements. Depuis la parution le 22 mars de ce podcast d’utilité publique, le binôme a mis en place un numéro spécial sur WhatsApp et Signal pour recueillir de nouveaux témoignages. A ce jour, leur téléphone a déjà vibré une vingtaine de fois.
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