Par Solène Cordier et Mattea Battaglia Publié le 29 mars 2023
Saisi par la première ministre, Elisabeth Borne, à la suite de dépôts de plaintes pour viol, le Comité consultatif national d’éthique a rendu un avis, mercredi 29 mars, sur la notion de consentement lors des examens gynécologiques. Il y appelle à rebâtir la relation de confiance entre patientes et médecins.
« Apaiser, rapprocher, réconcilier » : les trois mots résument, pour le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le chemin à prendre pour rebâtir une relation de confiance entre patientes et médecins gynécologues-obstétriciens. C’est en tout cas le message que le CCNE entend porter en rendant public, mercredi 29 mars, son avis 142 sur la notion de consentement lors des examens gynécologiques, sujet sensible sur lequel l’a saisi, en juillet 2022, la première ministre, Elisabeth Borne. A l’époque, des plaintes pour viol – et plus seulement pour violences sexuelles – visant des praticiens de renom avaient déplacé le débat du plan sociétal au plan juridique.
Au risque de faire quelques déçus, le CCNE s’est concentré sur l’analyse des enjeux éthiques relatifs à la pratique des examens gynécologiques et/ou médicaux touchant de facto à l’intimité, sans prendre position sur le débat juridique, ouvert à la question d’une nouvelle incrimination dans le code pénal pour les actes médicaux de pénétration vaginale ou rectale non consentis. « On s’est posé la question du droit, on a auditionné des juristes, mais cette réponse-là n’est pas de notre ressort, justifie la juriste Karine Lefeuvre, corapporteuse, avec le philosophe Fabrice Gzil, du présent avis. Notre domaine est et doit rester celui de l’éthique. »
Le travail présenté mercredi trace une « ligne de crête », selon Jean-François Delfraissy, le président du CCNE, qui « ne plaira pas à tout le monde », anticipe-t-il. L’enjeu est pluriel ; il s’agit à la fois de reconnaître la réalité des violences dénoncées par des patientes, et parfois aussi par des patients, mais également de proposer des pistes pour « éviter que la communauté des soignants gynécologues se trouve montrée du doigt en permanence ». Une controverse lancée en 2014 avec le hashtag #payetonutérus sur les réseaux sociaux, et qui résonne depuis.
Faire reculer les postures « paternalistes »
La piste la plus claire – celle au cœur de la saisine de la cheffe du gouvernement – repose sur un consentement « revisité ». Un « processus » qui doit se jouer en plusieurs étapes durant la consultation et qui doit être renouvelé. Pas par écrit – comme cela peut se faire dans des pays anglo-saxons –, une option écartée, explique Mme Lefeuvre, pour ne pas renforcer l’« aspect procédural ». « Mais l’idée du consentement tacite est battue en brèche, pour privilégier un consentement expressément recueilli, de même que le seul consentement binaire oui/non au profit d’un assentiment en plusieurs temps et sous différentes formes », ajoute la corapporteuse. L’avis indique que ce recueil doit être précédé d’une « information précise, loyale et adaptée », de nombreuses critiques trouvant leur origine, selon les médecins, dans une « mauvaise information initiale » ne permettant pas aux patients de comprendre l’examen subi.
L’objectif est de faire reculer les postures « paternalistes » (voire « patriarcales », disent certaines femmes) que des professionnels peuvent encore parfois tenir, et d’inscrire à nouveau la relation patient-soignant dans un « accompagnement de l’un par l’autre »,et non une verticalité, défend M. Delfraissy. Et ainsi de rétablir « une considération mutuelle, un respect, qui sont les fondements même de cette relation ».
A défaut, le Comité fait état d’un triple risque : celui d’un renoncement aux soins de la part des patientes, celui de la désaffection de ces métiers par les soignants et celui, enfin, de pratiques médicales « non conformes aux besoins réels des patient(e)s ». Les situations d’urgence obstétricales ont été exclues du champ de l’avis.
« Comment un geste envers le corps peut devenir effraction, alors qu’il se veut réparateur, apaisant et guérissant ? » Pour répondre à cette question, le CCNE a auditionné pendant huit mois une trentaine d’acteurs (médecins, gynécologues, associations d’usagers, représentants des ordres et des collèges professionnels…) Mais aussi des soignants d’autres spécialités touchant à l’intimité (psychiatrie, chirurgie-urologie, gastro-entérologie…) Ce travail se place dans la continuité d’un précédent avis sur le « consentement dans le soin », présenté en juillet 2021. Il fait par ailleurs écho aux chartes et recommandations de bonnes pratiques élaborées par les sociétés savantes.
« Debriefing » des consultations
Outre la remise en jeu du consentement, le CCNE s’est interrogé sur l’opportunité de rendre obligatoire la présence d’un tiers lors des consultations, qu’il s’agisse d’un autre professionnel du soin ou d’un tiers de confiance accompagnant la patiente. L’option n’est pas retenue, pour éviter une « interférence dans la relation de soin ». Il questionne par ailleurs la présence des étudiants en médecine – on se souvient qu’en 2015, la polémique sur des touchers vaginaux et rectaux pratiqués sous anesthésie générale les avait impliqués. Sans remettre en cause leur présence, « partie intégrante de leur formation pratique », le Comité fait valoir l’importance d’en informer davantage les patientes en amont. En aval, le « debriefing » des consultations est conseillé, afin que celles-ci puissent mettre des mots sur leur ressenti.
Le refus d’un examen par la patiente « doit être pris en considération », rappelle le CCNE, qui propose de modifier l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique pour qu’il mentionne de façon explicite le droit de ne pas bénéficier d’« examens » médicaux (et pas seulement des traitements).
Enfin, l’avis met en exergue deux recommandations pour ancrer davantage l’éthique dans les pratiques professionnelles. La première s’adresse au ministère de la santé et lui enjoint, en améliorant les « conditions organisationnelles », de favoriser ce « consentement revisité ». La seconde est destinée au ministère de l’enseignement supérieur pour qu’il prenne davantage en compte les enjeux de formation aux humanités et à l’éthique du soin. Façon d’impliquer les médecins d’aujourd’hui et de mieux préparer ceux de demain.
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