par Victor Mauriat, correspondant à Rabat (Maroc) publié le 5 avril 2023
«Où est l’égalité ?» Devant le tribunal de Rabat, les slogans des 150 personnes présentes sont criés avec force. Dans les yeux des nombreuses femmes brandissant pancartes et banderoles, on peut lire de la colère. «Nous sommes là pour réclamer que la justice soit rendue», affirme Fatima-Zahra, une manifestante d’une trentaine d’années.
Tout est parti d’une tribune signée le 28 mars par la sociologue féministe Soumaya Naamane Guessous, publiée sur le site d’information Le360. Grâce à son texte, le Maroc découvre alors l’histoire de S., une petite fille originaire de Tiflet, entre Rabat et Meknès. S. ne va pas à l’école, située à 6 kilomètres de son domicile : son père a refusé de l’y inscrire, de peur qu’elle ne se fasse agresser sur le chemin. Un mercredi de 2021, alors qu’elle est seule chez elle, S. est assaillie et violée une première fois par trois hommes du voisinage, tous âgés d’une trentaine d’années. Pendant des mois, les viols se répètent jusqu’à ce que la grossesse de l’enfant, qui ne s’est rendu compte de rien, devienne visible, presque au terme de sa grossesse. Très vite, la rumeur se répand et les trois hommes sont arrêtés. Le géniteur de l’enfant est identifié par des analyses ADN. L’affaire est portée devant le tribunal de Rabat. S., qui a désormais 12 ans, assiste au procès avec son bébé dans les bras.
Mais lorsque le verdict tombe, l’Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf) n’en revient pas. «Ce n’est pas possible», se désole Amina Khalid, secrétaire générale de l’association qui a accompagné S. depuis le début de l’affaire judiciaire. Le principal agresseur, identifié comme le géniteur de l’enfant, écope de 2 ans de prison et 30 000 dirhams d’amende (environ 3 000 euros). Ses deux complices sont eux condamnés à 18 mois d’emprisonnement, dont 6 avec sursis, et 20 000 dirhams d’amende. «Ce n’est pas du tout ce que prévoit la loi, s’insurge Soumaya Naamane Guessous, selon le Code pénal, si le viol a été commis sur une mineure de moins de 18 ans, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans, et s’il y a eu défloration, la réclusion est de 20 à 30 ans !»
«Frustré et choqué»
Dans les rues de Rabat, cette affaire a provoqué une prise de conscience. «Il faut que la loi soit appliquée», demande Houssam, un jeune homme en costume bleu. «Pourquoi les juges n’ont-ils pas la volonté de condamner des violeurs à la hauteur de leur crime ?»Cette question, ils sont nombreux à se la poser ce mercredi devant le palais de justice de la capitale marocaine. Pour Camélia Echchihab, journaliste et militante féministe qui a notamment créé un recensement des féminicides au Maroc, la réponse se trouve dans le prononcé du jugement. «La cour a décidé de réduire la peine des trois hommes pour deux raisons, explique-t-elle, d’une part «eu égard aux conditions sociales de chacun d’entre eux et à l’absence d’antécédents judiciaires», et d’autre part parce que «la peine est dure au regard des faits incriminés». C’est cette deuxième justification qui suscite l’indignation parmi les militantes présentes au rassemblement. «Il y a un manque de connaissance de ce qu’est une agression sexuelle dans la société marocaine en général, explique Laila Slassi, avocate en droit des affaires et militante du droit des femmes (cofondatrice du Mouvement Masaktach), ce manque de connaissance se ressent au niveau des juges qui sous-estiment les conséquences de ces violences sur les femmes et en particulier les mineures.» Même le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’est dit «frustré et choqué» par le verdict. De son côté, le parquet a fait appel : le procès en deuxième instance se tiendra ce jeudi 6 avril à Rabat. «Cette fois, on s’attend à une condamnation lourde», soutient Khadija, une jeune femme de 25 ans.
Au-delà d’une peine appropriée pour les agresseurs de S., les slogans des manifestants appellent aussi le gouvernement à envisager une réforme du Code pénal sur le sujet des violences sexuelles. «Le terme agression sexuelle n’apparaît pas dans la loi marocaine, détaille Mohamed Oulkhouir, vice-président de l’association Insaf, pas plus que la notion de pédocriminalité.»Pourtant, d’après une étude menée par le Mouvement Masaktach en 2020 sur un échantillon de 1 169 procès, deux tiers des affaires de violences sexuelles commises sur le sol marocain concernent des mineurs. «Ce n’est pas forcément dû à une culture des violences contre les enfants, précise Leila Slassi, cela s’explique aussi par le silence des femmes adultes.» Pour protéger les enfants, l’association Insaf appelle à la création d’un Code de l’enfant, afin que le royaume se dote d’un arsenal juridique adapté. «C’est fondamental,explique Mohamed Oulkhouir, mais il y a une appréhension des politiques à entamer ce genre de réforme.» Lors de la dernière tentative de modification du Code de la famille, en 2000, les mouvements islamistes avaient rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues contre les changements.
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