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lundi 10 avril 2023

Ces hommes qui ont choisi la vasectomie : « Notre sexualité est plus spontanée et plus sereine »

Par    Publié le 10 avril 2023

Cette méthode de stérilisation masculine reste marginale en France, bien qu’en hausse. Répartition de la charge contraceptive, refus de procréer dans un monde troublé… Les motivations sont diverses, et les regrets peu nombreux.

« Touche pas à mon zizi. » Rigolarde ou résolument défensive, c’est l’une des réactions masculines lambda aux témoignages des hommes partageant sur Twitter leur expérience de la vasectomie dans un but pédagogique. Il y a ceux qui, l’air de rien, se renseignent. « Quels sont les risques de casser la machine ? » « Tu as eu beaucoup de douleurs ? » A quoi il faut ajouter les angoissés de la virilité qui insultent et vouent aux gémonies cette fichue époque qui promeut « la castration par idéal féministe ».

Ne leur en déplaise, les hommes sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à recourir à cette intervention chirurgicale. La « stérilisation à visée contraceptive » n’est autorisée en France pour les personnes majeures – hommes ou femmes – que depuis la loi du 4 juillet 2001. Concernant la vasectomie, le nombre d’interventions remboursées en hôpital public et dans le secteur privé était seulement de 1 908 en 2010. Il s’élevait à 23 306 pour la seule année 2021, selon les dernières données de l’Assurance-maladie.

Aymeric Deheurles, 41 ans, a franchi le cap en 2022. « Lorsque ma femme et moi nous sommes rencontrés, on avait tous les deux un désir d’enfant, se remémore cet informaticien, également élu à la mairie de Toulouse. Elle en voulait quatre, j’en voulais deux. Après notre deuxième enfant, elle s’est rangée à mon avis. » Aymeric songeait à la vasectomie depuis longtemps, mais il lui a fallu en passer par un « cheminement » pour se décider. « Il y a dix ans, j’étais encore très mal renseigné sur la contraception masculine, et il était admis que la contraception passait nécessairement par la femme. A 40 ans, j’ai fait une minicrise qui m’a amené à me poser des questions en tout genre. Je me suis dit que c’était mon tour de prendre en charge la contraception pour que ma femme n’ait plus à subir cette charge mentale. Et puis il y a toutes ces substances chimiques contenues dans les contraceptifs qui jouent sur les hormones. »

Souvent déjà pères

Le recours plus fréquent à la vasectomie pourrait être effectivement en partie dû à ce que Mireille Le Guen, démographe à l’Institut national d’études démographiques (INED), et ses collègues du laboratoire junior Contraception & Genre qualifient de « crise des pilules » dans le bulletin Population & Sociétés (novembre 2017). En 2012, Marion Larat était la première Française à porter plainte contre une pilule contraceptive de troisième génération. Elle l’accusait d’être responsable de l’accident vasculaire cérébral dont elle avait été victime et qui l’a laissée lourdement handicapée. Depuis, même si les contraceptifs oraux restent le premier moyen de contraception utilisé en France, leur vente est en baisse régulière. Pour Mireille Le Guen, cette « crise des pilules » a également été « dans une certaine mesure, l’occasion d’interroger la responsabilité masculine en matière de contraception ».

Réflexion entamée de longue date dans d’autres pays, puisque Mireille Le Guen signalait déjà en 2017 qu’en Espagne les méthodes considérées comme masculines (stérilisation, préservatif et retrait) représentaient près de 53 % des usages contraceptifs, contre 15 % en France et 37 % aux Etats-Unis. « Comme je suis au fait de l’actualité américaine, je connaissais la vasectomie, explique Benjamin (les témoins désignés par leur prénom ont requis l’anonymat), ingénieur de 35 ans, résidant en région parisienne. Ça m’a semblé une bonne solution parce que ma femme et moi sommes très fertiles. Nous avons quatre enfants. Comme elle ne supportait plus les effets secondaires de la pilule et du stérilet, on se fondait sur son cycle, mais ça n’a pas suffi et elle a subi deux avortements. Puisque j’étais potentiellement fertile plus longtemps qu’elle, j’ai décidé de faire ma part. »

Il n’existe pas d’enquête sur le profil des hommes qui recourent à la vasectomie. Mireille Le Guen et ses collègues de l’INED sont en train d’élaborer un questionnaire dans cette perspective mais soulignent la difficulté de trouver un échantillon d’hommes représentatifs pour une pratique demeurant marginale. On peut supposer que ce choix intervient la plupart du temps après la naissance d’un ou de plusieurs enfants. C’est ce qui ressort d’une étude menée en ligne en avril 2022 par Wafik Touil, urologue au CHU de Toulouse, auprès de 177 hommes pris en charge pour une vasectomie entre avril 2010 et mars 2022. Au moment de l’intervention, seuls 18 % d’entre eux étaient sans enfants.

« Cela ne veut pas dire que j’exclus totalement la parentalité. Si jamais on avait un jour un enfant, ce serait par le biais de l’adoption. » Tristan, 31 ans

C’est le cas de Tristan, 31 ans, monteur vidéo en région Auvergne-Rhône-Alpes. « Je suis en couple depuis cinq ans. Au début, ma compagne n’était pas certaine de vouloir des enfants. J’en étais un peu plus sûr qu’elle. Il y a eu une période de ma vie où être père était l’un de mes “life goals”. Mais aujourd’hui, je n’ai pas envie d’imposer la vie à quelqu’un qui ne l’a pas demandée, en particulier dans le contexte actuel. Au niveau environnemental, on est sur une planète qui a déjà du mal à supporter la présence des hommes en termes de ressources. Par ailleurs, le contexte politique en France, notamment la montée de l’extrême droite, me fait très peur. J’ai l’impression que faire naître un individu maintenant ne serait pas un cadeau. » Il y a un peu plus d’un an, arrive le moment où sa compagne de 33 ans doit changer de stérilet. Tristan et elle tombent d’accord sur le fait qu’ils ne veulent pas concevoir d’enfant. Tous les deux militants végans, ils préfèrent mettre toute leur énergie dans la cause animale. L’idée de l’opération s’impose.

Concrètement, l’intervention consiste à couper ou obturer les canaux déférents qui véhiculent les spermatozoïdes après avoir pratiqué une ou deux petites incisions dans la peau des testicules. Plus de spermatozoïdes, plus de grossesse. « Je dis toujours au patient que c’est irréversible, précise le docteur Athmane Safsaf, chirurgien urologue. On peut remettre bout à bout des canaux déférents par le biais d’une vasovasostomie mais peu de chirurgiens pratiquent cette opération. Et dans la grande majorité des cas, les patients ne redeviennent pas fertiles. C’est pourquoi on propose toujours au patient de conserver son sperme dans un centre de conservation. »

Des regrets à la marge

Même si le chirurgien qui a opéré Tristan ne lui en a pas parlé, celui-ci savait que c’était possible. « Ma compagne et moi n’avons pas vu l’intérêt de payer pour quelque chose qui ne servira jamais puisque nous sommes certains de notre décision. Cela ne veut pas dire que j’exclus totalement la parentalité. Si jamais on avait un jour un enfant, ce serait par le biais de l’adoption. Je préférerais m’occuper d’enfants déjà nés, pas forcément dans de bonnes conditions, et rendre leur vie meilleure. » Aymeric s’est lui aussi abstenu. « C’est inutile puisque je ne veux pas d’autres enfants avec ma femme ou être père à nouveau. Si j’ai choisi la vasectomie plutôt qu’un slip chauffant, c’est parce qu’une fois l’intervention faite, on n’a plus de questions à se poser. »

Le choix de cette irréversibilité, louée par les hommes qui ont opté pour la vasectomie, peut être déstabilisant pour certains membres de leur entourage. « Mon meilleur ami m’a dit “Et s’il arrive quelque chose à un de tes enfants ?”, se remémore Aymeric. Je lui ai répondu qu’un enfant, ce n’est pas comme un meuble, on ne peut pas en racheter un autre. Mes garçons sont irremplaçables. » Certaines connaissances y sont allées tout aussi franco avec Benjamin. « Et si tes enfants meurent ? » Il y a eu également : « Et si tu rencontres quelqu’un d’autre ? » A une époque où les familles recomposées sont plus nombreuses, la perspective d’une nouvelle union peut effectivement être dissuasive pour certains. Mais pas pour Benjamin. « Quatre enfants, c’est déjà beaucoup. J’ai fait le choix de ne pas en avoir d’autres, pour ne pas avoir à diviser encore plus l’attention que chacun d’eux mérite. »

« J’ai ressenti pendant un mois une mélancolie à l’idée que je ne pourrai plus être papa. » Mickaël Nadal, 43 ans

Certaines études ont montré qu’entre 3,4 % et 7,4 % d’hommes ayant décidé d’une vasectomie avaient eu des regrets et demandé une vasovasostomie (Human Reproduction, 2018). Pierre, 41 ans, a bénéficié de cette technique en octobre 2022. « J’avais deux enfants et je n’en voulais plus, explique cet artisan résidant en Occitanie. J’étais séparé de leur mère, ma vie de père en garde partagée était suffisamment compliquée comme ça. » C’était compter sans la rencontre avec sa compagne. « La vasectomie ne lui a pas posé de problème. Mais comme elle avait 38 ans et n’avait pas d’enfant, on en parlait quand même pas mal. Je voulais qu’elle soit sûre d’elle. Elle a fini par me dire qu’elle avait bien envie d’avoir un enfant. On était très amoureux. J’étais prêt à retenter l’aventure. » A une condition : une répartition égalitaire des tâches. « J’avais arrêté de travailler après la naissance de mon premier enfant pour que ma femme, danseuse, puisse reprendre son travail. J’avais repris le travail au second mais je m’occupais aussi de la cuisine, des travaux dans la maison… A tel point que j’ai fait un burn-out. Je ne voulais pas revivre ça. » Pierre est de nouveau fertile. Le fait que la vasovasostomie soit intervenue seulement deux ans après sa vasectomie y a contribué. « On n’a pas de pouvoir sur la suite des événements, mais on espère que ça va marcher », conclut-il.

La grande majorité des hommes ne regrette pas leur décision. Cela ne met pas certains d’entre eux à l’abri d’une ambivalence inattendue. Mickaël Nadal, 43 ans, a choisi il y a deux ans la vasectomie après un quatrième enfant « surprise ». D’un cinquième enfant, il n’était pas question, pour des raisons économiques essentiellement. C’est donc en toute quiétude que ce technico-commercial corrézien s’est rendu dans un cabinet d’urologie. Le choc est survenu trois mois après, lorsque le spermogramme a confirmé l’absence de spermatozoïdes. « Le chiffre zéro m’a fait l’effet d’une bombe, se souvient-il. J’avais perdu mon rôle d’homme reproducteur. Pourtant, je ne suis pas macho pour deux sous, c’est absurde. Mais j’ai ressenti pendant un mois une mélancolie à l’idée que je ne pourrai plus être papa. J’ai pris un coup de vieux. »

Reste deux questions lancinantes à propos de la vasectomie. Douloureuse ? Castratrice ? Sur le premier point, l’Association française d’urologie se veut rassurante. « La douleur au niveau de la zone opérée est habituellement minime et temporaire. » Tristan confirme, avec quelques bémols. « C’était plus une gêne qu’une douleur. Des points de suture ont lâché, ce qui a entraîné des saignements. Mais il est possible que j’aie des problèmes de cicatrisation. J’ai aussi l’impression que mes éjaculations sont moins fournies. Mais ça n’a rien changé à ma libido. » Comme Aymeric et Benjamin, il considère qu’il est plus libre de vivre sa sexualité comme il l’entend. « Avant, ma compagne et moi pouvions nous désirer mais n’avoir pas de préservatif sous la main ou avoir peur qu’il craque, explique Tristan. Grâce à la vasectomie, notre sexualité est plus spontanée et plus sereine. » Même Pierre, qui n’a pas l’assurance de redevenir père, continue de penser que la vasectomie était « le meilleur choix à un moment donné de [sa] vie ».


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