par Elsa Maudet publié le 11 avril 2023
La liste finit par donner la nausée. «Privation d’eau», «couche pas changée de la journée», «forcer les enfants à manger au point qu’ils vomissent», «humilier l’enfant en cours d’apprentissage de la propreté qui fait pipi sur lui», «obliger un bébé à s’allonger dans son lit en appuyant fortement sur son dos pour qu’il ne puisse pas se relever»… Sur plusieurs pages, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) relaie des extraits de témoignages reçus dans le cadre de la préparation de son rapport baptisé «Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches», paru ce mardi 11 avril. Des mauvais traitements individuels, mais aussi institutionnels, qui découlent de problèmes systémiques décortiqués par les inspecteurs.
Le 25 juillet 2022, en réaction à la mort d’un bébé, empoisonné par une employée dans une crèche lyonnaise quelques semaines plus tôt, le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, avait confié à l’Igas une mission d’évaluation portant sur la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis en établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE). Et ce alors qu’Emmanuel Macron souhaite mettre en place un «service public de la petite enfance» et créer 200 000 places d’accueil supplémentaires – tous modes confondus – d’ici à 2030. L’enquête a duré quatre mois, elle s’est déroulée dans 8 départements et 36 établissements et s’appuie en parallèle sur trois questionnaires diffusés au niveau national auprès des directrices de crèches (7 275 répondants), professionnelles (12 545) et parents (27 671).
Du travail «à la chaîne»
La pénurie de personnels dans le secteur de la petite enfance, connue de longue date, en est à un stade critique et fait l’objet de travaux du comité de filière installé par le gouvernement fin 2021. En attendant un choc d’attractivité, les professionnelles en sous-effectif doivent souvent travailler «à la chaîne». «La mission a ainsi pu constater dans plusieurs établissements des moments de change réalisés de façon mécanique, sans parler à l’enfant et parfois sans le regarder, et sans que ce moment soit mis à contribution pour la construction d’un lien singulier à l’enfant», écrivent les inspecteurs de l’Igas.
En outre, «le niveau global de qualification des professionnels tend à se dégrader […] à la faveur d’un assouplissement continu des exigences réglementaires», prévient le rapport. Et alors que le gouvernement est de moins en moins exigeant quant au nombre de professionnelles présentes dans les EAJE, «cette situation entraîne une charge de travail très importante, génératrice de fatigue, de surmenage, parfois de maltraitance envers les enfants». L’Igas reprend à son compte la préconisation d’avoir une adulte auprès de cinq enfants déjà formulée dans le rapport des 1 000 premiers jours, alors que l’on est à une pour cinq enfants qui ne marchent pas, et une pour huit qui marchent.
Excellent outil de réduction des inégalités sociales et entre hommes et femmes, les crèches se développent. En 2021, 18 % des enfants de moins de 3 ans y étaient accueillis, 9 points de plus qu’en 2002 – une hausse que l’on doit à l’essor des structures à but lucratif. Problème : «La logique quantitative d’accroissement de l’offre a devancé les objectifs qualitatifs d’une réponse adaptée aux besoins de l’enfant, la qualité ne faisant l’objet d’aucun pilotage réel au niveau national.»
Des situations très hétérogènes
Résultat, «le rythme individuel de l’enfant peine à être respecté», du fait notamment du manque de personnel. Des tout-petits sont par exemple contraints de rester allongés car c’est l’heure, alors qu’ils n’ont pas sommeil ou ont fini de dormir. Ce qui s’explique notamment par le fait que les temps de pause des employées soient généralement prévus sur les temps de sieste.
Notant que des effectifs trop conséquents dans les sections font «craindre un niveau élevé de nuisances sonores, qui représentent un risque pour les professionnels comme pour les enfants», les rapporteurs suggèrent de limiter les groupes à six ou huit enfants pour les moins de 2 ans et dix ou douze au-delà. Estimant que l’accueil collectif n’est pas pertinent avant l’âge de 1 an, ils se positionnent en faveur d’un allongement des congés maternité, paternité et parental en insistant sur l’implication du second parent, afin que cela ne se fasse pas au détriment des carrières des femmes.
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