par Cassandre Leray publié le 16 janvier 2023
Comme un arrière-goût de déception. Un an et demi après la publication par la Défenseuse des droits, Claire Hédon, d’un rapport sur «les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad», le bilan est «hélas nuancé». «La réponse des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur», écrit la Défenseuse des droits dans un travail de suivi publié ce lundi. «La prise de conscience tardive des pouvoirs publics doit maintenant déboucher sur une politique nationale ambitieuse permettant d’assurer une prise en charge respectueuse des droits et libertés fondamentaux des résidents des Ehpad et de leur dignité.»
Dans un rapport publié le 4 mai 2021, Claire Hédon listait 64 recommandations visant à améliorer les conditions de prise en charge des personnes accueillies dans les Ehpad, mais aussi à garantir leurs droits. Hasard de timing : quelques mois plus tard, en janvier 2022, la parution des Fossoyeurs donnait un immense coup de pied dans la fourmilière. Le livre enquête de Victor Castanet décrivait les maltraitances subies par les résidents au sein du groupe d’Ehpad privés Orpea. Après ces révélations, les députés de la commission des affaires sociales ont enchaîné plusieurs semaines de débats houleux rythmées par la promesse que les choses changeraient.
«Alors même que les autorités publiques semblent avoir été sensibles aux constats et aux recommandations de la Défenseuse des droits et s’être engagées à prendre des mesures», l’institution ne peut que constater que les souffrances des résidents ne se sont pas estompées. Depuis mai 2021, 281 nouvelles réclamations dénonçant des atteintes aux droits ont été reçues. Claire Hédon salue certaines mesures, comme l’annonce du renforcement des contrôles au sein des 7 500 Ehpad. Mais rappelle : «Si plusieurs recommandations formulées en 2021 ont fait l’objet d’annonces de la part des pouvoirs publics, ces dernières peinent à se matérialiser et doivent maintenant se traduire concrètement sur le terrain.» En guise de fil rouge, la Défenseuse des droits appelle ainsi à mettre en place «cinq actions capitales» au plus vite. Libé fait le point.
«Logique comptable»
Fer de lance des syndicats : le taux d’encadrement – soit le nombre de soignants par résidents – jugé trop faible. Même son de cloche pour la Défenseuse des droits, qui note que «certains soins, comme ceux qui relèvent de la toilette, sont organisés dans une logique comptable pour réduire les effectifs du personnel». Pour répondre aux besoins des résidents, l’institution propose de fixer un ratio minimal de personnels travaillant dans un établissement «en fonction du niveau d’autonomie et de soins requis des résidents», avec un objectif de 8 équivalents temps plein pour 10 résidents. Soit presque trois fois plus que la moyenne actuelle (3 soignants pour 10 résidents en moyenne dans les Ehpad publics hospitaliers, selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie en 2020). Une demande de longue date des professionnels du secteur, qui à ce jour n’a pas été suivie d’effets.
Le sujet est complexe : définir un taux d’encadrement précis ne fait sens que si les métiers du grand âge sont repensés. L’attractivité de la profession est en berne, à tel point que recruter des aides-soignants et infirmiers est parfois mission impossible. Des mesures ont bien été mises en œuvre par l’Etat, notamment des revalorisations salariales. Mais restent insuffisantes, selon Claire Hédon, qui recommande «le renforcement, en urgence, du plan d’action visant à favoriser l’emploi dans les domaines de la santé, du handicap et des personnes âgées».
Atteinte aux libertés
Restrictions des visites, isolation des résidents dans leurs chambres, impossibilité de sortir de l’établissement… La pandémiea été le déclencheur de diverses «atteintes à la liberté d’aller et venir» des résidents. Dans son premier rapport, la Défenseuse des droits appelait déjà à adopter un cadre juridique spécifique afin de garantir le caractère «nécessaire et proportionné» des mesures prises dans le cadre d’une crise sanitaire. Recommandation qui n’a jamais été mise en œuvre. Aujourd’hui encore, l’institution ne cesse d’être saisie pour des cas d’atteinte aux libertés des résidents et appelle «fermement» à ce que ces restrictions prennent fin : «Les personnes âgées accueillies en Ehpad ne peuvent souffrir de restrictions impératives à leurs droits fondamentaux plus importantes que le reste de la population sans base légale ni réglementaire.»
Autre point crucial : la prise en charge des maltraitances au sein des Ehpad. A ce jour, aucun outil de mesure fiable et partagé par l’ensemble des autorités de régulation et de contrôle n’existe. Les professionnels, les résidents et leurs familles se heurtent ainsi à des difficultés pour les faire remonter. Selon la Défenseuse des droits, un dispositif de «vigilance médico-sociale» amélioré permettrait une meilleure réception des signalements, notamment en intégrant ceux reçus par le 3977 – numéro unique contre la maltraitance envers les personnes âgées et les personnes en situation de handicap – au dispositif de traitement des signalements suivis par les agences régionales de santé.
Restaurer la confiance
Malgré le renforcement des contrôles annoncé par le gouvernement, la Défenseuse des droits rappelle qu’il «n’existe toujours pas de référentiel commun» comme base. Par ailleurs, «la durée de la procédure s’avère très longue» et «l’insuffisance de moyens humains» pour réaliser les contrôles reste un «sujet préoccupant». Pour aller plus loin que les annonces, Claire Hédon souligne l’importance d’un «renforcement significatif et pérenne des moyens humains des [agences régionales de santé]», et rappelle «la nécessité de procéder à des investigations approfondies sur place et de manière inopinée».
En toile de fond, un enjeu primordial : restaurer la confiance entre Ehpad, résidents et familles. Le ministère des Solidarités s’était engagé, en mars 2022, à publier annuellement dix indicateurs clés sur chaque établissement pour renforcer la transparence. Là encore, promesse non tenue à ce jour. La Défenseuse des droits attend sa mise en œuvre et propose la publication annuelle d’enquêtes de satisfaction avec des questions identiques à tous les Ehpad et «portées à la connaissance du grand public». «Il ne s’agit pas de privilégier la recherche du score mais d’évaluer, d’objectiver et de rendre plus transparentes les modalités de prise en charge des résidents au sein des établissements.»
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