Marion Rousset Publié le 16/01/23
L’historienne Laurence De Cock restitue le combat d’Élise et Célestin, deux pédagogues militants qui, dès les années 1920, ont voulu changer l’école mais qui, acculés, se sont finalement résignés à créer leur école privée.
Qui dit Freinet dit pédagogie alternative, mais aussi pédagogie populaire. Au sein du mouvement de l’Éducation nouvelle, ce nom reste attaché à l’idéal de l’école publique, gratuite et obligatoire. C’est elle qu’Élise et Célestin ont tenté de transformer de l’intérieur. C’est pour la faire vivre qu’ils se sont donné tant de mal. Dans Une journée fasciste. Célestin et Élise Freinet, pédagogues et militants (éd. Agone), l’historienne Laurence De Cock dessine le portrait sensible d’un couple d’instituteurs engagés qui s’est lancé dans un bras de fer contre l’institution pour défendre une pratique originale… avant d’être poussé vers la sortie. Vétusté du bâti scolaire, mutations forcées d’enseignants, menaces de l’extrême droite envers certains professeurs… Nourri de multiples résonances, ce livre dresse aussi en creux un état des lieux inquiétant de l’institution scolaire aujourd’hui.
Mais cette liberté qui leur est offerte met le feu aux poudres. Un élève raconte par exemple un rêve dans lequel il tue le maire sur ordre de son instituteur Freinet ! La moitié des parents de l’école dans laquelle cet instituteur exerce commencent à se plaindre, au début des années 1930, de sa pédagogie pas vraiment classique. Ils expliquent que leurs enfants n’apprennent rien, qu’on les prive de manuels scolaires, que les corrections sont insuffisantes et qu’il y a trop de bruit dans la classe. Au fond, on reproche à Célestin Freinet son engagement politique : ces familles ne supportent pas non plus la correspondance que leurs enfants entretiennent avec des écoles russes. Elles accusent l’instituteur de passer trop de temps à faire de la propagande communiste dans ses cours, ce dont il se défend fermement, même s’il reste persuadé que sa pédagogie « prolétarienne » débouchera un jour sur une transformation sociale.
Cette question de la répression des enseignants traverse d’ailleurs l’histoire de l’école jusqu’à aujourd’hui. Ces dernières années, plusieurs enseignants représentés par le collectif « Sois prof et tais-toi » ont été mutés d’office : Hélène Careil, professeure des écoles à Bobigny et militante Freinet, Kai Terada, professeur de mathématiques à Nanterre, six enseignants de l’école Pasteur de Neuilly… Ces personnes qui subissent des mesures de rétorsion sont toutes très impliquées dans leur métier et la défense de l’école publique, comme l’était le couple Freinet.
Pourtant, il se débrouille pour maintenir une dimension sociale très forte et faire en sorte que ça ne coûte quasiment rien aux familles. Dans cet établissement qui n’accueille que des enfants particuliers, orphelins de Gennevilliers intrépides qui ne savent pas du tout comment on se comporte dans une école, ou encore réfugiés de la guerre d’Espagne, la scolarité des élèves est financée par des mutuelles ouvrières, des associations caritatives et des orphelinats.
Cette question, les deux pédagogues la prennent à bras-le-corps. Pour eux, la solution ne passe pas seulement par des innovations pédagogiques, mais aussi par l’amélioration des conditions matérielles d’existence. Ses premières prises de bec, Freinet les a avec le maire, qui refuse de livrer du bois de chauffage et d’affecter quelqu’un pour nettoyer la salle de classe. Il travaille dans des conditions de vétusté et de saleté honteuses, qu’on ne retrouve pas dans les établissements des centres urbains. J’avoue qu’au fur et à mesure que j’avançais dans le dépouillement des archives, les résonances avec le présent m’ont semblé ahurissantes. Quand on voit aujourd’hui l’exemple du lycée d’Aulnay-sous-Bois, qui tombe en lambeaux, force est de constater que les mauvaises conditions matérielles dans les quartiers populaires restent un problème majeur.
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