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samedi 21 janvier 2023

Fécondité : pourquoi la France reste une bonne élève en Europe

Par    Publié le 17 janvier 2023

S’il est difficile de mesurer l’impact de la politique familiale hexagonale sur l’indice de fécondité élevé des Françaises, les chercheurs observent que les pays d’Europe où naissent le plus d’enfants sont ceux où il est le plus aisé de concilier maternité et vie professionnelle.

Les Françaises et les Français, dont les enquêtes soulignent volontiers le pessimisme et le manque de confiance dans l’avenir, sont, dans le même temps, les champions de la fécondité au niveau européen. Selon les dernières données comparatives d’Eurostat, en 2020, la France se trouvait en tête de classement, avec un indice conjoncturel de fécondité (ICF) alors à 1,83, talonnée par la Roumanie avec 1,80. Bien que ce taux baisse au fil des ans, la publication, mardi 17 janvier, du bilan démographique annuel de l’Insee confirme une nouvelle fois la place de bonne élève de la France, avec un ICF à 1,80 enfant par femme.

Or notre pays se caractérise aussi par des dépenses importantes en matière de politique familiale, avec environ 4 % du produit intérieur brut (PIB) consacrés aux divers dispositifs (congé parental, allocations familiales, accueil du jeune enfant…). Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Investissement élevé rime-t-il nécessairement avec fécondité élevée ? Les chercheurs se sont emparés de ces questions. Concernant la situation française, les travaux menés ces dernières années par les économistes et les démographes pour tenter d’établir un lien de causalité entre les deux relèvent tous la difficulté à mesurer l’impact des politiques d’aide aux familles sur la fécondité.

Grande variété de mesures

Si effet il y a, il est probablement modeste, disent-ils en substance et avec prudence. Un exemple récent tend à l’illustrer : avant les engagements de campagne pris par le candidat Emmanuel Macron, décision avait été prise, sous le quinquennat de François Hollande, de moduler les allocations familiales en fonction des revenus. La mesure avait provoqué de vifs débats. Ses adversaires avaient brandi l’argument du déclin de la fécondité. Sept ans plus tard, « rien ne permet d’associer ce changement à une évolution des naissances », estiment les spécialistes que nous avons interrogés.

« Faut-il attribuer à sa politique familiale la première place européenne de la France en matière de fécondité ? Sans doute y a-t-il un lien entre les deux, mais sans qu’il soit possible de vérifier l’impact de chaque mesure et de vérifier la causalité », résume le démographe Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, en soulignant, d’une part, la grande variété des mesures que recouvrent les politiques familiales et, d’autre part, la complexité à évaluer les relations croisées entre l’emploi des femmes, la fécondité et la croissance. L’exemple des Etats-Unis, qui se caractérisent par une forte fécondité malgré des politiques familiales limitées, apporte de la nuance en rappelant l’importance des contextes locaux.

La comparaison avec nos voisins européens est instructive. Depuis plusieurs décennies, les variations de la fécondité montrent, en effet, un niveau plus élevé dans les pays du Nord (Suède, Danemark, France) et plus faible dans ceux du sud du continent (Espagne, Italie). Or « tous ces pays disposent de politiques familiales, aux modalités variables », relève Gilles Pison, auteur d’un Atlas de la population mondiale (Autrement, nouvelle édition en janvier 2023, 96 pages, 24 euros). Mais ils n’y consacrent pas les mêmes montants, rappelle aussi le conseiller de la direction de l’Institut national d’études démographiques. Les pays nordiques investissent autour de 3,5 % de leur PIB dans leurs politiques familiales, contre 1,5 % en moyenne au Sud. Les dépenses relatives aux congés parentaux sont nettement supérieures chez les premiers, de même que l’offre de garde pour les jeunes enfants.

Autre différence majeure : l’existence d’inégalités plus fortes entre les femmes et les hommes, notamment sur l’accès à l’emploi, dans les pays du Sud. A cet égard, l’économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE-Sciences Po) Hélène Périvier souligne « un phénomène structurel, depuis les années 1980 dans les pays européens, avec une modification dans la corrélation entre le taux d’activité des femmes et la fécondité ». Avant cette date, le développement de l’activité féminine s’accompagnait d’une baisse marquée du taux de fécondité moyen. Mais, depuis quarante ans, les pays où les femmes participent fortement au marché du travail enregistrent les taux de fécondité soutenus, et, à l’inverse, ceux avec un faible taux d’emploi féminin ont des taux de fécondité faibles.

Environnement propice

Les politiques familiales accompagnent ce processus. La mise en place, en Suède, d’un congé parental de seize mois, correctement rémunéré et réparti entre les deux parents, s’inscrit, par exemple, dans une volonté de favoriser l’activité des femmes. La fécondité supérieure à la moyenne européenne n’est, au final, dans les pays nordiques, qu’une « conséquence indirecte de politiques visant à promouvoir l’égalité », remarque Gilles Pison.

L’aspiration des femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale est un des faits marquants de ces dernières années, et c’est bien cette dimension qui joue un rôle dans la fécondité. « On observe que c’est dans les pays où les politiques familiales sont axées sur l’articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle que les taux de fécondité sont élevés », souligne Hélène Périvier. Et, à cet égard, la France occupe une place à part parmi ses voisins européens. C’est en effet l’un des pays où mener de front maternité et vie professionnelle est à la fois le moins difficile, en raison notamment de l’offre d’accueil des jeunes enfants bien qu’elle ne suffise pas toujours à couvrir les besoins, et le plus valorisé. « A la différence des pays nordiques ou de l’Allemagne, la France a un modèle éducatif assez ouvert, donc les deux parents peuvent retravailler rapidement s’ils trouvent une place en crèche ou chez une assistante maternelle », constate l’économiste. Les mères qui travaillent avec des enfants en bas âge ne sont pas stigmatisées.

Cette idée de libre choix, typiquement française, s’additionne à une autre spécificité : celle de l’école préélémentaire, qui prend en charge les enfants à partir de 3 ans, contre 6 ans chez nombre de nos voisins. Davantage que les aides financières, c’est bien cet environnement propice qui joue un rôle décisif dans la bonne santé de la fécondité française. Un modèle cependant fragile, rappellent au fil des ans les rapports sur la petite enfance, qui plaident en faveur de mesures telles qu’une réforme du congé parental et de moyens pour développer l’offre d’accueil, qui couvre à l’heure actuelle 60 % des besoins de garde des enfants de moins de 3 ans.


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