par Virginie Ballet publié le 16 janvier 2023
La proposition de loi se veut un moyen d’«ajouter un outil supplémentaire à l’arsenal», pour permettre aux femmes victimes de violences conjugales d’avoir «le temps de rebondir». Adopté à l’unanimité fin octobre au Sénat, ce texte, examiné ce lundi à l’Assemblée nationale, prévoit l’instauration d’une «aide universelle d’urgence», pour les victimes de violences conjugales, sous la forme d’un prêt sans intérêts. «Ce dispositif a pour vocation de répondre aux situations d’emprise, de dépendance financière. Tout part du constat que certaines femmes peuvent se trouver contraintes de partir très rapidement. Or, cette absence d’autonomie financière peut être un véritable frein à la séparation», détaille la sénatrice centriste du Nord, Valérie Létard. «Cette mesure est inspirée du terrain : j’ai pris part à beaucoup de réunions impliquant tous les acteurs, du procureur aux forces de l’ordre, en passant par les bailleurs sociaux, pour identifier les manques éventuels sur mon territoire», poursuit l’élue, également conseillère départementale dans le Valenciennois.
Clémence Pajot, directrice générale de la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes (FNCIDFF), qui compte une centaine d’antennes sur le territoire, met en garde quant à elle contre «une fausse bonne idée : ce n’est pas adapté aux femmes les plus précaires. C’est très important de pouvoir délivrer une aide d’urgence, notamment aux femmes sans revenu, pour leur permettre de retrouver un minimum d’autonomie. Mais je ne suis pas sûre que commencer avec des dettes, fussent-elles empruntées à taux zéro, soit le meilleur des nouveaux départs». Cette professionnelle préconise plutôt de généraliser des systèmes comme celui mis en place dans le département de la Somme, où la caisse d’allocations familiales dispose d’une enveloppe destinée à aider certaines allocataires à faire face à des frais imprévus (nourriture, hôtel, billet de train ou encore vêtements pour enfants).
Concrètement, l’aide universelle telle que pensée dans la proposition de loi examinée ce lundi s’adresse à toute personne victime de violences de la part d’un «conjoint, d’un concubin, ou d’un partenaire de Pacs», et qui a soit déposé plainte, soit effectué un signalement auprès du procureur de la République, ou qui bénéficie d’une ordonnance de protection, délivrée par un juge aux affaires familiales. Dès lors, selon le texte, les femmes victimes de violences pourraient demander à la caisse d’allocations familiales dont dépend leur domicile l’octroi d’un prêt sans intérêt, versé en trois mensualités maximum, et dans un délai de trois jours ouvrés. «Tout le monde n’a pas droit au RSA. Et celles qui y sont éligibles doivent souvent faire face à des délais pouvant atteindre un mois avant de pouvoir toucher le premier versement. Il s’agit de débloquer la situation le temps de pouvoir rentrer dans le droit commun», observe Valérie Létard, qui dit avoir été saisie par l’impact de la dépendance financière dans laquelle se trouvent certaines femmes : «On peut gagner 2000 euros par mois et n’avoir accès ni à ses comptes bancaires, ni à ses moyens de paiement». Là encore, Clémence Pajot semble sceptique : «Sachant que toute la stratégie de l’agresseur repose sur la destruction de l’estime d’elle-même de ces femmes, il faut bien plus de trois mois pour se reconstruire quand on a été amené à douter de soi depuis des années.» D’autant que, souligne-t-elle, grâce à plusieurs partenariats avec la CAF, lorsqu’une demande d’ouverture de droits est formulée par une structure spécialisée, comme un centre d’information sur les droits des femmes, le versement des sommes peut déjà être accéléré.
Contrôle des dépenses et privation de ressources
Dans son dernier rapport d’activité, la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui gère le numéro d’écoute 3919, alertait sur la forte hausse du nombre de violences économiques signalées au cours des quelque 92 000 appels recensés en 2021. Un quart des appelantes en ont fait état, contre 19 % en 2019, un bond bien plus important que pour les autres types de violences (physiques ou verbales). Dans le détail, les appelantes ont évoqué un chantage économique (52 % des cas), un contrôle des dépenses (41 %), voire une privation de ressources (29 %). La FNSF réclame ainsi que soient déployées des mesures pour «lutter contre la précarisation des femmes victimes de violences, y compris après la séparation».
La proposition de loi dispose que «le montant et les modalités du prêt» devront être fixés par décret gouvernemental. Quant au remboursement, il pourrait se faire en un ou plusieurs versements. «Des remises ou des réductions de créance peuvent être consenties en cas de précarité de la situation du débiteur», précise encore la proposition de loi. Quid du coût de cette mesure ? «Il est difficile à évaluer à ce stade. Mais il faut penser aux drames humains que les violences conjugales peuvent générer, à l’impact qu’elles peuvent avoir sur les enfants, dont certains sont parfois confiés à l’aide sociale à l’enfance, ce qui a aussi un coût», appuie Valérie Létard.
«Pack nouveau départ»
Une dernière disposition du texte inquiète Clémence Pajot : celle qui prévoit que «lorsque l’avance d’urgence a été obtenue par fraude ou a été indûment versée, la créance correspondante est exigible sans délai.» Or, souligne la directrice générale de la FNCIDFF, il faut en moyenne sept départs à une femme victime de violences pour se défaire de la dépendance financière et affective, entraînant bien souvent des allers-retours auprès de l’agresseur, et donc un risque potentiel que la bénéficiaire soit soupçonnée de fraude.
Lors de l’examen du texte au Sénat, la ministre chargée de l’Egalité, Isabelle Rome, s’était contentée d’un «avis de sagesse» sur le texte, s’en remettant aux parlementaires, estimant que la mesure «peut être intégrée dans les réflexions du gouvernement, mais doit être enrichie pour couvrir tous les besoins des femmes». De son côté, le gouvernement a annoncé à l’automne l’expérimentation, «au premier semestre 2023» d’un «pack nouveau départ» prévoyant un «accompagnement […] vers le logement, vers l’emploi», et qui pourra être également «financier pour la prise en charge des enfants». «Tout l’enjeu est d’apporter réponse coordonnée, rapide et individualisée aux besoins des victimes de violences conjugales en vue de faciliter leur départ et leur séparation du conjoint violent», appuie le ministère chargé de l’Egalité et pour qui le texte examiné ce lundi «vise à répondre à cet objectif d’urgence financière et s’insère donc parfaitement dans le travail engagé par le gouvernement avec le pack nouveau départ». Ce dispositif complet, promet-on, comprendra aussi un système de «coupe-file» dans l’accès aux dispositifs de droit commun (droits sociaux, Pôle Emploi…), ainsi qu’une «meilleure détection des victimes» grâce au réseau associatif.
La ligne d’écoute 39 19 pour les femmes victimes de violences, leur entourage et les professionnels concernés, est joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Anonyme et gratuite, elle est accessible depuis un poste fixe ou un mobile en métropole et dans les DOM. Le «08 victimes» (08 842 846 37), non surtaxé, est un numéro dédié à toutes les victimes de violences sept jours sur sept, de 9 heures à 21 heures.
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