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vendredi 9 décembre 2022

Reportage Fin de vie : «C’est la prochaine liberté à conquérir»

par Maïté Darnault, correspondante à Lyon  publié le 9 décembre 2022 

Dans les locaux lyonnais de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, chacun s’attache à mener un dialogue apaisé. Mais certains redoutent un manque de courage politique sur un sujet délicat dont la convention citoyenne s’ouvre ce vendredi.

Des brochures ont été disposées avec soin sur une table. L’une dit qu’«on meurt mal en France», l’autre compile «quelques vérités bonnes à rappeler concernant la fin de vie et l’aide active à mourir».Il y a aussi un formulaire de «directives anticipées» désignant les «personnes de confiance» qui s’assureront que ces souhaits sont respectés. Deux dames patientent. Une troisième arrive : «On pourrait apporter une bouilloire avec du thé et des infusions ?» lance Sylvie Longeon-Curci, déléguée dans le Rhône et la métropole de Lyon de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Chaque premier mercredi du mois, cette antenne locale tient une permanence dans une salle municipale du IVe arrondissement de Lyon.

«Chaque citoyen doit être respecté dans sa volonté»

Une poignée de personnes, tout au plus, vont passer durant l’après-midi. Certaines ont d’abord pris contact par téléphone, d’autres se présentent spontanément. Il y a rarement foule, et tant mieux : il s’agit de mener un dialogue apaisé sur un sujet complexe, à la fois intime et sociétal, parfois tabou, toujours bouleversant quand il a trait à un proche. «C’est important de laisser la possibilité d’une rencontre physique, c’est rassurant, explique Sylvie Longeon-Curci. On privilégie la bienveillance et la solidarité, on est là pour accueillir la parole de gens démunis de soutien et d’informations sur ces questions.» L’engagement «citoyen» de cette pharmacienne de 64 ans ne date pas d’aujourd’hui et a été, ces dernières années, «corroboré» par son histoire personnelle.

«Je ne peux pas comprendre qu’en 2022, on laisse encore des personnes vulnérables qui souffrent dans des situations de trop faible accompagnement, par manque de moyens. Chaque citoyen doit être respecté dans sa volonté», souligne celle qui aurait tant voulu offrir une autre fin de vie à sa mère, âgée de 92 ans, dont l’état de santé s’est dégradé durant les confinements. «Elle a commencé à me parler d’euthanasie mais c’était déjà compliqué dans son cas de se déplacer dans un autre pays, témoigne Sylvie Longeon-Curci. Elle m’a demandé de mourir pendant dix-huit mois, c’est long pour une fille d’entendre sa mère dire ça.» L’aïeule ne parle plus, ne peut plus se déplacer ni se nourrir seule : «On prend soin d’elle, mais je suis convaincue que ce n’est pas ce qu’elle voulait. Ce que j’espère, c’est que, pour moi, ce sera possible.»

«Les soins palliatifs existent encore trop peu»

Possible de «s’arrêter quand on en a assez», de «ne pas disparaître sans dignité» car «ce n’est pas quand on est au bout, dépendant, handicapé, qu’on peut partir sereinement», dit Gilberte, l’une des permanencières ce jour-là. «C’est un choix personnel, on ne veut pas de cette déchéance mais on ne va pas courir après la voisine pour lui piquer les miches !» s’exclame l’octogénaire, qui fut conjointe d’artisan et marquée jeune par le décès d’une tante atteinte d’un cancer – «elle a beaucoup souffert mais le médecin n’a rien fait».Gilberte aurait horreur de se retrouver «à la charge de [ses] enfants».Eux «comprennent très bien» sa décision d’établir des directives anticipées qui, «dans l’hypothèse où cela deviendrait légalement possible», explique le formulaire, lui permettraient de «bénéficier d’une aide active à mourir». «Ça leur semble d’ailleurs plus important de parler de ça que de l’organisation de mes funérailles, ils ne veulent pas voir leur mère mourir mal.»

Gilberte n’attend en revanche «pas grand-chose» de la convention citoyenne sur la fin de vie qui entame ses travaux ce vendredi : «On a eu tellement de promesses mais les politiques ramènent tout à eux. Il y a eu d’énormes avancées depuis les années 80 mais les soins palliatifs existent encore trop peu. J’espère que cette loi va arriver et va être appliquée.» Georges (1), 75 ans, médecin de campagne retraité, ne croit pas non plus à ce «processus politique de poudre aux yeux destiné à endormir les masses populaires. Ça fait dix ans que la société pousse mais on n’en tient pas compte et on repart pour un tour», se désole celui qui a accompagné son épouse malade pour un «départ volontaire» en Suisse en 2017. «Nous l’avons fait avec mes enfants, cela a été extrêmement doux, apaisé», raconte-t-il.

«Manque de courage politique»

Baudoin, lui, a «bon espoir que cette tentative de démocratie un peu différente aboutisse» : «La convention pour le climat a été très décriée mais j’ai encore envie d’y croire, ils ne vont pas pouvoir se planter une deuxième fois», estime cet ingénieur de 31 ans. Une fin de vie digne est, à son sens, «la prochaine liberté à conquérir» pour la population comme pour le corps médical : «Il y a des soignants en souffrance tiraillés entre la loi et la pression des familles et des patients. Certains prennent des risques légaux pas acceptables et d’autres pratiquent certaines choses dans leur coin sans parfois un consentement éclairé. Il faut les soutenir, les encadrer.» Mais Baudoin redoute aussi un «manque de courage politique» des députés, qui accoucherait d’une «loi tiède, qui n’aille encore pas assez loin». Et «qu’il faille encore attendre» pour voir le vœu d’une majorité de Français se concrétiser, celui de «mourir debout».

(1) Le prénom a été modifié.


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