Par Clémence Apetogbor Publié le 09 décembre 2022
La convention citoyenne sur le sujet débutera le 9 décembre. Elle devrait rendre en mars 2023 des travaux permettant, selon Emmanuel Macron, « à la société de prendre en compte les évolutions indispensables sur cet immense sujet ».
En lançant la convention citoyenne sur la question de la fin de vie, dont les travaux commencent vendredi 9 décembre, Emmanuel Macron a engagé le débat sur l’évolution de la loi française en matière d’aide à mourir. La question posée aux cent cinquante Français tirés au sort qui vont débattre pendant plusieurs mois du sujet est la suivante : « Le cadre d’accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? »
C’est à partir de ces débats que le gouvernement décidera de changer ou non la loi Claeys-Leonetti sur l’accompagnement médical de la fin de vie, éventuellement en légalisant une « aide active à mourir ». Le Comité d’éthique a récemment jugé envisageable cette évolution, à de très strictes conditions. Le débat est récurrent, dès lors que les pays européens voisins font évoluer leur législation pour autoriser l’euthanasie de manière très encadrée. Quels sont pour l’heure les droits des citoyens français en la matière ? Comment la loi pourrait-elle évoluer ?
Ce que dit la loi
Pour l’heure, en France, c’est la loi Claeys-Léonetti, adoptée en 2016, après une première version en 2005, qui encadre la fin de vie des malades incurables. Elle permet une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance, dont la vie est menacée « à court terme ». Cette notion de court terme, qui va de quelques heures à quelques jours, a été définie par la Haute Autorité de santé.
La loi prévoit l’arrêt des traitements en cas d’« obstination déraisonnable » (ou acharnement thérapeutique) : les traitements sont, si et seulement si le patient le souhaite, « suspendus » lorsqu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Si le patient ne peut exprimer sa volonté et n’a pas désigné de personne de confiance pour le représenter, la décision doit être prise par les médecins de façon « collégiale ». Dans tous les cas, « le médecin doit sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de la fin de vie en dispensant les soins palliatifs appropriés », précise le texte de loi.
Le patient est alors endormi, les traitements (l’hydratation et la nutrition sont notamment considérées comme tels) sont arrêtés et des antidouleurs administrés. La sédation peut avoir lieu au domicile du malade, s’il le souhaite, en milieu hospitalier ou dans un établissement d’accueil de personnes âgées.
Le texte de 2016 renforce la valeur des « directives anticipées » que les patients sont à même de formuler, en prévision d’une situation où ils ne seraient plus en mesure d’exprimer leur volonté. Ces directives peuvent être couchées sur papier libre ou consignées dans le formulaire proposé par le ministère de la santé. Le document doit être daté et signé, et le patient doit s’identifier par ses noms, prénoms, date et lieu de naissance.
Le patient peut, par ailleurs, désigner une personne majeure qui le représentera s’il n’est plus en mesure de s’exprimer. La parole de cette personne, dont la désignation est révocable à tout moment, prédomine sur les souhaits des autres proches et de la famille du patient. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.
L’état du débat
Estimant que la fin de vie « est un sujet d’interrogations et d’inquiétudes pour nos concitoyens » et qu’elle « fait l’objet d’évolutions notables ces dernières années », Emmanuel Macron a annoncé, le 13 septembre, le lancement d’une consultation citoyenne sur la fin de vie, organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Elle rendra en mars ses conclusions en vue d’un éventuel changement de « cadre légal » sur la fin de vie. Sans être mentionnée explicitement par le chef de l’Etat, la question est de savoir si la France va aller plus loin dans son approche de la question et rendre possible l’accès à une « aide active à mourir ».
Des débats sont aussi organisés par les espaces de réflexion éthique régionaux « afin d’aller vers tous les citoyens et de leur permettre de s’informer et de mesurer les enjeux qui s’attachent à la fin de vie », a expliqué l’Elysée. Des consultations sont également menées avec les équipes de soins palliatifs qui sont régulièrement confrontées à la fin de vie. Le gouvernement a engagé parallèlement un « travail concerté et transpartisan » avec les députés et les sénateurs. Toujours selon l’Elysée :
« L’ensemble de ces travaux permettra d’envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023. »
Le président de la République n’exclut ni une issue par voie parlementaire ni un référendum.
Emmanuel Macron, qui envisage d’en faire la grande réforme sociétale de son second quinquennat, avait relancé le sujet en septembre et, pour donner le signal de départ, n’attendait plus que l’avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).
Après les diverses évolutions législatives, médicales et sociétales de ces dernières années, le CCNE a rendu le 13 septembre un avis très nuancé, mais acceptant, pour la première fois, la possibilité d’une aide « active » à mourir. Le comité d’éthique juge possible « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » pour des patients « au pronostic vital engagé à moyen terme » – quelques semaines ou mois –, et aux souffrances physiques et/ou psychiques insupportables.
Une telle évolution, dont il renvoie la responsabilité au législateur, ne pourrait se faire qu’à de « strictes » conditions : demande d’aide active à mourir « libre, éclairée et réitérée » par le patient, analysée par des soignants dans une « procédure collégiale ». Les soignants impliqués devraient pouvoir bénéficier d’une clause de conscience.
Toutefois, le comité plaide, « de manière indissociable », pour un renforcement des soins palliatifs, rappelant que les débats sur la fin de vie ne doivent pas se limiter à l’euthanasie ou au suicide assisté. Et il ne présente pas un visage unanime. Huit de ses quarante-cinq membres ont exprimé une « réserve », publiée en fin d’avis, et diverses « inquiétudes » sur un nouveau « pas législatif » sans « efforts préalables » sur l’application des lois existantes ou les soins palliatifs.
Le débat sur la fin de vie doit « donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir », note l’Elysée. « Le temps nécessaire sera pris, et toutes garanties doivent être données pour assurer les conditions d’un débat ordonné, serein et éclairé », a insisté la présidence.
Des citoyens qui semblent avoir peu connaissance de leur droit en matière de fin de vie. Ainsi, « 40 % d’entre eux » ne savent pas qu’il y a une loi sur la fin de vie, expliquait en 2021, devant le Sénat, Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Par ailleurs, « 18 % seulement des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées, et 54 % ne souhaitent pas le faire. [Enfin,] 91 % des personnes n’en ont pas discuté avec leur médecin ».
Euthanasie et suicide assisté ailleurs en Europe
En Belgique, premier pays européen à avoir légiféré sur l’euthanasie, la demande doit être « volontaire, réfléchie, répétée », « sans pression extérieure », selon un texte promulgué le 28 mai 2002. En 2021, ce pays a comptabilisé 2 700 euthanasies, soit 2,4 % du nombre total de décès. Il s’agissait en majorité de personnes âgées de 60 à 89 ans. Dans 84 % des cas, la mort était attendue à « brève échéance ».
Aux Pays-Bas, l’euthanasie est strictement encadrée depuis le 1er avril 2002. La loi néerlandaise stipule que le médecin et un expert indépendant doivent établir que le patient endure une souffrance insupportable et sans espoir d’amélioration. Il doit aussi être établi que la demande d’euthanasie est mûrement réfléchie, volontaire, et qu’il n’y a aucune autre « option réaliste ».
Le Luxembourg a légalisé l’euthanasie et le suicide assisté en 2009. Dans le premier cas, c’est un médecin qui administre le produit donnant la mort. Dans le second, le patient prend lui-même un produit qui lui a été prescrit pour se donner la mort. Pour qu’une demande d’euthanasie ou d’assistance au suicide soit légale au Luxembourg, le patient doit être conscient, ne pas avoir subi de pression extérieure et être « dans une situation médicale sans issue, sans perspective d’amélioration, à la suite d’un accident ou d’une pathologie » et souffrir « physiquement ou psychologiquement » de cette situation de santé.
L’Espagne a adopté en mars 2021 une loi qui permet l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. La loi espagnole prévoit que toute personne ayant « une maladie grave et incurable » ou des douleurs « chroniques la plaçant dans une situation d’incapacité » puisse demander l’aide du corps médical pour mourir et s’éviter ainsi « une souffrance intolérable ». Des conditions strictes encadrent la démarche, qui doit notamment recevoir le feu vert d’une commission d’évaluation.
Le Portugal pourrait être un des prochains pays européens à dépénaliser l’euthanasie : un vote du Parlement en juin 2022 a relancé le processus législatif qui s’était heurté jusqu’à présent aux réticences du président conservateur, Marcelo Rebelo de Sousa.
La Suisse autorise le suicide assisté depuis 1937. La personne ne doit pas nécessairement être en phase terminale, mais doit apporter la preuve de sa capacité de discernement et son aidant ne doit pas avoir de « mobile égoïste » (comme la possibilité d’hériter). La pratique de l’assistance au suicide est encadrée par des codes de déontologie médicale et prise en charge par des organisations, comme l’association Exit. Chaque association détermine ensuite les critères de santé dont elle estime qu’ils donnent accès à un suicide assisté.
L’Autriche a légalisé, par un vote du Parlement en décembre 2021, le suicide assisté pour les personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
En Italie, où le code pénal punit « l’instigation ou l’aide au suicide », la Cour constitutionnelle a dépénalisé de fait en septembre 2019 le suicide assisté dans certains cas : pour les malades pleinement conscients « maintenus en vie par des traitements (…) et atteints d’une pathologie irréversible, source de souffrance physique et psychologique qu’ils estiment intolérable ».
En Allemagne, le débat est de nouveau d’actualité, puisque en février 2020 la Cour constitutionnelle a censuré une loi de 2015 interdisant l’assistance au suicide par des médecins ou associations. Celle-ci disposait que « l’assistance organisée au suicide » était passible de trois ans de prison. En qualifiant d’inconstitutionnelle l’interdiction du suicide assisté, les juges de Karlsruhe n’ont pas pour autant décidé que celui-ci était légal. Désormais, il revient aux députés de réécrire la législation.
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