par Daniel Borrillo, juriste, enseignant-chercheur au CNRS publié le 6 décembre 2022
Les questions relatives aux aspects les plus intimes de nos existences tels que la procréation assistée, le changement de sexe, l’IVG, la GPA, la fin de vie, l’inhumation ou encore la crémation, demeurent un monopole d’Etat. Et, si la Cour européenne des droits de l’homme considère que «le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de former librement sa volonté et d’agir en conséquence, est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée» (1), en France, la fin de vie n’est pas du ressort de l’individu. En effet, la loi Claeys-Leonetti de 2016 n’autorise pas l’aide active à mourir. Elle permet uniquement le recours à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Il s’agit, comme le soulignent les rapporteurs de la loi, de «laisser mourir sans faire mourir».
Le mécanisme de la convention citoyenne qui s’ouvre à partir de vendredi n’est pas original, d’autres ont déjà vu le jour tels que la Convention citoyenne sur le climat, le grand débat national ou encore les états généraux de la bioéthique.
Si l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que «la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation», l’adverbe «personnellement» n’est pas compris par le gouvernement comme «par soi-même». Il ne faut pas se tromper, ce n’est pas nous qui participons dans la convention citoyenne mais des représentants tirés au sort par un comité d’experts qui vont largement guider les propositions. Il ne s’agit nullement de laisser la parole au peuple mais bien d’un contrôle conscient et délibéré, en vue d’obtenir un résultat sous la surveillance des spécialistes. Malgré l’apparence démocratique, il s’agit toujours d’une entreprise du pouvoir mise en œuvre au nom du bien-être de chaque individu supposé être ignorant et non initié.
Le patient, seul expert de lui-même
Dans une situation aussi intime que la fin de vie, seul le patient devrait être le véritable expert de lui-même. Certes, la loi Claeys-Leonetti a créé de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Mais, ce dispositif ne répond pas nécessairement à la demande de certains patients d’assumer leur mort et de donner du sens à la dernière phase de l’existence, surtout lorsqu’on sait qu’aucune étude scientifique ne prouve que le patient sédaté cesse de souffrir (2) et que six ans après l’adoption de la loi, 94 % des Français approuvent le recours à l’euthanasie.
Le juriste et grand spécialiste des droits fondamentaux Jean Rivero avait raison d’affirmer que «la vie privée est une sphère de chaque existence dans laquelle nul ne peut s’immiscer sans y être convié. La liberté de la vie privée est la reconnaissance, au profit de chacun, d’une zone d’activité qui lui est propre et qu’il est maître d’interdire à autrui». La protection de l’intimité renvoie à la dignité de la personne en son for intérieur, d’autant qu’elle comporte un élément subjectif du malade, vulnérable en raison de son affection, de sa prise en charge, de sa dépendance et des interventions réalisées sur son corps.
Vers une guerre d’experts ?
Dès lors que la manière de mourir relève d’un choix intime, ce devoir de non-ingérence devrait s’appliquer aussi bien à l’Etat qu’à ses experts autoproclamés en humanité – du Comité national consultatif d’éthique à l’Agence de biomédecine en passant par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie – si enclins à prononcer une sorte de pastorale laïque qui prétend savoir mieux que le patient lui-même ce qui lui convient.
Préparez-vous dans les mois qui suivent à une «guerre» d’experts. Ils se livreront à un combat idéologique et à un concours d’autorité. De plateau en plateau, d’éditorial en chronique, d’avis institutionnel en recommandation publique, de sermon théologique en exhortation républicaine, ils viendront vous dire de quelle manière vous devriez mourir. Or, dans une société pluraliste, il n’existe pas une conception de la «bonne mort» à laquelle l’ensemble des personnes pourraient s’identifier. Il est donc fondamental que chacun puisse décider librement. De même, la loi devrait prévoir une clause de conscience destinée à éviter qu’un professionnel de santé n’agisse en contradiction avec ses croyances.
Aussi, la seule loi juste en la matière est celle qui s’abstient de dire aux malades comment assumer la mort et donner du sens à la fin de l’existence. Pour ce faire, il faut que ces derniers aient le choix entre les soins palliatifs à l’hôpital ou à domicile, la sédation profonde mais aussi l’euthanasie et le suicide assisté. Il faut également leur garantir la possibilité de changer d’avis à tout moment. La loi juste est celle qui laisse la décision finale aux principaux concernés, c’est-à-dire les mourants. Enfin, on doit accorder le même crédit à ceux qui préfèrent continuer à vivre y compris dans des conditions difficilement supportables qu’à ceux qui formulent une demande d’aide active à mourir : c’est au malade et à lui seul d’en décider selon sa propre morale et dans l’intimité de sa conscience.
(1) Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, le 20 janvier 2011.
(2) T., Martyna, M.-L., Viallard, et S., Beloucif. «Sédation continue, maintenue jusqu’au décès : un traitement vraiment efficace ? Etude qualitative internationale auprès de professionnels de santé»,Revue internationale de soins palliatifs.
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