Par Florence Rosier Publié le 06 décembre 2022
Une équipe américaine montre comment les températures hivernales bloquent la libération dans notre nez, en cas d’inhalation d’un virus, d’une nuée de petites sphères dotées d’un pouvoir anti-infectieux.
« Tu vas attraper froid ! » Les médecins ont souvent pris de haut cette expression populaire. Peut-on réellement développer une maladie respiratoire ou ORL à cause du froid ? Non, jugeaient-ils. Les températures hivernales ne peuvent être directement responsables de nos rhumes, grippes, angines, otites et autres affections, qui sont, comme chacun sait, bien plus fréquentes à la mauvaise saison.
Une étude américaine publiée le 5 décembre leur donne tort : cette croyance populaire avait du vrai ! Quand nos muqueuses nasales respirent un air glacé, montrent les auteurs, ce froid neutralise une des premières lignes de défense de notre organisme face à une attaque virale. Affaiblies, elles laissent le champ libre au virus, qui envahit nos voies respiratoires.
Jusqu’ici, deux explications prévalaient pour rendre compte de la fréquence plus élevée des maladies respiratoires en hiver. La première est comportementale. Durant la saison froide, nous vivons davantage en milieu clos. Ces séjours prolongés dans des lieux fermés, avec la promiscuité qu’ils supposent, favorisent les infections : nous respirons alors un air contaminé. Second mécanisme, les virus responsables des maladies respiratoires résisteraient mieux aux frimas, d’où leurs offensives répétées à la saison froide.
« Fonctions très variées »
Le mécanisme biologique découvert aujourd’hui n’invalide pas ces deux explications : il en est complémentaire. Il faut d’abord savoir qu’en cas d’invasion microbienne dans notre nez, un régiment insolite intervient en urgence : il recrute de microscopiques soldats tout ronds.
« Toutes les cellules humaines sécrètent de minuscules billes, guère plus grosses que des virus », explique Clotilde Théry, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, institut Curie, Paris). Cernées d’une double couche de lipides, ces billes nanoscopiques (leur diamètre est compris entre 50 et 200 milliardièmes de mètres) peuvent renfermer différentes molécules d’intérêt.
Depuis 2012, ces billes captivent une docte assemblée, la Société internationale des vésicules extracellulaires, dont le vaste savoir n’est pas proportionnel à la notoriété. « Cela fait plus de vingt ans que je travaille sur ces vésicules », témoigne Clotilde Théry, qui a cofondé ce « club » de quelque 2 000 membres à travers le monde.
« Les vésicules extracellulaires ont été découvertes au milieu du XXe siècle, explique Clotilde Théry. Elles sont peu à peu apparues hétérogènes et leurs fonctions très variées. » Certaines servent de poubelles aux cellules – qui se débarrassent ainsi de leurs déchets. D’autres font office de messagers. Faisant la navette entre cellules, elles transportent des molécules-missives (protéines, molécules d’ARN).
Les vésicules qui nous intéressent ici servent de défenses immunitaires dites « innées », car elles préexistent à toute infection. Leur production par les cellules du nez a été découverte en 2018 par les équipes de l’Ecole de médecine de Harvard et de l’université Northeastern, qui sont à l’origine de la découverte actuelle, à Boston.
Leurres
Lorsque nous inhalons des bactéries, des cellules de notre muqueuse nasale détectent ces microbes. C’est le signal d’alarme. Il déclenche la libération, dans le mucus nasal, de milliards de petits sacs remplis de liquide – les fameuses vésicules extracellulaires – qui cernent et attaquent les bactéries. C’est « un coup de pied dans un nid de frelons », métaphorise Benjamin Bleier, qui a coordonné l’étude. Ces vésicules contiennent des protéines antibactériennes. En diffusant le long des voies respiratoires, elles protègent d’autres cellules, empêchant les bactéries de pénétrer trop profondément dans l’organisme.
Mais en cas d’invasion virale ? Les chercheurs ont analysé comment des cellules et des échantillons de muqueuse nasale, prélevés chez des patients subissant une intervention chirurgicale ou des volontaires sains, réagissaient à trois types de virus responsables de rhumes communs : deux rhinovirus et un coronavirus – qui n’est pas le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19.
Un signal activant chacun de ces virus déclenche la libération, par les cellules nasales, d’une nuée de vésicules extracellulaires. Mais ici ces vésicules agissent comme des leurres. Elles portent à leur surface des récepteurs bien connus (récepteurs aux LDL, molécules ICAM…), auxquels les virus se fixent, en lieu et place des récepteurs situés sur les cellules nasales qui leur servent, en temps normal, de porte d’entrée. « Plus ces vésicules portent de leurres, plus elles peuvent éponger les virus dans le mucus avant que ceux-ci ne se lient aux cellules nasales, et plus elles bloquent l’infection », explique Di Huang, la jeune chercheuse qui a réalisé l’essentiel du travail expérimental. De plus, ces vésicules contiennent un micro-ARN à effet antiviral.
« Moyen de défense moins efficace »
Et le froid là-dedans ? Les chercheurs ont exposé des volontaires en bonne santé à de l’air à température ambiante, puis à 4,4 °C durant quinze minutes. Résultat, la température à l’intérieur du nez a chuté d’environ 5 °C. Ensuite, ils ont appliqué cette chute de température aux échantillons de tissu nasal maintenus in vitro. Verdict, le froid émoussait ce processus de défense. La quantité de vésicules sécrétées par les cellules nasales a diminué de près de 42 % et les protéines antivirales contenues dans les vésicules étaient altérées. « En clair, ce moyen de défense immunitaire inné est moins efficace quand il fait froid », résume Olivier Schwartz, responsable de l’unité virus et immunité à l’Institut Pasteur, à Paris, qui juge ce travail « sérieux, fournissant des preuves solides de l’impact des températures hivernales sur les infections virales ».
D’autant que ce travail fait écho à une observation de 2020 de l’équipe de Clotilde Théry à l’institut Curie. Celle-ci montrait in vitro le pouvoir anti-infectieux de vésicules extracellulaires portant à leur surface les récepteurs sur lesquels le SARS-CoV-2 se fixe pour infecter nos cellules, en particulier les récepteurs ACE-2. Là encore, « ces vésicules ont servi de leurre biologique : elles ont piégé le virus en l’empêchant de se fixer aux cellules, diminuant son pouvoir d’infection », explique Clotilde Théry.
Mais la chercheuse s’interroge : « Le processus décrit par l’équipe de Harvard existe clairement. Mais quel est son poids réel dans nos défenses immunitaires déclenchées par l’inhalation d’un virus ? L’étude ne permet pas d’y répondre. »Dernière question : ces découvertes pourront-elles être transformées en pistes thérapeutiques ? La route est encore longue.
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