par Juliette Démas, Correspondante à Londres publié le 3 décembre 2022
Sally Sheard est historienne et spécialiste en politiques de santé auprès de l’Institute of Population Health. Pour elle, les difficultés du système de santé britannique, le National Health Service (NHS), sont multiples : un manque de financement, une population qui vit plus longtemps, et des équipes peu encouragées à rester.
Le NHS a été mis en place en 1948, à un moment critique pour le Royaume-Uni et à une période où beaucoup de gens s’inquiétaient de la manière dont ils allaient payer leurs traitements médicaux. Sa planification a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale, et il a été présenté au public britannique comme faisant partie d’un projet d’Etat-providence qui s’occuperait de «tous, du berceau à la tombe». Cela s’inscrivait dans une démarche de sécurisation des revenus, de l’éducation, du logement… Le public a vite compris qu’il s’agissait d’un système à chérir, à défendre, et le NHS est devenu partie intégrante de l’ensemble des valeurs britanniques.
Comment expliquer la crise actuelle du NHS ?
Les crises sont multiples et posent toutes la question de la volonté politique de doter le NHS d’un niveau de ressources suffisant pour lui permettre de fonctionner efficacement. La principale crise concerne les effectifs : il y a un exode massif du personnel clinique et infirmier, et il devient très difficile d’assurer les services de base. La charge de travail est importante pour ceux qui restent. On demande aux équipes de faire des heures irréalistes, et il y a beaucoup de stress et d’épuisement. Des médecins seniors se mettent en préretraite car ils sont financièrement dissuadés de rester.
Une partie du problème est due au succès même du NHS : les gens vivent beaucoup plus longtemps qu’avant, et développent des comorbidités en fin de vie. Il y a aussi de nombreuses maladies liées au mode de vie. Pour restructurer le NHS de manière radicale, il faudrait investir dans les soins préventifs qui réduiraient ensuite les coûts de traitement. C’est politiquement inacceptable, car il n’y aurait pas de retour sur investissement au cours d’un cycle politique.
La privatisation fait-elle partie du problème ?
La privatisation a été introduite dans les années 80 comme un moyen de générer plus d’efficacité au sein du système de santé public. S’il y avait une certaine logique pour cela, le risque, lorsqu’on ouvre le marché à des fournisseurs externes, est qu’ils ne s’intéressent qu’aux éléments du service où ils peuvent réaliser un profit. Si vous fracturez un service de santé national de cette manière, en faisant entrer un nombre important d’entreprises privées, vous détruisez son éthique. En outre, il n’y a pas eu suffisamment de budget sous les gouvernements que nous avons connus depuis 2010.
Quelles sont les solutions ?
Nous devons revenir aux fondamentaux et nous assurer que nous avons suffisamment de formations et d’opportunités de développement professionnel. Le gouvernement et la société doivent aussi procéder à une évaluation ciblée de ce que le NHS est en capacité de réaliser, et de la valeur que nous lui accordons. Nous avons tendance à penser qu’il sera toujours là car cela fait soixante-quatorze ans que nous bénéficions de ce service, et nous sommes devenus assez complaisants.
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