par Charles Delouche-Bertolasi publié le 29 décembre 2022
Laissez circuler le cannabis (light), c’est le Conseil d’Etat qui le dit. Ce jeudi après-midi, les Sages ont décidé de retoquer définitivement l’arrêté du gouvernement pris le 30 décembre 2021, qui interdisait la vente des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %. Suspendue temporairement depuis janvier 2022 par le juge des référés, cette mesure la plus symbolique du texte vient d’être finalement enterrée par le Conseil d’Etat. Ouvrant ainsi un boulevard au marché du cannabidiol (CBD), la molécule non psychotrope du chanvre.
«Il n’est pas établi que la consommation des fleurs et feuilles de ces variétés de cannabis avec un faible taux de THC comporterait des risques pour la santé publique», a expliqué la plus haute juridiction administrative dans sa décision, jugeant «illégale l’interdiction générale et absolue de leur commercialisation». Les juges administratifs ont suivi l’avis du rapporteur public. Lors de l’audience organisée le 14 décembre, il avait estimé que l’interdiction de la vente des fleurs dont la teneur en THC est inférieure à la limite légale de 0,3 % était disproportionnée.
Aurélien Delecroix, président du syndicat professionnel du chanvre, savoure la nouvelle. Depuis 2018, l’homme est en première ligne du combat pour que la France s’ouvre au CBD. A Libération, il confie que lui et les siens, comprendre les défenseurs du cannabis light, «reviennent de loin». «D’un point de vue juridique on avait raisonnablement confiance dans la décision, mais c’est quand même un soulagement pour la filière. Au début, l’Etat voulait même interdire la molécule de CBD. Nous n’avons pas perdu une seule bataille et le droit est de notre côté».
Pour lui, la décision prise ce jeudi par le Conseil d'Etat va donner de la visibilité au secteur, permettre de lancer des investissements. «Depuis des mois nous avions cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui paralysait le développement de nos activités. Pour mon entreprise, cette décision va nous permettre de nous développer», explique ce gendarme réserviste qui rappelle que le commerce de la fleur de chanvre représente 50 % à 70 % du chiffre d’affaires des 2 000 boutiques réparties sur le territoire national. «Nous avions par exemple des infusions au CBD qui étaient bloquées en grande distribution car les enseignes ne voulaient pas s’engager à référencer un produit qui aurait pu être menacé par un rappel, explique le président du syndicat. Dorénavant, on est en mesure de prouver que la commercialisation de ces produits ne représente aucun risque.»
«Structurer la filière française du CBD»
Pour que la France puisse rêver à l’or vert, il aura fallu une intervention européenne en novembre 2020. Tout commence en octobre 2018 avec la saisie de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par la cour d’appel d’Aix-en-Provence dansl’affaire Kanavape. Un temps commercialisé à la fin de l’année 2014, la vapoteuse au CBD vendue par Kanavape, est vite accusé d’être présenté aux consommateurs comme un médicament. Marisol Touraine, alors ministre de la Santé de l’époque, décide de saisir la justice pour demander l’interdiction du dispositif, une «incitation à la consommation de cannabis», selon elle. Et de lancer sans le savoir le début de la saga du CBD en France.
En janvier 2018, le tribunal correctionnel de Marseille condamne les deux fondateurs de Kanavape à dix-huit mois et quinze mois de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende et 5 000 euros de dommages à verser au conseil de l’ordre des pharmaciens constitué partie civile. Leurs avocats font appel. Et c’est finalement l’Europe qui tranche. La CJUE donne raison aux fondateurs de Kanavape et rejette à la fin de l’année 2020 l’interdiction de ce «chanvre bien-être» en France mettant en avant le principe de libre circulation des biens et des marchandises et réaffirmant au passage l’innocuité de cette molécule. Pas du goût du gouvernement, qui après une année de flou juridique décide de prendre son arrêté d’interdiction le 30 décembre 2021. Lequel vient donc d’être définitivement cassé.
Désormais, les acteurs de la filière espèrent pouvoir «retourner à la table» des négociations pour «véritablement structurer la filière française, qu’elle soit sécurisée, encadrée, concurrentielle mais économiquement intéressante», explique Aurélien Delecroix. Lequel veut voir dans les fleurs de chanvre une nouvelle perspective non répressive pour lutter contre le trafic : «Pour les consommateurs, c’est la possibilité de se tourner vers un produit sûr et de détourner une partie du marché noir vers un marché propre, qui ramène de l’argent à l’Etat sans provoquer de problèmes de santé».
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