blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

lundi 26 décembre 2022

Le spleen de la femme au foyer

par Clémentine Mercier    publié le 22 décembre 2022

Les photographes Elsa & Johanna adaptent un traité d’éducation féminine du XIXe siècle. Les ménagères ont-elles vraiment changé ?

Elles se nomment Michelle, Janice, Claudia, Thelma ou Judith… Dans des clichés noir et blanc façon roman-photo, ces femmes fictives, incarnées par le duo de photographes Elsa & Johanna, évoquent les autoportraits de Michel Journiac de 1974 («Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme ordinaire»). Dans des intérieurs bourgeois type – le salon, la chambre de bonne, la cuisine, la salle de réception, le jardin –, ces desperate housewivessont perdues dans leurs pensées, on les voit s’ennuyer ferme, fumer une clope, étreindre un chat ou esquisser quelques pas de danse devant l’objectif. Serre-tête sur le crâne, habillées sagement, elles se fondent dans le décor, assignées au rôle de femme modèle dans une journée sans fin… C’est parce qu’elles ont en tête un étrange guide, Ce que vaut une femme : traité d’éducation morale et pratique des jeunes filles, ouvrage publié grâce au ministère de l’Instruction publique sous la plume d’Eline Roch en 1893.

A l’époque, l’ouvrage reçoit le prix Doyen-Doublié, du nom de la fondatrice de la première école ménagère en France. Découvert dans un grenier, ce manuel à destination des futures épouses et mères de la fin du XIXe siècle a donné l’idée au label photo The Eyes de réinterpréter visuellement le texte. Ainsi est né Ce que vaut une femme : les douzes heures du jour et de la nuit d’Elsa et Johanna, un livre de photographies qui met en regard ce traité d’un autre temps et les clichés contemporains. Cette confrontation entre les injonctions du XIXe siècle et les images d’aujourd’hui nourrit une sorte de malaise, comme si les mots de la journaliste Eline Roch flottaient encore dans l’air ou suintaient sur les murs. A l’origine, le texte, à destination des jeunes femmes d’origine modeste, se voulait émancipateur. La mine rêveuse des photographes rappelle que le temps de l’émancipation a été long et qu’il reste encore du chemin à parcourir.

«Ce que vaut une femme : les douze heures du jour et de la nuit» d’Elsa & Johanna, The Eyes Publishing, 176 pp.

Aucun commentaire: