par Jonathan Bouchet-Petersen publié aujourd'hui
La France enferme toujours plus. Selon les dernières données pour l’année 2022, triste record, notre pays compte au 1er décembre 72 809 personnes incarcérées, soit 24% de plus qu’en mai 2020 au sortir du confinement, une période qui avait engendré une décrue aussi contrainte qu’inédite. Alors que la France dispose de 60 698 places de prison, la «densité carcérale» moyenne est donc de 120% (+5 points en un an), avec de fortes disparités puisqu’elle atteint au moins 200% dans une demie douzaine d’établissements (à ce propos, lire ce thread).
Sortir d’une lecture simpliste
Parmi les 72 809 personnes incarcérées, 19 218 sont en détention provisoire, dans l’attente d’être jugées. Plus les procédures sont longues sur fond de paupérisation de notre système judiciaire, plus ce nombre augmente. Le tout dans des conditions souvent honteuses que la Contrôleure générale des lieux de privations de liberté ou l’Observatoire international des prisons dénoncent régulièrement et qui ont valu à la France d’être plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme… Le cas de la prison de Bois-d’Arcy a récemment été mis en lumière et même le ministre de la Justice a reconnu que la situation y est «préoccupante».
La croissance du nombre de détenus va se poursuivre puisque le gouvernement en prévoit 80 000 à l’horizon 2027. Une lecture simpliste consiste à expliquer ses chiffres par une explosion de la délinquance justifiant d’enfermer toujours davantage. Mais il apparaît plus utile de se poser la question du rôle qu’est censé être celui de la prison. Mettre quelqu’un en détention doit certes permettre à la société de se protéger, c’est bien légitime, mais sans perdre de vue que la réinsertion doit toujours être l’objectif d’un passage en prison. La condamnation est une punition mais, au même titre qu’une décision de justice n’a pas vocation à venger les victimes, l’emprisonnement ne peut être une fin en soi. Les sociétés qui enferment le plus ne sont d’ailleurs pas les moins violentes et on sait que pour bien des condamnés, le passage en détention est un accélérateur de délinquance au lieu d’être un outil de resocialisation.
Rouvrir le débat
Les années Taubira ont été une des rares périodes où, loin du laxisme grossièrement pointé par la droite et l’extrême droite, la question du juste enfermement a été posé. Alors qu’un avocat – et ça n’est pas si courant – est actuellement garde des Sceaux, il serait bon de rouvrir ce débat. C’est même un service à rendre à notre société alors que les refrains populistes passent largement à côté du sujet. Oui à une plus grande célérité de la justice, mais non au culte contreproductif de la détention.
Plutôt que d’avoir pour horizon de construire encore et encore des places de prison pour enfermer toujours plus, l’enjeu est d’humaniser le parc existant tout en redéfinissant ce qui justifie une incarcération ou pas. Non pas pour le seul bien-être des détenus ou par égard pour les personnels de l’administration pénitentiaire, qui sont en première ligne, mais pour le bénéfice de la population dans son ensemble. Ceux qui sont enfermés aujourd’hui seront de nouveau libres demain, il ne faut jamais l’oublier.
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