par Elsa Maudet publié le 5 avril 2022
Le rapport a donc finalement été publié, et confirme bien des défaillances chez Orpea. Mardi, les résultats de la mission confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) portant sur la gestion des Ehpad du groupe privé ont été rendus publics, après une passe d’armes entre le gouvernement et le PDG d’Orpea, Philippe Charrier, chacun accusant l’autre de s’opposer à la publication du document. La version accessible sur le site du ministère de la Santé a toutefois été expurgée de certains montants financiers, au motif du respect du secret des affaires.
Une capacité d’accueil dépassée
«Le pilotage des établissements donne la priorité à la performance financière», indique le rapport, commandé le 1er février par le gouvernement après la parution du livre les Fossoyeurs. Des primes pouvant atteindre 6 000 euros par an et des bonus sont distribués aux directeurs atteignant les objectifs financiers fixés en haut lieu. Pour les tenir, «des consignes explicites» sont formulées par les directeurs régionaux «visant à ne pas remplacer tous les postes dans des Ehpad pourtant en situation d’occupation maximale». Une injonction qui interpelle d’autant plus qu’en 2019, 11 % desétablissements du groupe dépassaient leur capacité d’accueil autorisée, ce qui «se fait au détriment de la qualité de l’encadrement et des conditions de travail du personnel, déjà fréquemment en situation de sous-effectif».
Des excédents financiers sur les dotations publiques
Entre 2017 et 2020, Orpea a réalisé 20 millions d’euros d’excédents sur les dotations publiques destinées aux sections «soin» et «dépendance». Cet argent devait servir à financer les salaires des infirmières, aides-soignantes ou psychologues, ainsi que l’achat de matériel médical, mais il a été conservé par Orpea sans que l’on en connaisse l’affectation. Il a donc «été traité comptablement à l’instar du résultat des autres activités du groupe – y compris celles financées sur fonds privés – et, le cas échéant, distribué aux actionnaires», écrivent les inspecteurs. Cette non-consommation des deniers publics n’est pas le fruit d’une gestion approximative, puisqu’elle était anticipée dès les budgets prévisionnels. En effet, dans «une grande majorité d’établissements» Orpea (90,7 % l’an passé), l’objectif de dépenses sur les forfaits soin et dépendance était inférieur aux recettes prévues.
En outre, entre 2017 et 2020, 50,2 millions d’euros versés par les départements ont été utilisés pour des postes de dépenses censés être couverts par l’assurance maladie ou les résidents et leurs familles. Le gros de ces dépenses a concerné la rémunération d’auxiliaires de vie «faisant fonction», c’est-à-dire occupant des postes plus qualifiés, comme aides-soignantes, sans en avoir les diplômes – une pratique courante dans le secteur, faute de candidats. Le 26 mars, le gouvernement avait annoncé qu’il comptait exiger du groupe le remboursement des dotations publiques présumées détournées.
Des effectifs insuffisants
Le secteur du grand âge étant peu attractif, les Ehpad de tout type connaissent des problèmes de recrutement et de turn-over. Mais«Orpea affiche une gestion des ressources humaines plus dégradée que la moyenne sectorielle», selon le rapport. Ainsi, le taux de rotation des personnels y est près de deux fois plus élevé, les accidents du travail sont plus fréquents (131 pour 1 000 salariés en 2019 contre 99 en moyenne), tout comme les licenciements non économiques (33 % des départs du groupe au dernier trimestre 2019 contre 20 % dans le secteur).
Résultat, le taux d’encadrement est légèrement moindre chez Orpea (61,6 salariés pour 100 lits contre 62,1 en moyenne dans les Ehpad privés lucratifs), ce qui «affecte la qualité de la prise en charge des résidents». Une aide-soignante consacre, chaque jour, entre cinquante et quatre-vingts minutes par personne âgée, ce qui est «incompatible avec la réalisation de l’ensemble des tâches qui incombent» à ces professionnelles. Orpea est en revanche «plutôt moins touché que la moyenne par les vacances de poste de médecins coordonnateurs» (18 % contre 20 % à 30 % en moyenne dans le secteur).
Pas de rationnement sur les protections
Les inspecteurs n’ont par ailleurs «pas constaté de rationnement sur les protections», un point pourtant marquant du livre les Fossoyeurs, qui rapportait une limite de trois couches par jour et par personne, qu’importent les besoins réels des résidents. Les repas, eux, sont considérés comme «sensiblement et systématiquement insuffisants»dans leurs quantités, notamment au niveau des protéines. Le temps qui s’écoule entre le dîner et le petit-déjeuner est parfois trop long, dépassant dans certains établissements le plafond recommandé de douze heures. «Ces points de fragilité liés à la nutrition sont d’autant moins anodins que la population des résidents en Ehpad est très exposée au risque de dénutrition, avec dans le cas d’Orpea plus de 52 % d’entre eux en dénutrition modérée ou sévère», précise le rapport.
Lundi, près de 80 plaintes de familles de résidents ont été déposéesdevant le parquet de Nanterre contre Orpea, notamment pour «mise en danger d’autrui» et «homicide involontaire».
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