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samedi 13 novembre 2021

Journal d'épidémie Troisième dose de vaccin, un luxe de pays riches

par Christian Lehmann  publié le 11 novembre 2021 

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Selon lui, les annonces d’Emmanuel Macron sur les rappels pour les plus de 65 ans illustrent l’absence de stratégie vaccinale de la France.

En juillet 2021, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un rappel pour les double-vaccinés dès la rentrée de septembre, en laissant planer le flou sur son périmètre d’utilisation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme la Food and Drug Administration (FDA) à l’époque, était beaucoup plus réservée, et le reste encore aujourd’hui. Si un rappel est conseillé aux personnes très âgées car leur mémoire immunitaire diminue rapidement et progressivement, ainsi qu’aux personnes immunodéprimées (soit par une maladie soit par la nécessité de prise d’un traitement diminuant volontairement l’immunité), il n’existe pas à ce stade de donnée fiable et probante pour étendre le rappel en population générale. «Injecter une troisième dose maintenant revient à distribuer des gilets de sauvetage supplémentaires à des personnes qui en ont déjà un, pendant que nous laissons d’autres personnes se noyer sans le moindre gilet de sauvetage», avait déclaré le directeur des urgences de l’OMS, Mike Ryan. Comme le disait très bien Emmanuel Macron mardi soir, «il nous faudra vivre avec le virus et ses variants jusqu’à ce que la population mondiale dans son ensemble soit immunisée».

Absence de stratégie vaccinale

En France, le rappel n’a pas rencontré l’enthousiasme escompté par le gouvernement… et pour cause. Sur 7,7 millions de personnes éligibles (patients de plus de 65 ans, soignants, patients immunodéprimés), seules 3,4 millions ont pratiqué cette nouvelle injection. La décision de suspendre le pass sanitaire des personnes de plus de 65 ans n’ayant pas reçu de rappel avant le 15 décembre va certes mécaniquement faire remonter les prises de rendez-vous, mais comme à l’habitude, le Président a choisi l’obligation masquée plutôt que la pédagogie. Début 2021, dès l’ouverture des créneaux de vaccination à une nouvelle catégorie de population, les principaux intéressés se ruaient sur les rendez-vous. La volonté de se protéger d’un virus potentiellement mortel primait sur toute autre considération, et sur le pass sanitaire lorsqu’il apparut. Ne pas savoir capitaliser sur cet engouement est la marque de l’absence de stratégie vaccinale depuis le début de la crise.

Ainsi les ARS ont, elles, fermé de nombreux centres de vaccination, et diminué la rémunération des soignants les faisant fonctionner, dans le but… de renforcer la vaccination en cabinet médical et en officine ! Il s’agissait de rendre la vaccination en centre moins attractive pour pousser les soignants à vacciner en cabinet… alors même qu’une grande part des créneaux étaient tenus par des professionnels de santé retraités, qui par définition ne vaccineront pas en ville. C’est la rançon du fameux «aller vers» que martèlent surtout ceux qui n’ont jamais tenté d’organiser des séances de vaccination en cabinet ou en officine. Au-delà des difficultés et retards d’approvisionnement, des modifications des protocoles en fonction de la prise en compte d’effets indésirables, les professionnels de santé de ville font face, comme à l’hôpital, à de nombreux déplaquages, départs en retraite anticipés ou changements d’orientation, après près de deux ans de fonctionnement dans un environnement très dégradé. On a décidé en haut lieu que médecins, pharmaciens et infirmiers prendraient le relais à la fermeture des centres, sans prendre en compte les difficultés logistiques et le caractère chronophage de la vaccination en ville avec des flacons multidoses, à la conservation compliquée.

Pas d’arguments fiables

De plus, Emmanuel Macron annonce l’ouverture prochaine de la vaccination de rappel pour la tranche d’âge des 50-64 ans, sans preuve de l’utilité de cette mesure en population générale. Gageons que dans les semaines à venir, il faudra rouvrir des centres fermés prématurément, comme on remet le masque à l’école après s’être enorgueilli de ne plus en avoir besoin.

Mais au-delà de la logistique, reste la question du périmètre d’utilisation du rappel. Est-on immunosénescent à 65 ans, à 60 ans, à 50 ans ? Si l’OMS rechigne à étendre la politique de rappel en population générale, c’est bien qu’encore aujourd’hui nous ne disposons pas d’arguments fiables pour affirmer que ce rappel est utile hormis chez les immunodéprimés (par l’âge ou la maladie), et que l’organisation internationale est consciente qu’il est beaucoup plus simple et rémunérateur pour les firmes d’écouler trois doses dans les pays riches que d’amener deux doses dans les pays pauvres, et ce d’autant que le rappel ne se fait pas avec un vaccin mieux adapté aux variants existants. Les études observationnelles israéliennes ont abouti à un communiqué de presse de Pfizer, sans que les data puissent être décortiqués par la communauté internationale jusqu’à leur publication il y a quelques jours. Ils semblent démontrer qu’au-delà de six mois, la protection contre la contamination diminue un peu, mais que la protection contre l’hospitalisation et les formes graves reste solide. Dans ces conditions, est-il légitime de revacciner largement toute la population des pays riches tout en laissant les pauvres se démerder avec le virus ? Notons qu’Emmanuel Macron n’a pas déclaré que nous en aurions fini avec le Covid une fois la population mondiale vaccinée… mais «immunisée». Or pour ceux qui n’ont pas accès au vaccin, la seule manière d’atteindre l’immunité est de contracter la maladie, avec son risque de formes graves, de séquelles et de morts. On pourrait rêver un monde plus solidaire, mais apparemment c’est mal parti.


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