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samedi 13 novembre 2021

Jeudi polar «Filles de Lilith» : sang, poupées et féminisme à Tel-Aviv

par Johanna Luyssen  publié le 4 novembre 2021

Des trentenaires sans enfant sont assassinées sauvagement dans des mises en scènes macabres à Tel-Aviv– à coups de poupons, de rouge à lèvres et d’images de sorcières. Ce thriller, mêlant références bibliques hébraïques et problématiques féministes, interroge les tabous de la société israélienne.

Des meurtres en série chamboulent Tel-Aviv. Dans des mises en scène sanglantes, qui ont tout du crime rituel, des femmes, trentenaires émancipées, childfree et fières de l’être, sont «saignées». Dina, par exemple : on a retrouvé cette flamboyante bibliste ligotée à une chaise dans son appartement, le mot «maman» inscrit sur le front, une poupée entre les mains. Même traitement pour la non moins flamboyante Ronit, retrouvée trois jours après sa mort dans son salon immaculé, ligotée, nue sur son fauteuil Ikea imbibé de sang, un poupon entre les mains. Et toujours ce «maman» au rouge à lèvres carmin inscrit sur le front. Mises en scène grotesques et épouvantables, ces crimes suintent la vengeance et la justice archaïque – comme lorsqu’on noyait les sorcières lors d’ordalies afin de déterminer leur culpabilité.

Qui en veut à ces brillantes universitaires, trentenaires sans enfant ? Sheila est l’une d’elles. Elle connaissait les victimes. Elles ont même formé une sacrée bande de filles à l’université. Jusqu’à cette nuit de Pourim où quelque chose entre elles s’est scellé…

La procréation, devoir national

A l’image de ses anciennes amies assassinées, Sheila est une nullipare. Une femme sans personne dedans. Une «fille de Lilith», démone de l’Ancien Testament qui porte malheur aux femmes enceintes et aux nourrissons. Conférencière au musée de la Bible, féministe vivant dans une banlieue ultra-orthodoxe de Tel-Aviv, Bnei Brak, où des gamins la traitent de «pute», elle s’insurge contre une société israélienne qui fait de la procréation un devoir national. Comme dans cette soirée où une jeune comédienne est violemment prise à partie pour avoir simplement dit : «Des femmes font le choix de ne pas avoir d’enfants. Il y a rien de mal à cela.» Un convive se met à hurler : «Où irions-nous si tout le monde pensait comme vous ? Qui sont les seuls à avoir une famille nombreuse ici ? Les Arabes et les religieux. Alors, vous aussi, assumez vos responsabilités.» «Je refuse d’avoir un bébé pour servir l’intérêt du pays», lui répond la jeune femme. Quelques heures plus tard, c’est son hôtesse, Ronit, qui est assassinée, avec ce «maman» accusateur inscrit sur le front…

Un proverbe hante ce livre. «Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées.» C’est que tout le texte, à l’image de la Bible, est travaillé par la question de la génération et de la reproduction. Sarah Blau égrène les références et explore les mythes. Les femmes, surtout, offrent un matériau infini. Il y a Lilith bien sûr, première femme d’Adam et succube en chef, mais aussi la sorcière d’Endor, qui possède des dons de divination et communique avec les morts. Elle fut sollicitée par Saül, le premier roi d’Israël, et un tableau la représentant trône dans le salon de Sheila. La conférencière sera-t-elle la prochaine victime de cette série de meurtres vengeurs ? Ou bien succombera-t-elle à l’antienne que toute célibataire sans enfant a déjà entendue à un moment ou à un autre de sa vie : «Vous en voudrez toutes un jour ou l’autre» ? Réponse à la fin de ce palpitant polar, qui n’oublie pas de verser dans l’ironie grinçante.

Filles de Lilith de Sarah Blau. Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen. Ed. Presses de la cité, coll. «Sang d’encre», 256 pp.


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