par Nathalie Raulin publié le 30 juin 2021
C’est une réalité potentiellement mortifère à l’heure où le variant Delta du Covid-19, plus contagieux, menace. De celle qui pourrait pousser le ministre de la Santé, Olivier Véran, à exécuter sa menace d’instaurer une obligation vaccinale pour «certains soignants» à la rentrée : les établissements qui prennent en charge des personnes âgées, souvent atteintes de comorbidités ou immunodéficientes, et donc vulnérables face au Covid, sont ceux où la couverture vaccinale des professionnels de santé est la plus faible, bien au-delà des Ehpad, que Véran a pointés jeudi. Une menace qu’il a réitérée mardi en l’élargissant à tous les soignants.
Le 26 juin, le président de la Commission médicale d’établissement de l’AP-HP, Rémi Salomon, s’en est inquiété dans un mail interne à ses confrères que Libé a consulté : «Je regarde le tableau de bord des vaccinations et je constate de manière assez frappante que les hôpitaux gériatriques sont nettement en dessous de la moyenne» du groupe. Un constat «préoccupant», insiste le professeur Salomon, chiffres à l’appui. Si 68 % des personnels de l’AP-HP ont aujourd’hui reçu une première dose de vaccin, ils sont moins de 50 % dans la plupart des établissements gériatriques d’Ile-de-France et de l’Oise. C’est vrai dans les hôpitaux Paul-Doumer (31 %), Gabriel-Pallez (38 %), René-Muret (42 %) mais aussi Emile-Roux (36 %) et Sainte-Périne (46 %).
Pire encore : les personnels les plus rétifs aux vaccins sont aussi les plus présents au pied du lit des patients. Seules 21 % des infirmières et aides-soignantes de l’hôpital Paul-Doumer ont reçu une première injection, 28 % à Adélaïde-Hautval, 29 % à Charles-Foix et Gabriel-Pallez, 36 % à René-Muret… De quoi assombrir un peu plus le tableau dressé par Santé publique France dans son dernier bulletin épidémiologique le 24 juin : en métropole, 57 % seulement des professionnels officiant en Ehpad ou en unité de soin longue durée ont tendu au moins une fois le bras à l’aiguille…
«On a fait des ateliers de formation, des réunions pédagogiques»
Dans les hôpitaux, le doute le dispute à l’abattement. «Mon ressenti n’est pas si mauvais. Il faudrait savoir ce que recouvrent ces calculs,tempère Eric Pautas, chef du service gériatrie de Charles-Foix. Car si on se contente de rapporter le nombre de soignants primo-vaccinés au nombre de postes budgétés, il y a un gros biais, vu l’importance des postes de paramédicaux qui ne trouvent pas preneur en gériatrie.»
Les gériatres pourtant ne tombent pas des nues. «On a repéré assez vite que la vaccination peinait à décoller dans les services et hôpitaux gériatriques, reconnaît Olivier Drunat, chef de service de neuro-psycho-gériatrie de l’hôpital Bretonneaux. Pour vaincre les réticences, on a fait des ateliers de formation, des réunions pédagogiques, distribué des plaquettes d’information. On a même organisé des visites dans les services avec les représentants syndicaux !» Le résultat est en demi-teinte. Avec 51 % de paramédicaux ayant reçu une dose, Bretonneaux fait mieux que beaucoup d’établissements gériatriques franciliens mais toujours moins bien que la moyenne des paramédicaux sur l’AP-HP (54 %).
C’est que la sociologie y est particulière. «En gériatrie, il y a au sein des paramédicaux, beaucoup plus d’aides-soignantes et moins d’infirmières que dans les autres services hospitaliers, explique Christophe Trivalle, chef du service gériatrie de Paul-Brousse. Ce sont des personnels moins qualifiés et parfois plus sensibles aux fake news que véhiculent les réseaux sociaux.» Le gériatre parle d’expérience : interloqué par le refus vaccinal d’une aide-soignante de 23 ans, il lui a demandé ses raisons. «Elle m’a dit avoir vu sur TikTok que le vaccin transformait les gens en aimants, raconte-t-il, encore abasourdi. Il a fallu que je lui demande d’approcher sa petite cuillère de moi pour qu’elle observe que c’était faux.»
Surtout, les soignants ont désormais moins peur d’un virus qu’ils ont dû combattre presque sans protection durant la première vague que du produit censé les en protéger. «J’ai eu le Covid, mais je ne m’en suis même pas rendu compte, insiste Jasmine (1), aide-soignante à Bretonneaux. J’ai découvert que j’avais des anticorps avec la sérologie. Depuis, mes tests PCR et salivaires ont toujours été négatifs. Pour me protéger, j’ai ma méthode douce.» Soit, des décoctions à base d’assorossi, une plante que lui fait parvenir sa famille d’Haïti. «Un peu à manger aussi» : du gingembre ou des clous de girofle…
«Ce n’est peut-être pas lié, mais ça met le doute»
Olga (1), aide-soignante en gériatrie à Paul-Brousse, abonde : «En Afrique, on n’a pas le vaccin dans la tête, confie la mère de famille d’origine camerounaise. Il faut que mon corps apprenne à se défendre tout seul. Je ne veux pas que le vaccin l’affaiblisse.» De ce produit «un peu trop vite mis au point», la soignante redoute aussi les effets secondaires. «Je demande aux autres comment ils se sentent après, poursuit-elle. J’ai la trouille. Ma sœur qui a été vaccinée à Strasbourg a eu des phlébites après. Ce n’est peut-être pas lié, mais ça met le doute.»
Pour beaucoup, l’attentisme est de rigueur. D’autant qu’à leurs yeux, l’injonction vaccinale n’aura bientôt plus lieu d’être. «On en sort du Covid, c’est presque fini, pronostique Olga. Aujourd’hui on s’épanouit, ça ne tourne plus en boucle sur les télés. Du coup, je ne suis plus motivée du tout par le vaccin.» D’autant qu’elle et ses collègues en sont persuadées : le virus ne passe par elles. «Si je pensais que je mets la vie de mes patients en danger, je me ferais vacciner dans la seconde, martèle Jasmine. Mais je ne le crois pas.»
La menace de Véran passe donc mal. «Avant d’être des soignants, on est des êtres humains, proteste Jasmine. Pourquoi on nous obligerait à faire quelque chose contre notre gré ? J’ai quitté un régime de dictature, Haïti, et je ne veux pas revivre ça.» Les gériatres qui redoutent de manquer de bras en cas de refus d’obtempérer des équipes sont eux aussi circonspects. «Je suis pour l’obligation vaccinale en gériatrie aiguë, confie le docteur Drunat. Néanmoins, on a un énorme problème de personnel qui s’est renforcé avec la Covid. Si on rendait le vaccin obligatoire uniquement pour les soignants de nos services, ce serait très tendu. Pour nous, il faudrait alors que l’obligation concerne tous les professionnels de santé, quel que soit le lieu où ils travaillent.»
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