Par Louise Vallée et Cécile Bouanchaud Publié le 1er juillet 2021
Les vingt-huit jours accordés aux pères d’enfants nés à partir de ce 1er juillet pourraient aider à rééquilibrer le partage des tâches domestiques et parentales, encore largement assumées par les femmes.
Les pères pourront désormais passer près d’un mois auprès de leur bébé. A compter de ce jeudi 1er juillet, le congé paternité passe à vingt-huit jours contre quatorze jusqu’alors, dont sept obligatoires, après la naissance de leur enfant. Cette réforme, réclamée de longue date par de nombreux pères, syndicats et associations féministes, et annoncée en septembre 2020 par Emmanuel Macron, a pour objectif de s’attaquer aux inégalités de genre dans le travail, tant sur le marché de l’emploi qu’au sein des foyers. Un levier « en matière d’égalité entre les femmes et les hommes », loue-t-on à l’Elysée.
Pour la sociologue Christine Castelain-Meunier, instigatrice du congé paternité en France en 2002, « on pense encore trop souvent que tout ce qui relève de l’enfant relève de la femme. Il y a une difficulté à reconnaître que le père peut être plus qu’une pièce rapportée dans le milieu de la naissance, et être réellement partie prenante ».
Comment espérer que les pères amènent plus souvent leurs enfants chez le pédiatre si les écoles continuent de contacter la mère en priorité quand l’enfant est malade ? Ou apprennent à donner le bain à un nourrisson quand les sages-femmes n’adressent leurs explications qu’aux femmes à la maternité ? « L’allongement du congé paternité contribue à casser ces représentations traditionnelles. Cela confirme la diffusion de cette nouvelle norme de la paternité impliquée », estime Christine Castelain-Meunier, qui voit l’avènement d’une génération de pères plus engagés.
Rééquilibrage du partage des tâches
Depuis sa mise en œuvre, le recours au congé paternité de quatorze jours a peu évolué. Environ sept pères éligibles sur dixl’utilisent, avec de fortes disparités sociales du fait de la pression parfois exercée sur ceux dont l’emploi est précaire pour ne pas prendre ce congé. Et là où de nombreux pays européens comme la Suède, la Finlande ou l’Espagne ont progressivement adopté des dispositions plus généreuses, sa durée était restée, jusqu’à présent, inchangée dans l’Hexagone. Le doublement du congé paternité pourrait permettre à la France, un temps pionnière sur le sujet, de combler une partie de son retard sur ses voisins.
Les spécialistes de la petite enfance voient d’abord dans cet allongement une opportunité pour les pères d’établir une relation privilégiée avec le nouveau-né. « Il faut du temps, de la disponibilité et de la proximité physique et émotionnelle de la part des parents pour qu’ils construisent avec leur bébé une relation harmonieuse », indique ainsi le rapport sur les 1 000 premiers jours de l’enfant,remis en septembre 2020 au secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet. Des liens qui jouent un rôle fondamental dans le développement de l’enfant, mais aussi pour la suite de l’organisation familiale.
« Le partage des tâches se fera naturellement de façon plus équitable si les deux parents vivent au rythme de l’enfant et de la maison », estime la psychanalyste Sophie Marinopoulos, qui a participé au rapport. Elle souligne que les pères qui continuent de travailler à la naissance du bébé « n’ont souvent pas conscience, parce qu’ils n’y sont pas confrontés, du travail que cela représente de s’occuper d’un foyer ». Ces tâches incombent encore très largement aux femmes : à 71 % pour les tâches domestiques et à 65 % pour les tâches parentales, selon une étude de l’Insee en 2010. Une étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) publiée en 2009 montrait que la naissance d’un enfant accentue le déséquilibre du partage des tâches en défaveur des mères. Et l’écart se creuse au fil des naissances.
L’INED le confirme : en l’état actuel, « les pères qui prennent un congé paternité s’impliquent davantage dans les tâches parentales ». Entre autres, ils changent plus les couches des enfants, s’impliquent dans les repas, le coucher, le bain, se réveillent la nuit et les emmènent chez le pédiatre. L’expérience des pays nordiques montre aussi que des congés plus longs favorisent un rééquilibrage, avec le temps, du partage des tâches domestiques, comme le ménage et ou les courses, fait valoir Sophie Marinopoulos.
Le rapport recommandait de porter le congé paternité à neuf semaines. « Plus l’expérience se prolonge, plus le père participera, au même titre que la mère, aux activités parentales et domestiques », poursuit la fondatrice des lieux d’accueil pour les familles Les Pâtes au beurre. « Cela ne veut pas dire que les rôles du père et de la mère deviennent identiques, mais l’engagement du père ne se résume plus à un appui à la mère : ils forment une “équipe parentale” à égalité. »
Relation « manageur-assistant »
En d’autres mots, pour que cette cohésion parentale s’inscrive dans la durée, il faut assurer une « responsabilisation des pères ». Qu’ils n’aident pas seulement à mettre la table, mais réfléchissent en amont au menu du soir. Qu’ils ne se cantonnent pas à respecter une liste de courses, mais remarquent eux-mêmes ce qu’il manque. Ces petites réflexions sur le quotidien, très lourdes à la longue, constituent la « charge mentale ». Un travail incessant, invisible et épuisant, qui pèse quasi exclusivement sur les femmes. Et dont les pères peinent à prendre leur part.
Selon certaines études, la présence de la mère à la maison pendant le congé paternité tend à instaurer une relation « manageur-assistant », dans laquelle les mères sont les principales responsables de la garde de l’enfant et des tâches connexes, tandis que les pères apportent leur soutien lorsque cela leur est demandé.
Pour s’attaquer à ce déséquilibre, Manuela Spinelli, maîtresse de conférences à l’université Rennes-II et cofondatrice de l’association Parents & Féministes, préconise une « désynchronisation » du congé paternité et de celui de la mère, du moins pour quelques semaines. Elle note que « quand un père se retrouve seul avec le nouveau-né et la responsabilité de la maison, il acquiert une certaine confiance et une meilleure compréhension des tâches inhérentes à l’accueil d’un enfant ». D’autant plus que, du fait d’une éducation et d’une socialisation encore très genrée, les hommes restent souvent moins confrontés à la réalité du travail domestique avant l’arrivée de leur premier enfant. « Cette période de formation en solo permettrait aux pères de s’approprier une partie de la charge mentale qui pèse sur les femmes et de s’impliquer plus durablement dans les tâches du quotidien », affirme-t-elle.
Un « gros chantier »
S’il est une avancée sociale certaine (et bienvenue), l’allongement du congé paternité ne va pas changer la répartition genrée des rôles du jour au lendemain. « Celle-ci est très ancrée dans nos pratiques, notre culture, notre organisation économique et sociale », remarque Hélène Périvier, spécialiste des politiques sociales et familiales à l’Observatoire français des conjonctures économiques. Pour elle, « pour voir une véritable transformation au sein des couples, il faudrait repenser tout le parcours d’accueil à la petite enfance ».
A savoir, prévoir l’ouverture de nouvelles places en crèche, ou modifier le congé parental, qui peut être demandé jusqu’à trois ans après l’arrivée de l’enfant. Ce congé, très mal rémunéré, reste largement une affaire de femmes, puisqu’il est pris à près de 95 % par la mère. Un « gros chantier », résume l’économiste. En 2015, 65 % des hommes se disaient prêts à devenir père au foyer, selon un sondage Harris Interactive pour Sarenza. Mais parmi ceux qui ne le désiraient pas, 40 % invoquaient « la peur de s’ennuyer » ou de « rester inactif ».
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