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mercredi 30 juin 2021

« On n’a pas forcément besoin d’un papa pour faire une famille » : paroles d’enfants nés de PMA à l’étranger

Par   et    Publié le 29 juin 2021




Dans la famille d’Eden « il y a moi, ma petite sœur Chaïli-Rose, nos deux mamans, deux chats, Peanut et Kiza, et une tortue », baptisée Camille. En France, combien d’enfants, comme Eden, 12 ans, et Chaïli-Rose, 8 ans, ont été conçus par procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger et sont élevés par un couple de lesbiennes ? Impossible de le savoir précisément.

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en 2018, environ 31 000 enfants vivaient avec un couple de même sexe. Un chiffre qui inclut les couples d’hommes. D’après une enquête de La Croix, au moins 2 400 femmes célibataires ou en couple lesbien vont chaque année en Belgique ou en Espagne pour recourir à une PMA.

Jorami et Alexia, entourées d’Eden, 12 ans, et Chaïli-Rose, 8 ans, dans la maison familliale à Muret, près de Toulouse, le 26 juin 2021.

Au terme d’un processus législatif long de deux ans et alors que l’Assemblée nationale devrait adopter définitivement, mardi 29 juin, l’extension de l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, Le Monde publie les témoignages d’enfants, âgés de 9 à 26 ans, nés d’une PMA réalisée dans un cadre lesboparental.

« A l’école, on ne m’a jamais embêtée à ce sujet. Sauf une fois : un garçon m’a dit que ce n’était pas normal de ne pas avoir de papa », se souvient Eden. La petite, qui vit à proximité de Toulouse et qui est née d’une PMA faite en Belgique, réfléchit un instant, avant d’ajouter : « Avec un papa, je ne ferais rien de plus que ce que je fais déjà avec mes deux mamans. Au final, ça change rien. »

« J’ai une famille comme les autres »

« Il faut un monsieur pour faire un bébé, mais on n’a pas forcément besoin d’un papa pour faire une famille », décrypte Balkis, du haut de ses 9 ans. La petite fille, conçue au Danemark et qui vit à Brest, affirme que « ça ne fait pas de différence d’avoir deux mamans. J’ai une famille comme les autres. Enfin, pas vraiment comme les autres, mais c’est quand même une famille normale ».

Si les réflexions homophobes sont relativement rares, les questions, la plupart du temps naïves et bienveillantes, sont nombreuses dans la cour de récréation. « On m’a très souvent demandé comment deux mamans peuvent avoir un bébé », confirme Juliette, 9 ans. La fillette, qui vit à Bordeaux avec ses mamans et ses sœurs, des triplées également nées par PMA, connaît l’histoire de sa naissance « par cœur » :

« Un médecin a pris la graine d’un donneur et il l’a mise dans le ventre de maman. Quand je suis née, mon autre maman m’a adoptée. C’est ce que j’explique. Toutes mes copines ont un papa et une maman. Moi j’ai deux mamans. C’est possible. »

Les six enfants et jeunes adultes interrogés savent tous « depuis toujours » comment ils sont nés : « On ne m’a jamais rien caché » ; « Un monsieur a aidé mes mamans à m’avoir » ; « Aucun non-dit, aucun secret » ; « Par définition, on ne pouvait pas nous mentir sur nos origines »… Bien sûr, les mots et la finesse de l’explication évoluent à mesure qu’ils grandissent. Si Juliette parle de « graine », Eden utilise l’expression « insémination artificielle ».

Des obstacles d’ordre pratique

Tous sont issus d’un don de sperme anonyme. Les mères et leurs enfants disposent uniquement de quelques données biologiques (taille, couleur des yeux, etc.). Eden sait que c’est impossible, mais elle aimerait bien pouvoir rencontrer son donneur. « Juste pour voir à quoi il ressemble, pas pour qu’il devienne mon papa. J’ai déjà mes deux mamans et je suis très heureuse comme ça », précise-t-elle. Mathieu (le prénom a été modifié), 18 ans, n’a quant à lui jamais ressenti ce besoin : « Je le remercie pour son geste, mais ce n’est pas quelqu’un d’important pour moi d’un point de vue émotionnel. »

Juliette (9 ans) et les triplées Apolline, Emma et Camille (6 ans) posent alors qu’elles prennent le goûter avec leurs mères Aude et Constance Démettre, sur la terrasse de l’appartement qu’elles habitent à Bordeaux. A Bordeaux le 25 juin 2021.

Pour ces enfants qui ne rentrent pas dans un schéma de modèle familial « traditionnel », les obstacles semblent davantage d’ordre pratique. « Parfois, la maîtresse oublie qu’il ne faut pas mettre “Madame, Monsieur” dans le carnet de correspondance », explique Juliette. « Globalement, les enseignants s’adaptent et font attention », tient à souligner sa mère, Constance Démettre, en couple avec Aude depuis 2005. Les deux femmes, qui se sont mariées en 2013, ont pu voir leur famille reconnue par la loi.

D’autres enfants, dont les mamans ont été des pionnières, n’ont pas eu cette chance. C’est le cas d’Anne-Lise, 26 ans, conçue par PMA en Belgique bien avant la loi sur le mariage pour tous. La jeune Parisienne évoque « le moment de flottement » dans son enfance, lorsqu’il fallait remplir la case « profession du père ». Elle précise :

« A l’époque, aucun formulaire n’était pensé pour nous. Officiellement, il n’y avait aucun lien entre ma mère sociale et moi. J’ai vraiment souffert de l’invisibilisation de notre famille. C’était comme si nous étions des citoyennes de seconde zone. Sur le plan symbolique, c’est très violent. »

Traumatisme des débats autour du mariage pour tous

L’entrée en sixième est un tournant pour Anne-Lise. L’homosexualité de ses parents devient alors « un secret »« Avoir deux mamans quand tu as 5 ans, c’est cool. Ça devient plus dur à assumer quand tes camarades de classe commencent à intégrer les tabous et les normes sociales », analyse-t-elle. Kolia Hiffler-Wittkowsky, 21 ans, a éprouvé le même sentiment lorsqu’elle était adolescente. « Etant donné l’homophobie ambiante au collège, je n’osais pas en parler. J’avais honte. Je présentais ma mère sociale comme une tante ou une amie de la famille », se remémore cette étudiante en philosophie, qui a grandi à Paris. Mais, au fil du temps, le rapport à son histoire personnelle s’est apaisé, notamment au moment de son entrée au lycée. Aujourd’hui, elle est « fière d’appartenir à une famille lesboparentale et d’être un enfant arc-en-ciel ».

Si les mentalités ont évolué ces dernières années, l’adoption du mariage pour tous en mai 2013 – et les nombreux débats qui l’ont entouré – a constitué un véritable traumatisme dans la vie de Kolia, Anne-Lise et Mathieu. Ce dernier avait 9 ans quand le sujet s’est imposé sur la scène médiatique. « On ne faisait rien de mal », alors « pourquoi cette haine ? », s’interrogeait-il. « J’avais envie de les insulter et d’en découdre, j’étais très en colère. »

Comme lui, Kolia décrit une période « très sombre, une agression permanente », et Anne-Lise se souvient d’avoir eu l’impression de « découvrir l’homophobie pour la première fois, dans son expression la plus violente »« Tout le monde avait un avis sur la légitimité de notre famille », poursuit la jeune Parisienne. Pourtant « ça n’avait aucun sens, on était heureux tous ensemble. Mes mères n’ont rien à prouver à personne », termine Mathieu.

« Je n’ai pas de “fausse” mère, elles sont mes mères, point »

D’autant que, dans leur esprit à tous, il n’y a aucune différence entre la mère qui les a portés et leur mère « sociale ». Kolia, née dans une famille binationale, préfère ainsi parler de sa « mère française » et de sa « mère allemande », pour ne pas reproduire un « critère de discrimination juridique » :

« Je ne compte plus le nombre de fois où on m’a demandé qui était ma “vraie” mère, ça m’agace profondément. Je n’ai pas de “fausse” mère, elles sont mes mères, point. »

Pour les plus jeunes, la différence entre leurs deux mamans relève même du non-sujet. Quand on demande à Juliette si, pour elle, il y a une différence entre « maman C » et « maman A », elle répond avec candeur qu’elles n’ont pas la même couleur d’yeux ou de cheveux. De même, Eden marque une longue pause avant de répondre. Elle tente de clarifier la question, dont l’intérêt semble lui échapper : « Physiquement ou dans le caractère ? » Finalement, elle répondra qu’effectivement, « maman est un peu plus sévère que mum ». Et sur le fait qu’une l’a portée et l’autre non ? « Ah ça ! Bah non, aucune différence ! »

Juliette (9 ans) et les triplées Apolline, Emma et Camille (6 ans) posent avec leurs mères Aude et Constance Démettre, dans l’appartement qu’elles habitent à Bordeaux. A Bordeaux le 25 juin 2021.


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