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lundi 28 juin 2021

Les vies fracassées de Valérie Bacot, condamnée pour l’assassinat de son mari mais sortie libre de son procès

Par   Publié le 26 juin 2021

Celle qui a subi près de vingt-cinq ans de viols, de violences et de prostitution contrainte a été reconnue coupable d’avoir tué son mari et condamnée à quatre ans de prison, dont trois avec sursis.


Valérie Bacot à la barre le 25 juin 2021, à la cour d’assises de Saône-et-Loire.

Elle ne tient pas debout. Menue silhouette en veste noire, recroquevillée face à la présidente du tribunal, Valérie Bacot s’agrippe des deux mains au banc sur lequel elle est assise. Le verdict est prononcé : vendredi 25 juin, à Chalon-sur-Saône, au terme d’un procès qui aura duré cinq jours, la cour d’assises de Saône-et-Loire a condamné à quatre ans de prison, dont trois avec sursis, celle qui a tué son mari d’une balle dans la nuque, Daniel Polette, dit « Dany », son ex-beau-père, le père de ses quatre enfants, l’homme qui l’a violée, menacée, isolée, contrôlée, épousée, prostituée, frappée pendant près de vingt-cinq ans.

L’accusée âgée 40 ans, placée sous contrôle judiciaire, a déjà fait un an de détention provisoire. Elle est jugée coupable d’assassinat, mais la peine est symbolique, elle sort libre du tribunal. La salle d’audience exulte, applaudit, ses enfants se précipitent vers elle, et ne la lâchent plus. Ils n’ont jamais cessé de la soutenir, tout comme les anciennes compagnes de Daniel Polette et plusieurs frères et sœurs de ce dernier, qui sont tous venus témoigner du caractère « violent »« pervers », « terrifiant » de « Dany », le « monstre » de La Clayette.

« Vidée mentalement et physiquement »

Quelques heures plus tôt, Valérie Bacot s’effondrait au sol, le souffle coupé. Après une heure de réquisitoire, le ministère public venait de requérir cinq ans de prison dont quatre avec sursis. L’avocat général, qui l’avait bousculée à plusieurs reprises pendant le procès – « l’emprise n’est pas une fatalité »« vous auriez dû, (…)vous auriez pu aller voir les gendarmes » –, a plaidé pour que lui soit rendue sa liberté. Définitivement. Elle envisageait le pire – elle encourait la perpétuité –, la clémence du ministère public l’a renversée, les nerfs ont lâché. Les jurés se sont montrés encore plus cléments. A la sortie du tribunal, ovationnée par les quelques dizaines de personnes rassemblées sur le trottoir, elle s’est dite « vidée »« vidée mentalement et physiquement ».

Cette décision de justice, Valérie Bacot ne s’y attendait pas. Elle avait « tout préparé », racontait-elle encore la veille du jugement, « tout préparé » pour l’avenir de son plus jeune fils, encore mineur, qui veut devenir maître-chien – « j’ai payé ses études, j’ai fait sa carte de bus » ; « tout préparé » pour son fils cadet, Kevin, 21 ans, mécanicien automobile, qui doit déménager en juillet – « je ne serai pas là, mais je lui ai trouvé l’annonce pour son nouvel appartement » ; « j’ai fait tout ce je pouvais avant de partir… », avant de retourner en prison, une issue qu’elle croyait inéluctable.

Et pourtant, les jurés ont reconnu le « niveau élevé d’altération [de son] discernement en lien avec les multiples traumatismes » subis, le « syndrome de la femme battue »« l’absence de dangerosité » de l’accusée pour la société et « ses efforts » pour se réinsérer depuis sa sortie de prison, notamment en s’investissant auprès de ses enfants et dans son travail. En mars 2019, elle a été embauchée en CDI en tant que commerciale dans une entreprise de plâtrerie, peinture et aménagement d’intérieur.

Les jurés n’auront pas suivi Me Nathalie Tomasini, avocate de la défense, qui, lors de sa plaidoirie très politique, avait demandé l’acquittement de sa cliente au nom de l’abolition de son discernement en raison des traumatismes générés par des années de violences, ce qui aurait entraîné son irresponsabilité pénale. S’appuyant sur une proposition de loi votée par le Sénat fin mai, dont un amendement prévoit, parmi les motifs d’irresponsabilité pénale, l’emprise sur une personne victime de violences conjugales, elle s’est adressée ainsi aux jurés : « Nous sommes à la frontière d’un ancien monde et d’un nouveau monde juridique. (…)Si vous retenez l’altération du discernement, vous choisissez de rester dans l’ancien monde. »

L’emprise d’un mari « totalitaire »

C’est bien à l’altération du discernement que l’expert psychiatre Denis Prieur avait conclu, après avoir rencontré Valérie Bacot en novembre 2017 alors qu’elle était incarcérée à la maison d’arrêt de Dijon. Faisant référence à « l’emprise d’un mari totalitaire », il a diagnostiqué chez Valérie Bacot un « syndrome de stress post-traumatique majeur » ainsi qu’un « syndrome de la femme battue »,la conduisant à un « épuisement émotionnel sévère » et à une« hypervigilance permanente ».

A l’avocat général qui n’a cessé de s’interroger sur les démarches que l’accusée aurait pu faire (se rendre à la gendarmerie, en parler à un médecin, à une association…), le docteur Prieur a répondu : « En réalité, elle n’est jamais seule, qu’il soit là physiquement ou pas, son mari est toujours dans sa tête, elle continue de vivre avec ses diktats, il reste présent même quand il est absent. C’est ça le processus d’emprise, c’est permanent. »

« J’espère arriver à surmonter tout ça pour être comme vous tous », assure Valérie Bacot

Et perdure même au-delà de la mort. « Je suis un déchet »« pour moi, c’est trop tard »« je suis une cruche »« je ne ferai jamais rien de ma vie »« c’est bête ce que je dis »… A chacune de ses prises de paroles, Valérie Bacot se déprécie. « Je n’ai pas passé la page, a-t-elle déclaré devant les jurés avant qu’ils s’isolent pour délibérer. J’espère que ça [le procès] va m’aider, je ne pense qu’à une chose, être avec mes enfants, et ma petite-fille [l’enfant de son fils aîné, Dylan, 22 ans, électricien en bâtiment], j’espère arriver à surmonter tout ça pour être comme vous tous. »

Quatorze années de prostitution forcée

L’histoire de Valérie Bacot commence par l’enfance brisée d’une petite fille malmenée par une mère instable, violente, volage et alcoolique, délaissée par un père absent, abusée sexuellement par un grand frère qui lui a imposé une fellation à l’âge de 6 ans. Elle se poursuit avec la descente aux enfers d’une adolescente violée par un beau-père incestueux de vingt-cinq ans son aîné qui niera l’avoir contrainte.

Elle plonge ensuite dans les abîmes d’un quotidien sous l’emprise d’un mari tyrannique et violent, l’ancien compagnon de sa mère, celui-là même qui avait commencé à la violer alors qu’elle n’avait que 12 ans. Elle s’enfonce encore un peu plus dans l’inimaginable avec le récit de quatorze années de prostitution forcée, entre 30 et 50 euros la passe à l’arrière d’un véhicule aménagé pour recevoir les clients et permettre à « Dany » de regarder à l’intérieur grâce à un petit trou percé dans une plaque de polystyrène obstruant les vitres – « il me donnait un ordre de positions et des instructions par une oreillette », a-t-elle raconté.

Le 13 mars 2016, Valérie Bacot tue d’un coup de revolver Daniel Polette à la suite d’une passe brutale. Ce soir-là, « Dany » s’est entendu au préalable avec le client pour une sodomie. Valérie Bacot n’est au courant de rien, elle refuse, résiste, se débat, le client part, très mécontent. Elle est nue, en sang, en larmes. Daniel Polette crie, l’insulte, l’humilie encore un peu plus – « bonne à rien, tu vas le payer », hurle-t-il. Elle saisit l’arme (un revolver style 22 long rifle) qu’elle avait placée entre les deux sièges avant du véhicule – « c’est là qu’on la mettait toujours, pour se protéger des clients » –, glisse le canon entre le haut du dossier et l’appui tête,« ferme les yeux », a-t-elle témoigné, et tire.

« Monstre », « diable », « pervers », « malade »…

Elle se souvient d’un éclair de lumière, d’un son, d’une odeur. Elle se souvient du corps inerte de son mari qui tombe à terre lorsqu’elle ouvre la portière du conducteur, elle se souvient être partie en trombe pour aller chercher Lucas Granet, le petit ami de sa fille, âgé de 16 ans à l’époque, à qui elle avait confié les maltraitances infligées par son époux. Ensemble, ils retournent récupérer la dépouille, la chargent dans le coffre, rentrent au domicile familial, où elle confie à ses trois aînés avoir tué leur père, et repartent au milieu de la nuit avec les deux fils l’enterrer dans un bois voisin.

La version officielle : Daniel Polette a disparu, il a quitté sa famille sans un mot. Son cadavre sera retrouvé un an et demi plus tard, enfoui à 50 centimètres de profondeur. La mère de Lucas Granet les a dénoncés après une violente dispute avec son fils. Ce dernier, Dylan et Kevin Polette ont été condamnés à six mois de prison avec sursis pour « recel de cadavre » par le tribunal pour enfants de Mâcon, en décembre 2019.

Au procès de Valérie Bacot, personne ne s’est porté partie civile, personne n’est venu témoigner en faveur du « monstre », comme l’a décrit son frère, Alain Polette. Pas même ses enfants. Les trois aînés ont raconté à la barre leur quotidien avec ce père brutal et fou d’armes à feu, dont ils craignaient les accès de colère imprévisibles, les claques, les calottes, les coups de pied, les insultes.

Ses frères et sœurs (issus d’une fratrie de huit) n’ont pas eu un seul mot positif à son sujet. Ils ont décrit la maison de leur enfance comme « la maison du diable » parce que « le diable y habitait ». Alain et Mireille Polette refusent de prononcer le prénom de leur frère aîné, Daniel. Ils parlent du « détraqué », de la « pourriture », du « pervers », du « malade » qui frappait leur père (il a fini par se pendre dans le garage) si fort que le sang giclait sur les murs, « et après, on devait tout nettoyer » ; de « l’autre » qui « nous faisait laver sa voiture et nettoyer ses vêtements. Il refusait d’utiliser les toilettes, il faisait ses excréments sous la maison et après il fallait ramasser sa merde ! »

Enfer

« Il a bousillé ma vie », a témoigné leur sœur, Monique Polette. Violée par « le monstre » pendant des années à partir de l’âgé de 11 ans – « tu te tais, sinon je te tue et je tue maman », la menaçait-il, un fusil sur la tempe – elle a fini dans un foyer, puis à la rue. C’est Monique et sa sœur Mireille qui ont fait part à la justice de leurs soupçons concernant le comportement incestueux de leur frère avec sa belle-fille, Valérie, alors adolescente. A la suite de cette procédure, Daniel Polette a été condamné à quatre ans de prison. Il sortira après deux ans et demi.

« On a aidé Valérie, une fois, après, on ne comprenait pas, on n’a plus rien compris », a admis Mireille Polette. Après, personne n’a plus rien compris, personne n’a plus rien fait. Rien, lorsque la mère de Valérie, Joëlle Aubagne, dont Daniel Polette était toujours le compagnon, l’emmenait voir son violeur en prison. « C’est elle[Valérie] qui voulait, je lui ai jamais imposé ! », s’est défendue la retraitée de 65 ans. « J’ai demandé à le voir pour faire plaisir à ma mère, a rectifié Valérie Bacot. Je voyais bien qu’elle n’était pas bien, je voulais qu’elle soit heureuse. (…) Je pensais que c’était ma faute s’il était en prison. »

Rien non plus lorsque cette mère hargneuse et jalouse a de nouveau accueilli Daniel Polette, l’agresseur de sa fille, sous son toit, à sa sortie de prison. Il a recommencé à violer sa belle-fille quelques semaines seulement après son retour. « Il avait demandé pardon. (…) Tout se passait derrière mon dos, ils se sont bien fichus de ma figure », a lancé la mère à la barre, sans un regard pour sa fille. Enfin, personne n’a rien fait lorsque l’adolescente est tombée enceinte et qu’elle est partie s’installer avec son ex-beau-père.

Derrière les volets bleus de la petite maison du village de Baudemont, elle et ses enfants ont vécu l’enfer. « Elle semblait vulnérable, elle était tout le temps à l’écart, toujours accompagnée de ses enfants, je voyais bien qu’il y avait quelque chose de différent chez cette femme et ses enfants, a témoigné la présidente de son comité de soutien, Sandrine Dubois, une voisine dont les enfants étaient en classe avec les Polette. J’ai fait partie de cette société qui n’a pas tendu la main à Valérie. » 

Plus « une chose », mais « quelqu’un »

« Dans ce couple, la loi n’existait pas, il y avait la toute-puissance narcissique de cet homme, et rien ni personne n’est intervenu. C’est une faille de notre société, a souligné le docteur Prieur à la barre.L’élément déterminant [de son passage à l’acte], c’est la projection sur sa fille, c’est cette projection qui permet [à ce moment-là] de mobiliser ce qui lui reste de libre arbitre, (…) pas pour elle-même, mais pour protéger ses enfants, pour protéger sa fille de son propre vécu. »

Paralysée par la peur pendant vingt-cinq ans, Valérie Bacot a été prise de panique la veille de l’assassinat, lorsque sa fille Karline lui a rapporté le contenu dérangeant de sa conversation avec son père, qui lui a demandé comment elle était sexuellement, sa taille de soutien-gorge et si elle avait déjà eu ses règles. Des questions qui ont fait craindre le pire à Valérie Bacot : qu’il projette de prostituer sa propre fille. Après une tentative infructueuse de verser des somnifères dans son café le lendemain à l’heure du déjeuner, elle a « cherché une solution », a-t-elle dit, « je ne savais pas quoi faire ». Elle est allée prendre une arme cachée dans un placard et l’a glissée dans son sac avant de partir à son « rendez-vous ». Les jurés ont retenu la préméditation.

Quelques jours avant le début de son procès, ne sachant pas si Valérie Bacot allait revenir, ses collègues de travail lui ont organisé un pot de départ. « Ce jour-là, j’ai eu un déclic, je me suis dit : je ne suis plus une chose, je suis devenue quelqu’un. C’est bête ce que je dis… »


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