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vendredi 2 juillet 2021

« C'est un problème neurologique ou psychiatrique ? » Anthropologie de la neuro-stimulation intracrânienne appliquée à des troubles psychiatriques

« Un jour, relevant la jambe de son pantalon, [Lemuel] montra à Macmann son tibia couvert de bleus, de cicatrices et d’écorchures. Puis sortant prestement d’une poche intérieure un marteau il s’en asséna, au beau milieu des anciennes blessures, un coup si violent qu’il tomba à la renverse. Mais la partie qu’il se frappait le plus volontiers, avec ce même marteau, c’était la tête, et cela se conçoit, car c’est là une partie osseuse aussi, et sensible, et facile à atteindre, et c’est là-dedans qu’il y a toutes les saloperies et pourritures, alors on tape dessus plus volontiers que sur la jambe par exemple, qui ne vous a rien fait, c’est humain. »
Samuel Beckett, Malone meurt, Paris, Minuit, 2004, p. 156-157.

Une scène

N

ous sommes à la sortie du protocole de recherche : le patient qui souffre d’un trouble obsessionnel compulsif (toc, par la suite) a été implanté il y a maintenant un an. Il a franchi les différentes étapes du protocole et c’est le moment où la neurologue et le psychiatre vont lui mettre sa neurostimulation en marche en ouvert [2]. Quelques jours plus tard, il rentrera chez lui avec une stimulation intracérébrale continue.

Cela fait quinze minutes qu’ils sont réunis tous les trois dans sa chambre, la scène est filmée dans le cadre du protocole de recherche. Le psychiatre l’interroge sur tout ce qu’il a vécu depuis l’opération, il lui demande de décrire les différents stades par lesquels il est passé. Le patient raconte que, malgré le « double aveugle » il pensait savoir quand il était stimulé et quand il ne l’était pas. Pour les besoins du protocole, il a l’impression d’être actuellement en off  [3] depuis quatre mois et d’ailleurs va très mal. Il a de nouveau ce débit de parole très lent (il a des obsessions liées au langage, à l’exactitude des termes employés), il est déprimé, il a le visage fermé. Il attend donc impatiemment d’être stimulé. Lorsque la neurologue lui tend l’aimant qui va permettre de mettre en marche la stimulation, il le prend avec une grande inspiration et ferme les yeux avant de le poser sur sa poitrine. La neurologue règle les paramètres de stimulation.

Le patient : « En fait, c’est un problème neurologique ou psychiatrique ? »

[Silence]

La neurologue : « C’est dans le cerveau. »

Le psychiatre : « C’est dans le cerveau de toute façon. »

Le patient [il insiste] : « Non mais j’aimerais que vous m’apportiez des éléments là-dessus. »

Le psychiatre : « C’est une question de définition. C’est une question, on comprend que vous nous la posiez, mais, pour les médecins et nous qui nous occupons de ces pathologies-là, la question ne se pose pas comme ça. Les symptômes sont dits psychiatriques parce qu’ils affectent le comportement. La maladie, elle se passe quand même dans le cerveau, si vous voulez. »

Le patient : « C’est de nature biologique, neurologique ?… »

La neurologue : « Si tant est que l’on peut faire une séparation. En fait, c’est de la neuropsychiatrie, quoi. »

Le psychiatre : « Il n’empêche que les symptômes s’expriment d’une façon qui est la vôtre. C’est vrai que quelqu’un va trembler, par exemple chez le malade de Parkinson, il va trembler quelle que soit sa personnalité. Il va trembler de la même façon. Qu’il soit cool, sympa, méchant, rigide, bon ce que vous voulez, il va trembler de la même façon. Mais quand ça affecte le comportement, on va pas avoir les mêmes obsessions, les mêmes comportements chez telle ou telle personne. Il y a des personnes qui vont vérifier, d’autres qui vont avoir des angoisses de contamination, d’autres qui vont chercher la perfection, d’autres qui vont être dans la détection de l’erreur absolue, et je pense que tout ça, en revanche, on sait pas exactement, ça fait partie… C’est comme un processus de répétition, si vous voulez, qui utilise le répertoire des comportements que vous avez en vous. Alors peut-être que ça va faire répéter un répertoire que vous avez plus particulièrement en vous. Donc, si vous avez un naturel perfectionniste, par exemple, peut-être que ça va aller vers le pire de ça, vous voyez. Alors que quelqu’un qui va avoir des angoisses par rapport à la saleté, ça va aller vers le pire de ça. C’est une exagération du répertoire normal avec une libération du comportement que d’habitude on contrôle pour qu’il n’envahisse pas la vie. C’est un peu comme ça qu’on peut dire les choses. Donc, cette exagération on peut dire, si vous voulez, qu’elle est neurologique, c’est-à-dire qu’effectivement on a des idées pour penser que dans certains endroits du cerveau y a des petites structures qui s’occupent de faire que ces choses ne soient pas exagérées et c’est ce qu’on espère en stimulant : restaurer cette capacité de moduler ces comportements. [Silence.] Vous vous sentez comment, là ? »

Le patient [avec un sourire] : « Bien, ça va. Vous m’êtes très sympathiques. »

[Rire général.]

Le psychiatre : « D’accord ! C’est très gentil ! Mais de l’intérieur, vous sentez quelque chose ou pas ? »

[Rires.]

Le patient [il prend son temps, réfléchit] : « Ah oui, une chose… avant je riais beaucoup… »

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