par Virginie Ballet publié le 2 juillet 2021
Elle avait été poignardée en pleine rue. Cinq coups de couteau, reçus dans la nuit du 23 au 24 mai, à deux pas du commissariat de la ville d’Hayange (Moselle), fermé à ce moment-là. Stéphanie avait 22 ans, elle était mère d’une petite fille de 4 ans. Elle avait déposé plainte contre son compagnon quelques mois avant sa mort. Celui-ci avait bénéficié d’un aménagement de peine : il était sorti de prison un mois avant les faits et était retourné vivre au domicile conjugal, sous bracelet électronique. La mort de la jeune femme avait suscité une vague d’indignation telle que le gouvernement avait annoncé la mise en place d’une mission d’inspection pour faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements ayant conduit à sa mort. Menée par l’inspection générale de la justice et par celle de l’administration, la mission vient de rendre publique ses conclusions ce vendredi.
«Aucun manquement professionnel ne peut être relevé dans les décisions prises avant le meurtre, tous les intervenants s’étant mobilisés normalement dans le champ de leurs compétences»,écrivent les auteurs. Circulez, rien à voir ? Pas tout à fait. Comme ce fut déjà le cas dans l’affaire de la mort de Chahinez à Mérignac (Gironde) début mai, la mission d’inspection relève là aussi la nécessité d’une meilleure communication entre les différents acteurs : «La gravité des faits souligne toutefois la nécessité absolue de coordonner l’action des acteurs locaux à chaque étape du traitement des violences familiales.» Même si, observent les auteurs du rapport, «la situation sanitaire de 2020 a également contribué à dégrader la communication entre les services».
Des violences conjugales mal définies
Ainsi, alors que le conjoint de Stéphanie a été interpellé en novembre 2020 par la brigade anti-criminalité pour des délits routiers, «aucun croisement n’a été réalisé entre les différents circuits d’informations», et aucune recherche n’a alors été effectuée pour voir s’il faisait l’objet de plaintes ou de mains courantes. Or c’était bel et bien le cas. En couple depuis 2015, Stéphanie et son conjoint avaient fait l’objet de nombreuses interventions des forces de l’ordre à leur domicile ou sur la voie publique. «Des incidents répétés» avaient eu lieu entre 2018 et 2020, souvent de «violentes disputes». «Toutefois, à chaque fois le calme revient, l’un ou l’autre quittant l’appartement», observe le rapport. Stéphanie s’oppose même à l’interpellation de son compagnon, un jour où il est alcoolisé et agressif vis-à-vis des policiers. «La multiplication des interventions pour des incidents répétés au domicile du couple, l’absence de blessures constatées, l’ambivalence de [Stéphanie] qui intervient plusieurs fois en faveur de [son conjoint] ont installé l’image d’un couple conflictuel mais sans signal de danger imminent», analysent les auteurs. Y avait-il violences physiques ? Sur ce point, les différents comptes rendus de ces interventions sont contradictoires : le 7 juin 2020, Stéphanie indique que son conjoint lui a jeté des pierres dans le dos. Cinq mois plus tard, le 17 novembre 2020, les forces de l’ordre résument une autre intervention ainsi : «Différend de couple. Aucune menace, aucune violence.»
Pourtant, à plusieurs reprises, des menaces ont évoquées dans le passé. Le 21 juin 2018, les forces de l’ordre écrivent par exemple : «La mère nous explique que depuis quelque temps elle a subi des violences et des menaces de son compagnon. Son compagnon la menaçait de lui prendre l’enfant pour l’emmener au Kosovo et de lui envoyer sa famille pour lui faire la peau.» En janvier 2020, Stéphanie dépose une main courante au commissariat de Thionville pour des insultes proférées par son compagnon. Elle indique ne pas avoir subi de violences physiques et ne pas vouloir porter plainte. Même si elle refuse d’être mise en relation avec l’intervenante sociale du commissariat, celle-ci la contactera tout de même à plusieurs reprises entre mars 2020 et avril 2021, pour tenter de lui proposer de l’aide, que Stéphanie décline.
«Je vais te tuer si tu vas chez les flics»
Le 3 novembre 2020, Stéphanie dépose cette fois une plainte au commissariat de Thionville. Elle évoque des insultes et des menaces de mort, retranscrites en ces termes : «Je vais te tuer si tu vas chez les flics.» Elle ne mentionne pas de violences physiques et dit ne pas ressentir de danger imminent. L’agente qui prend la plainte, «expérimentée, avait suivi la formation en ligne consacrée aux violences conjugales. Elle a considéré que cette plainte évoquant des menaces ne relevait pas du traitement réservé aux plaintes pour violences conjugales», relève la mission. Trois jours plus tard, la plainte est transmise au bureau de police d’Hayange, où vivent Stéphanie et son conjoint, «pour la conduite des investigations». La plainte n’est pas transmise au parquet. «Les services judiciaires mosellans, jamais informés de violences au sein du couple, n’ont pu mobiliser le dispositif de lutte contre les violences conjugales en vigueur», relèvent les auteurs du rapport, qui identifient plusieurs explications possibles. Parmi elles : les violences verbales et psychologiques évoquées par Stéphanie n’ont pas été comprises comme des violences conjugales, car elles ne figuraient pas expressément dans les recommandations émises par le ministère de l’Intérieur jusqu’à très récemment. Autre explication : «Les difficultés d’effectifs dans la filière judiciaire du commissariat de Thionville et a fortiori du poste de police de Hayange entraînant un stock important de procédures non traitées.»
Une enquête avant tout aménagement de peine
La mission recommande aussi qu’avant tout aménagement de peine, en cas de violences conjugales, soit menée une «enquête, quel que soit le contexte familial, pour […] s’assurer de la réalité de l’accord de l’accueillant». Dans le cas de Stéphanie, seul un courrier de sa part, daté de janvier, signifiait son accord pour le retour au domicile de son conjoint, incarcéré depuis novembre pour des délits routiers, et qui a bénéficié d’un aménagement de peine sous la forme d’une sortie sous bracelet électronique, un mois avant la mort de la jeune femme. L’a-t-elle écrit sous la contrainte ou l’emprise ? Etait-elle consciente de ce que cela pouvait impliquer ? La demande d’aménagement de peine de son conjoint sera en tout cas rejetée une première fois, puis finalement acceptée le 23 avril par la chambre d’application des peines. «Les magistrats ont précisé n’avoir jamais eu connaissance de la moindre difficulté relationnelle entre lui et sa compagne, celui-ci déclarant au contraire vouloir sortir pour pouvoir l’aider.»
Reste un gros point d’ombre : le fonctionnement du bracelet. Le 23 mai, jour du meurtre de Stéphanie, vers midi, son conjoint appelle les services d’insertion et de probation pour signaler que son bracelet électronique a été détérioré par sa petite fille. Un rendez-vous est fixé au mardi pour le remplacement du dispositif. Comme il continue toutefois de fonctionner, aucune enquête particulière n’est menée. Plus tard dans la nuit, il parviendra à le briser, sans que cela ne donne lieu à une alarme au centre de surveillance. Que s’est-il passé ? L’enquête doit encore le déterminer, le bracelet ayant été saisi.
Depuis la mort de Stéphanie, un retour d’expérience entre les différents acteurs impliqués localement (police, justice, travailleurs sociaux…) a eu lieu, comme préconisé par le gouvernement après chaque féminicide depuis le Grenelle. Les violences conjugales ont été mieux définies dans les instructions adressées aux forces de l’ordre, pour inclure les menaces, les violences psychologiques, le harcèlement. Un rappel a aussi été envoyé aux commissariats et gendarmeries précisant que les mains courantes doivent être proscrites, ainsi qu’une recommandation de penser à remplir une fiche d’évaluation personnalisée du danger pour chaque victime. «Au-delà [des] améliorations indispensables, la mission estime que la multiplication des directives respectives des ministères de l’Intérieur et de la Justice risque de compliquer l’action des services locaux en laissant subsister une ambiguïté dans les comportements à tenir»,notent enfin les auteurs, qui invitent les ministères à unifier leurs recommandations.
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