CHRONIQUE
Rafaële Rivais
Le caractère irrévocable de l’adoption plénière interdit à une fille adultérine de faire reconnaître sa filiation biologique paternelle, même au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.
Publié le 7 novembre 2020
C’est à Londres, en avril 1955, que Sarah voit le jour. Sa mère, Lola Mary Y, employée l’année précédente en France comme jeune fille au pair, a été renvoyée dans son pays par Mme X, lorsque cette dernière a découvert qu’elle était enceinte des œuvres de son époux, Alfred. Lola Mary donne à Sarah le nom de famille de son géniteur, comme l’y autorise la loi anglaise. En 1958, elle obtient de la justice française que celui-ci lui verse des subsides, ce qu’il cessera bientôt de faire. En 1963, elle décède.
Les services sociaux anglais en informent Alfred, qui ne leur répond pas. Des enquêteurs tentent de le rencontrer en France, mais ne le trouvent pas. L’épouse de celui-ci les informe par téléphone qu’elle ne veut plus entendre parler de la fillette, alors âgée de 8 ans. Un cousin de Lola Mary et sa femme la recueillent puis, en dépit de leur mésentente, l’adoptent, afin de percevoir des allocations.
Reconnaissance juridique
En 2008, Sarah X, épouse Z, mariée et âgée de 53 ans, prend contact avec Alfred, dont elle a découvert les coordonnées. Il admet qu’elle est sa fille biologique, mais refuse de la reconnaître. En 2010, elle intente contre lui une action en recherche de paternité, par « besoin légitime d’obtenir la reconnaissance juridique de sa filiation », assure-t-elle, et non « à des fins pécuniaires », comme le soutient la famille d’Alfred, en précisant qu’elle « réclame un tiers de la succession ».
La cour d’appel de Paris juge, le 19 mars 2019, qu’Alfred – entre-temps décédé – est le père de Mme X. Son raisonnement est le suivant : l’action entreprise par cette dernière est, certes, régie par la loi anglaise, qui ne connaît que l’équivalent de l’adoption « plénière » française, laquelle (à la différence de l’adoption « simple »), rompt tout lien légal entre l’enfant et ses parents biologiques.
En principe, cette action est donc « irrecevable ». Néanmoins, débouter Sarah X porterait une atteinte « disproportionnée » à son droit de faire reconnaître son ascendance, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour d’appel lui confère donc une filiation sanguine, en plus de sa filiation adoptive.
« Quatre » parents
Le fils d’Alfred se pourvoit en cassation, en soutenant qu’un tel cumul est impossible. « On ne peut avoir que deux parents, et non quatre ! », plaide son avocat, Me Jean-Philippe Duhamel, devant la grande chambre de la cour. Affirmer le contraire reviendrait à remettre en cause la distinction entre adoption simple et adoption plénière, et à porter atteinte à la sécurité juridique de la notion d’adoption plénière.
La Cour de cassation juge, le 14 octobre 2020, que l’intérêt général des familles adoptives à voir garantie la stabilité de leurs liens, d’une part, et l’intérêt du défunt, qui s’est toujours opposé à toute reconnaissance, d’autre part, priment sur celui de Sarah. Elle juge son action « irrecevable », et censure l’arrêt qui a admis sa filiation.
Si Mme X avait pu, en Angleterre, faire « révoquer » son lien adoptif, son action en France aurait peut-être été couronnée du même succès que celle, en Belgique, de Delphine, désormais gratifiée du titre de « princesse ».
Tests génétiques
La mise en balance des intérêts en présence est une méthode exigée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), lorsqu’un droit fondamental est menacé. Cette cour, basée à Strasbourg, sanctionne d’ailleurs gravement les Etats qui ne ménagent pas un « juste équilibre » entre ces intérêts. Le 8 novembre 2012, elle condamne ainsi la France à verser 2,7 millions d’euros à un justiciable, Christian Pascaud : malgré un test génétique établissant sa filiation avec William A., il n’a pu faire reconnaître celle-ci judiciairement, ni, par conséquent, toucher sa part d’héritage, le père ayant légué son château à la commune de Saint-Emilion (Gironde).
La Cour affirme alors qu’un « juste équilibre » aurait dû être trouvé entre « le droit du requérant à connaître son ascendance », « le droit des tiers à ne pas être soumis à des tests ADN », et « l’intérêt général à la protection de la sécurité juridique ». Elle juge que le droit du requérant n’a pas été pris en considération.
Prescription
Désormais, la Cour de cassation, quand elle est saisie d’un pourvoi, vérifie que la juridiction d’appel a bien procédé à ce contrôle de proportionnalité, comme le montre l’exemple suivant, lié, lui aussi, à la question du respect de l’article 8 (droit à la vie privée).
Le 12 novembre 2011, Eric X, âgé de 49 ans, et dépourvu de filiation paternelle, assigne Joseph Y en recherche de paternité. La cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme) juge, le 31 mars 2015, que son action, « engagée plus de dix ans après [sa] majorité », est « irrecevable » car « prescrite » au regard des textes légaux nationaux.
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