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lundi 2 novembre 2020

Port du masque à 6 ans : avons-nous perdu (l’âge de) raison ?

Par Alexandra Flouris, psychologue hospitalière, Pédiatrie, GHU site Bicêtre, APHP Emmanuelle Lacaze, psychologue spécialisée en neuropsychologie, Service de Neuropédiatrie, Hôpital Trousseau, APHP Stéphanie de Bournonville, neuropsychologue, Pédopsychiatrie, Fondation Vallée et psychologue pour enfants-adolescents en libéral Christelle Landais, psychologue clinicienne, psychanalyste, en Institut Médico-Educatif et en libéral et Marine Schmoll , psychologue clinicienne en établissements d’accueil de jeunes enfants et en libéral — 

Cette mesure, prévue dès lundi dans les écoles, risque de nuire aux besoins d'expression de l'enfant sur le plan affectif, langagier, émotionnel, corporel, s'alarment des psychologues.

Tribune. Alors que nous vivons le deuxième opus de ce confinement, et que le gouvernement semble avoir pris en compte l’importance du maintien de l’ouverture des écoles, nous, psychologues, spécialistes de l’enfance, nous interrogeons sur l’apparition de nouvelles mesures telles que l’obligation du port du masque à partir de six ans.

Un enfant de six ans, rappelons-le, n’a pas atteint l’âge de raison, c’est-à-dire qu’il n’a pas encore atteint la maturité cérébrale nécessaire pour penser de manière abstraite. Il navigue encore entre un imaginaire puissant, et une réflexion capable de prendre en compte la réalité. Inhiber des comportements impulsifs reste encore complexe, bien que les règles sociales soient en voie d’acceptation. Les besoins d’expression d’un enfant de six ans, encore considéré comme jeune enfant, sont multiples : sur le plan affectif, langagier, émotionnel, corporel. Toute entrave à cette communication spontanée, naturelle et nécessaire, si elle n’est pas porteuse de sens, est susceptible de laisser des traces à long terme.

En tant qu’adultes, nous avons appris à travailler quotidiennement avec le masque, à faire nos courses avec, à le porter lorsque nous parlons à nos aînés, nos collègues, nos amis, nos connaissances, à le supporter pour tenter d’endiguer la propagation d’un virus qui ne semble pourtant pas s’arrêter. Nous prenons sur nous pour accepter ce qui nous semblait autrefois inacceptable, en espérant que nos efforts porterons un jour leurs fruits. Nous quittons pour cela la logique immédiate et utilisons constamment notre pensée abstraite pour inhiber nos comportements impulsifs.

Mais tous les jours nous touchons à ce masque encore trop grand qui nous tombe sous le nez, nous l’enlevons chaque fois que nous avons l’opportunité de nous retrouver seuls, nous supportons les maux de tête, les sensations de vertige et de manque d’oxygène. Nous le changeons lorsqu’il est trop humide, notamment quand nous avons parlé longtemps avec. Nous souffrons de ne plus voir le sourire de l’autre, et adaptons en permanence notre communication pour être mieux compris, parlons plus fort, précisons fréquemment l’état et les nuances de nos émotions.

Un enfant de six ans est toute la journée en collectivité. De 8h30 à 16h30 a minima, il ne peut se dérober au groupe. On lui demande d’apprendre à lire et à compter avec 15, 20, 30 de ses congénères. Il s’agirait donc de porter ce masque en permanence, sauf au moment du repas, sans le manipuler ou l’utiliser de manière inadéquate, ce que nous nous permettons de douter. Les enfants tenteront sans aucun doute de nous écouter, de s’adapter à cette nouvelle norme que nous leur imposons, de se conformer. Mais est-ce réellement dans leur intérêt, et à quel prix ? Nous parlons là de coût psychique, bien entendu.

Ces derniers mois, les Sociétés de pédiatrie n’ont eu de cesse de nous rappeler l’importance de mesures assouplies et raisonnables entre enfants et en particulier en milieu scolaire, y compris concernant le port du masque. (1)

Pour protéger qui cette nouvelle décision est-elle actée ? Les enfants entre eux ? Leurs parents ? Leurs grands-parents avec lesquels ils ne seront de toutes façons plus en contact les prochaines semaines ?

S’il s’agit des enseignants, ceux que nous rencontrons nous racontent leur lassitude de porter eux-mêmes un masque pour transmettre, pour se faire entendre, pour se faire comprendre. Ils évoquent leur épuisement à rattraper les effets du premier confinement sur des enfants qui réapprennent peu à peu à être élèves, à se concentrer, à utiliser du matériel collectif, à jouer au ballon sans se sentir menaçant ou menacé.

Nous ne pouvons nous résoudre à attendre plusieurs mois voire plusieurs années d’enquêtes sur les conséquences psychologiques de nos décisions en temps de Covid alors même que nous disposons d’un siècle d’observations, d’écrits, de recherches, de connaissances sur la psychologie de l’enfant menés par nos confrères et consoeurs psychologues, pédiatres, pédopsychiatres, psychanalystes, développementalistes, neuropsychologues, psycholinguistes, psychopédagogues…Ces savoirs- là, nous les avons.

Si cette guerre sanitaire aura probablement des répercussions psychologiques inévitables, peut-être même sur plusieurs générations, nous avons le devoir de nous interroger sur les effets iatrogènes potentiels des armes que nous utilisons.

Un enfant de six ans auquel nous imposons des règles continues, contraignantes, qui n’ont pas de sens pour lui et qu’il n’est pas en capacité de respecter, au mieux, pose des questions auxquelles nous tentons de répondre, si tant est que l’on puisse l’entendre…Au pire, il s’inhibe, il s’agite, il somatise. Si nous n’y prenons garde, il entame son estime de lui-même, devient anxieux, voire déprime, comme nombre d’enfants, d’adultes et adolescents que nous entendons et accompagnons quotidiennement depuis sept mois dans nos cabinets et consultations, pétris d’angoisses de mort et de sensations de privations de lien social.

Soyons raisonnables, nous qui avons atteint depuis longtemps l’âge de raison. Ne cédons pas à toutes les peurs, et ne sous-estimons pas le coût de la perte de l’insouciance et de la liberté d’une qualité d’expression orale, notamment à l’âge de six ans.

La question des masques à partir de six ans est une des parties immergées de l’iceberg. Elle montre bien la difficulté à penser l’enfant dans sa globalité et la prévention de troubles psychiques en état d’urgence, d’autant plus lorsque cette urgence dure et s’installe.

A cette crise aux répercussions sanitaires, économiques et psychologiques majeures, nous souhaiterions des réponses préventives qui ne prennent pas seulement en compte l’avis et le conseil de spécialistes en sciences dures et de syndicats, mais d’experts en psychologie notamment infantile, des professionnels spécialisés en sciences humaines et personnes quotidiennement au contact d’enfants.

 (1)  https://www.sfpediatrie.com/actualites/rentree-scolaire-covid19-enfants-ne-posent-pas-probleme


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