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lundi 2 novembre 2020

D’Halloween à the Ward, un premier rôle pour la psychiatrie dans le film d’horreur

Publié le 02/11/2020

The Resident’s Journal (supplément à l’intention des jeunes médecins de l’American Journal of Psychiatry) évoque un sujet rarement abordé dans la littérature médicale : la présentation de la maladie mentale dans le « film d’horreur. » En fait, l’auteur englobe aussi dans cette acception du « film d’horreur » certaines œuvres que nous pouvons inclure dans le cinéma « général », par exemple le célèbre Vol au-dessus d’un nid de coucous de Miloš Forman (1975). Si ce film est une dénonciation évidente de la chronicisation insidieuse en hôpital psychiatrique où les conséquences fatales de l’institutionnalisation finissent par rattraper même le sujet simulant au départ une pathologie psychiatrique, c’est aussi une métaphore et une contestation implicites de l’univers clos de la Tchécoslovaquie communiste (pays d’origine du réalisateur) : comme le communisme, l’internement prolongé en hôpital psychiatrique est décrit comme liberticide et pouvant broyer l’individu implacablement.

L’auteur rappelle que, dès le début du cinématographe, le genre du film d’horreur a fourni « une évasion de l’ordinaire » et que ces films à connotation psychiatrique « reflètent et influencent la façon dont le public perçoit les problèmes de santé mentale depuis l’aube du cinéma. » Par exemple, Le cabinet du Dr Caligari (un film allemand de 1920) démontre l’une des premières associations cinématographiques entre dangerosité et conditions psychiatriques.  C’est seulement à la fin du film que « la lutte du protagoniste contre un médecin mégalomane est assimilée à la lutte d’un malade mental contre son psychiatre. »

Des « stéréotypes négatifs » de violence et de dangerosité

Bien sûr, quand on parle de psychiatrie sur grand écran, impossible d’ignorer l’une des représentations les plus emblématiques de l’horreur d’une maladie mentale, présentée par Alfred Hitchcock dans son film culte Psychose (1960). Le protagoniste principal (Norman Bates, incarné par Anthony Perkins) « montre de nombreuses caractéristiques du trouble dissociatif de l’identité (TDI)[1]. » Mais à l’époque, les hallucinations et les troubles de la pensée de Norman Bates ont été assimilés à une schizophrénie et le public a confondu TDI et psychose (schizophrénique) « comme une seule entité. » L’auteur note aussi que ce film a contribué à propager les « stéréotypes négatifs » de violence et de dangerosité stigmatisant les malades mentaux.

Puis dans les années 1970, ce genre de films (à la croisée de la psychiatrie, la violence et l’horreur) est devenu « extrêmement populaire. » Vol au-dessus d’un nid de coucous a contribué ainsi, par sa scène « terrifiante » sur l’utilisation des électrochocs, au dénigrement de l’électroconvulsivothérapie par le grand public et même le corps médical. Cette angoisse a tellement effrayé les spectateurs qu’elle a été perpertuée dans d’autres films comme The Ward (L’Hôpital de la terreur, 2011) de John Carpenter, un orfèvre en la matière.

On doit aussi à John Carpenter Halloween (premier opus La nuit des masques, 1978), un classique du film d’horreur (renforçant dans le public l’idée de « dangerosité associée aux diagnostics psychiatriques ») où un sujet interné en asile pendant 15 ans s’en échappe pour commettre de nouveaux crimes....

Peut-être un changement d’orientation

Suite au succès d’Halloween, Stanley Kubrick propose un autre classique du film d’horreur, Shining (1980, d’après un roman de Stephen King et une nouvelle de Maupassant, L’Auberge, 1886) où les liens entre psychose et alcoolisme tissent le parcours d’un « tueur à la hache. »

Autres traits psychiatriques, par exemple les hallucinations auditives du tueur de Vendredi 13 (premier opus de Sean S. Cunningham, en 1980) ou le trouble bipolaire de l’infirmière du Misery de Rob Reiner (1990, d’après un roman de Stephen King). Mais bien que les films d’horreur continuent à explorer cette « association entre diagnostics psychiatriques et dangerosité des malades », l’auteur estime que « la tendance commence à changer » : ainsi, The Babadook de Jennifer Kent (2014) évoque « le processus de gestion d’un deuil, plutôt qu’il ne se concentre sur un diagnostic psychiatrique » et le film They Look Like People de Perry Blackshear (2015) qui (malgré sa mauvaise critique[2] en France) semble à l’auteur positif, car un réseau de soutien social y est toujours présent alors que le personnage principal lutte contre la psychose.  

Question posée par Resident’s Journal, à la lumière du changement d’orientation du film d’horreur : « un diagnostic psychiatrique sert-il de bouc émissaire à des scénarios horribles, ou l’histoire obsédante de la psychiatrie joue-t-elle son propre rôle dans le développement de films d’effroi ? » Avec notamment le « passé déchirant » de la spécialité (comme la recherche d’une « pacification » de la folie par des électrochocs, voire la lobotomie) et des établissements de santé mentale « sous-financés et surpeuplés », susceptibles d’avoir inspiré nombre de ces films « horrifiques. »


Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCE
Mancine R : Horror movies and mental health conditions through the ages. Am J Psychiatry Resident’s J., 2020 ; 16(1): 17.


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